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Promotion des droits de la santé sexuelle et reproductive/Pf: Les femmes détenues, les oubliées

Société
Quand l’incarcération tend à enlever aux détenues leur féminité... Quand l’incarcération tend à enlever aux détenues leur féminité...

Les mesures en matière de planification familiale tablent souvent peu sur les femmes privées de liberté. Le besoin reste pourtant entier dans le milieu carcéral, le sexe faisant partie intégrante de la vie humaine.  

Par   Maryse ASSOGBADJO, le 29 sept. 2023 à 02h42 Durée 4 min.
#droits de la santé sexuelle #Les femmes détenues

Pour capter son récit à peine audible, il faut être éveillé. Un véritable filet de voix qui a tendance à vous échapper en présence de bruits indésirables. Pour avoir fait l’une des maisons d’arrêt du Bénin pendant six mois, Marie-Madeleine (nom d’emprunt), femme aux rondeurs affirmées, teint clair, en a sur le cœur. Lorsqu’on l’interroge sur sa sexualité, elle est plus ou moins à l’aise à raconter les ‘’petits jeux’’ entre femmes. Le sujet orienté vers le personnel pénitentiaire, elle se mure dans un silence.

« Avec mon statut de détenue en ce temps-là, j’ignorais que je pouvais plaire à quelqu’un », souffle-t-elle.

Selon des sources bien introduites, la sexualité en milieu carcéral est une médaille à double face : elle s’entretient entre femmes détenues et certains membres du personnel pénitentiaire, foi des témoignages rapportés par des Ong et autres cadres qui y ont régulièrement accès.

Dr Serge Kitihoun, directeur des services médicaux et paramédicaux à l’Association béninoise pour la promotion de la famille (Abpf), considère ce milieu comme un guet-apens. « Comment comprendre qu’une femme qui entre dans cet environnement en étant saine en ressorte avec le Vih ? Les filles tombent enceintes aussi. Sans oublier l’homosexualité et le lesbianisme qui y ont cours ! »,

s’offusque-t-il.

En l’absence de planification familiale, les femmes sont soumises à une double vulnérabilité. « Des gens profitent de leurs moments de faiblesse pour abuser d’elles. Les dégâts sont visibles à travers les grossesses. Les hommes, eux, sont exposés aux Ist », relève-t-il.

L’Ong Ceradis intervient dans le domaine de la santé publique et communautaire au Bénin depuis plus de deux décennies. Son directeur exécutif, Nourou Adjibadé est au courant de ces agissements. La détention fragilise nombre de femmes et les expose à une vie de débauche contre leur gré. « Lorsqu’elles sont sollicitées par les personnes de leur environnement, elles n’ont plus toute leur intégrité. Le mal est donc vite arrivé », se désole-t-il.

Même en cas de consentement, les abus sexuels prévalent dans ces milieux. « Et si malheureusement parmi ces femmes, il y en a qui sont déjà de mœurs légères, les dégâts sont considérables », fait-il observer.

Violations de trop

 

Selon des sources concordantes, avant de bénéficier de certains privilèges, les détenues sont parfois obligées de faire l’âne pour avoir le foin. « Les faveurs offertes à certaines d’entre elles ne sont jamais gratuites. Elles sont monnayées. A partir de là, le sexe peut bien entrer en jeu », révèle le directeur exécutif de Ceradis Ong.

Il pense que les restrictions liées à la sexualité dans les lieux de détention sont des violations de trop, réduisant le droit d’accès des femmes aux services de planification familiale. « Les femmes détenues ont des besoins physiologiques comme tout être humain et elles aspirent, pour celles qui sont encore jeunes, à fonder un foyer et à procréer », souligne-t-il. Et quand se produit l’inattendu, deux schémas s’offrent à elles : se débarrasser de la grossesse ou garder l’enfant jusqu’à l’âge de 3 ans avant de l’envoyer en famille.

Sur la question de la santé sexuelle et reproductive de la femme vue sous le prisme des droits humains, Miguèle Houéto, défenseur des droits humains, retrouve toute sa verve. « Dans les lieux de détention, les femmes ont les mêmes droits que les hommes, y compris la santé sexuelle et reproductive. Ces services permettent d’améliorer la qualité de vie et des relations interpersonnelles, et d’offrir des conseils et soins relatifs à la procréation et aux maladies sexuellement transmissibles », justifie-t-elle.

Au Bénin, diverses organisations ont fait de la question du planning familial une préoccupation. Mais au fond, le sujet fait très peu objet d’attention en milieu carcéral. « Les organisations de la société civile qui sont dans l’offre de services de planification familiale sont-elles autorisées à rencontrer et à discuter avec les femmes détenues pour recenser leurs préoccupations sur le sujet ? »

s’interroge Nourou Adjibadé.

Ce que corrobore Miguèle Houéto en évoquant l’accès limité aux prisons et maisons d’arrêt aux organisations, le silence des détenues privées de leurs droits à la santé sexuelle et reproductive, du fait de leur méconnaissance ou de l’ignorance desdits droits. 

En principe, les choses devraient se passer autrement, au regard de l’effectif des femmes détenues. Selon Balbylas Gbaguidi, président de Prisonniers sans frontières, le Bénin figure parmi les pays ouest-africains à forte population carcérale féminine évaluée à plusieurs centaines en août 2023. Parmi celles-ci, un nombre non négligeable serait en état de grossesse et d’autres vivent avec leurs enfants.

Au niveau de la direction générale de l’Administration pénitentiaire et des droits de l’Homme, ces données ne sont ni infirmées ni confirmées. Seule certitude, elles fluctuent et le Bénin serait bien loin derrière le Sénégal.

Interpellations

 

Le rapport 2020-2021 de la Commission béninoise des droits de l’Homme (Cbdh) sur l’état des droits de l’Homme au Bénin et le Plan d’action national budgétisé de planification familiale 2019-2023 sont laconiques sur le planning familial. 

Me Alexandrine Saïzonou-Bédié, avocate au barreau du Bénin, commissaire à la Cbdh, considère ces dysfonctionnements comme une injustice. « La santé sexuelle et reproductive des femmes en détention est prise en compte dans les textes et lois, mais il faut des textes spécifiques pour protéger leurs droits et surtout leur permettre d’avoir accès à une santé sexuelle épanouie en tenant compte de la privation de la liberté d’aller et venir, et des conditions de détention qui n’autorisent pas une vie intime dans l’environnement carcéral. Nous sommes tous coupables et interpellés pour remédier à cette injustice », admet-elle.

Dans l’immédiat, il va falloir revoir à la hausse la fréquence des interventions relatives à la planification familiale (Pf) dans ces milieux. Les quelques engagements des Ong sont épars. Les dernières actions (notamment la distribution de préservatifs) de l’Abpf remontent à 2008 et à 2009, selon Prisonniers sans frontières. 

Le gouvernement ne perd pas de vue l’enjeu. Pour Véronique Tognifodé, ministre des Affaires sociales et de la Microfinance, « il n’y a pas d’autonomisation de la femme sans planification familiale », soutient-elle, jeudi 14 septembre 2023, à l’occasion des 4es Journées scientifiques du Collège national des gynécologues obstétriques du Bénin.

Son collègue de la Santé, Benjamin Hounkpatin, en dira mieux au cours de la même rencontre : « Avec le Fonds des Nations Unies pour la Population (Unfpa), nous sommes dans une dynamique de faire en sorte que l’approvisionnement en produits contraceptifs jusqu’au dernier kilomètre puisse être une réalité ».

Pour atteindre les derniers kilomètres du Bénin avec les services de planning familial, il faut commencer par les premiers. Et les premiers kilomètres doivent aussi intégrer les milieux carcéraux.

C’est depuis 1995 que le Programme d’actions de Beijing avait tracé le canevas : « les droits fondamentaux des femmes comprennent le droit d’être maîtresses de leur sexualité, y compris leur santé en matière de sexualité et de procréation, sans aucune contrainte, discrimination, ni violence ».

L’article 2 de la loi n°2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et de la reproduction au Bénin est sans ambages : « Tous les individus sont égaux en droit et en dignité en matière de santé de la reproduction ; le droit à la santé de la reproduction est un droit universel fondamentalement garanti à tout être humain, tout au long de sa vie, en toute situation et en tout lieu… ».

Les règles Mandela, définissant les dispositions minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, stipulent en leurs articles 1er et 2e que l’individu incarcéré ou détenu conserve son statut humain et ses droits sociaux.

Des acteurs prêts à saisir la balle au bond

 

Partant de ces principes, les Ong sont prêtes à saisir la perche si elles bénéficiaient de l’accompagnement de l’Etat. « Les seules infirmeries disponibles dans le milieu carcéral ne suffisent pas pour rattraper le retard. Si l’administration pénitentiaire accepte le principe, nous sommes prêts à venir avec notre clinique mobile pour offrir nos services à ces hommes et femmes », projette l’Abpf.

Et à Nourou Adjibadé d’ajouter : « Le pari est grand. C’est un gros problème sur lequel nous devons travailler ». Pour y arriver, Miguèle Houéto pense qu’il revient à l’Etat de simplifier les choses afin d’accorder plus de chance aux détenues. « Le gouvernement du Bénin doit respecter ses engagements et doter l’Agence pénitentiaire du Bénin de moyens afin de faciliter l’accès aux services de la santé sexuelle et de la reproduction pour les femmes détenues. Il doit revoir sa copie en ce qui concerne les agréments au profit des organisations qui travaillent sur la question », suggère-t-elle.

Me Alexandrine Saïzonou-Bédié approuve cette démarche. « La privation de liberté ne constitue pas un motif de perte des droits inhérents à la personne humaine, ceux-ci perdurent tout le long de la vie. Ainsi, les femmes en détention restent des êtres humains et bénéficient par conséquent du droit à la santé sexuelle et peuvent les revendiquer. C’est d’ailleurs une obligation pour l’État de le leur garantir », clarifie-t-elle.

Rendre aux détenues leur humanité

 

S’il est généralement admis que la détention génère un certain nombre d’interdictions, il ne faut pas perdre de vue que le sexe est au cœur de la vie humaine. L’incarcération ne doit alors rien enlever à la féminité des détenues. Cela suppose donc la promotion du planning familial dans leurs rangs afin de réduire leur vulnérabilité. Les services de planification familiale sont indispensables dans ces milieux non seulement pour les protéger contre les grossesses indésirées, mais aussi pour les mettre à l’abri des Mst/Ist et leur assurer un bien-être gynécologique.

Au surplus, préconise Me Alexandrine Saïzonou-Bédié, il faudra respecter les principes des règles Nelson Mandela notamment les règles 24 à 35 en garantissant l’existence de services de santé dans les prisons, mais également en leur garantissant l’accès aux méthodes contraceptives et en créant un cadre favorable à l’épanouissement de la santé sexuelle des femmes dans le milieu carcéral, à travers des serviettes hygiéniques, des latrines dédiées et la fourniture des soins en cas d’infection…. Elle prône l’organisation des campagnes de promotion et d’information sur la santé sexuelle et reproductive dans les prisons.

En agissant ainsi, ce serait bien faire les choses comme le conçoit Nelson Mandela selon qui, « priver quelqu’un de ses droits humains revient à le déposséder de son humanité ».