La Nation Bénin...
Les mesures en matière de planification familiale tablent
souvent peu sur les femmes privées de liberté. Le besoin reste pourtant entier
dans le milieu carcéral, le sexe faisant partie intégrante de la vie
humaine.
Pour capter son récit à peine audible, il faut être
éveillé. Un véritable filet de voix qui a tendance à vous échapper en présence
de bruits indésirables. Pour avoir fait l’une des maisons d’arrêt du Bénin
pendant six mois, Marie-Madeleine (nom d’emprunt), femme aux rondeurs
affirmées, teint clair, en a sur le cœur. Lorsqu’on l’interroge sur sa
sexualité, elle est plus ou moins à l’aise à raconter les ‘’petits jeux’’ entre
femmes. Le sujet orienté vers le personnel pénitentiaire, elle se mure dans un
silence.
« Avec mon statut de détenue en ce temps-là,
j’ignorais que je pouvais plaire à quelqu’un », souffle-t-elle.
Selon des sources bien introduites, la sexualité en milieu
carcéral est une médaille à double face : elle s’entretient entre femmes
détenues et certains membres du personnel pénitentiaire, foi des témoignages
rapportés par des Ong et autres cadres qui y ont régulièrement accès.
Dr Serge Kitihoun, directeur des services médicaux et
paramédicaux à l’Association béninoise pour la promotion de la famille (Abpf),
considère ce milieu comme un guet-apens. « Comment comprendre qu’une femme
qui entre dans cet environnement en étant saine en ressorte avec le Vih ?
Les filles tombent enceintes aussi. Sans oublier l’homosexualité et le
lesbianisme qui y ont cours ! »,
s’offusque-t-il.
En l’absence de planification familiale, les femmes sont
soumises à une double vulnérabilité. « Des gens profitent de leurs moments
de faiblesse pour abuser d’elles. Les dégâts sont visibles à travers les
grossesses. Les hommes, eux, sont exposés aux Ist », relève-t-il.
L’Ong Ceradis intervient dans le domaine de la santé
publique et communautaire au Bénin depuis plus de deux décennies. Son directeur
exécutif, Nourou Adjibadé est au courant de ces agissements. La détention
fragilise nombre de femmes et les expose à une vie de débauche contre leur gré.
« Lorsqu’elles sont sollicitées par les personnes de leur environnement, elles
n’ont plus toute leur intégrité. Le mal est donc vite arrivé », se
désole-t-il.
Même en cas de consentement, les abus sexuels prévalent
dans ces milieux. « Et si malheureusement parmi ces femmes, il y en a qui
sont déjà de mœurs légères, les dégâts sont considérables », fait-il
observer.
Violations de trop
Selon des sources concordantes, avant de bénéficier de
certains privilèges, les détenues sont parfois obligées de faire l’âne pour
avoir le foin. « Les faveurs offertes à certaines d’entre elles ne sont
jamais gratuites. Elles sont monnayées. A partir de là, le sexe peut bien
entrer en jeu », révèle le directeur exécutif de Ceradis Ong.
Il pense que les restrictions liées à la sexualité dans les
lieux de détention sont des violations de trop, réduisant le droit d’accès des
femmes aux services de planification familiale. « Les femmes détenues ont
des besoins physiologiques comme tout être humain et elles aspirent, pour
celles qui sont encore jeunes, à fonder un foyer et à procréer », souligne-t-il.
Et quand se produit l’inattendu, deux schémas s’offrent à elles : se
débarrasser de la grossesse ou garder l’enfant jusqu’à l’âge de 3 ans avant de
l’envoyer en famille.
Sur la question de la santé sexuelle et reproductive de la
femme vue sous le prisme des droits humains, Miguèle Houéto, défenseur des
droits humains, retrouve toute sa verve. « Dans les lieux de détention,
les femmes ont les mêmes droits que les hommes, y compris la santé sexuelle et
reproductive. Ces services permettent d’améliorer la qualité de vie et des
relations interpersonnelles, et d’offrir des conseils et soins relatifs à la
procréation et aux maladies sexuellement transmissibles »,
justifie-t-elle.
Au Bénin, diverses organisations ont fait de la question du
planning familial une préoccupation. Mais au fond, le sujet fait très peu objet
d’attention en milieu carcéral. « Les organisations de la société civile
qui sont dans l’offre de services de planification familiale sont-elles
autorisées à rencontrer et à discuter avec les femmes détenues pour recenser
leurs préoccupations sur le sujet ? »
s’interroge Nourou Adjibadé.
Ce que corrobore Miguèle Houéto en évoquant l’accès limité
aux prisons et maisons d’arrêt aux organisations, le silence des détenues
privées de leurs droits à la santé sexuelle et reproductive, du fait de leur
méconnaissance ou de l’ignorance desdits droits.
En principe, les choses devraient se passer autrement, au
regard de l’effectif des femmes détenues. Selon Balbylas Gbaguidi, président de
Prisonniers sans frontières, le Bénin figure parmi les pays ouest-africains à
forte population carcérale féminine évaluée à plusieurs centaines en août 2023.
Parmi celles-ci, un nombre non négligeable serait en état de grossesse et
d’autres vivent avec leurs enfants.
Au niveau de la direction générale de l’Administration pénitentiaire et des droits de l’Homme, ces données ne sont ni infirmées ni confirmées. Seule certitude, elles fluctuent et le Bénin serait bien loin derrière le Sénégal.
Interpellations
Le rapport 2020-2021 de la Commission béninoise des droits
de l’Homme (Cbdh) sur l’état des droits de l’Homme au Bénin et le Plan d’action
national budgétisé de planification familiale 2019-2023 sont laconiques sur le
planning familial.
Me Alexandrine Saïzonou-Bédié, avocate au barreau du Bénin,
commissaire à la Cbdh, considère ces dysfonctionnements comme une injustice.
« La santé sexuelle et reproductive des femmes en détention est prise en
compte dans les textes et lois, mais il faut des textes spécifiques pour protéger
leurs droits et surtout leur permettre d’avoir accès à une santé sexuelle
épanouie en tenant compte de la privation de la liberté d’aller et venir, et
des conditions de détention qui n’autorisent pas une vie intime dans
l’environnement carcéral. Nous sommes tous coupables et interpellés pour
remédier à cette injustice », admet-elle.
Dans l’immédiat, il va falloir revoir à la hausse la
fréquence des interventions relatives à la planification familiale (Pf) dans
ces milieux. Les quelques engagements des Ong sont épars. Les dernières actions
(notamment la distribution de préservatifs) de l’Abpf remontent à 2008 et à
2009, selon Prisonniers sans frontières.
Le gouvernement ne perd pas de vue l’enjeu. Pour Véronique
Tognifodé, ministre des Affaires sociales et de la Microfinance, « il n’y a pas
d’autonomisation de la femme sans planification familiale »,
soutient-elle, jeudi 14 septembre 2023, à l’occasion des 4es Journées
scientifiques du Collège national des gynécologues obstétriques du Bénin.
Son collègue de la Santé, Benjamin Hounkpatin, en dira
mieux au cours de la même rencontre : « Avec le Fonds des Nations
Unies pour la Population (Unfpa), nous sommes dans une dynamique de faire en
sorte que l’approvisionnement en produits contraceptifs jusqu’au dernier
kilomètre puisse être une réalité ».
Pour atteindre les derniers kilomètres du Bénin avec les
services de planning familial, il faut commencer par les premiers. Et les
premiers kilomètres doivent aussi intégrer les milieux carcéraux.
C’est depuis 1995 que le Programme d’actions de Beijing
avait tracé le canevas : « les droits fondamentaux des femmes comprennent
le droit d’être maîtresses de leur sexualité, y compris leur santé en matière
de sexualité et de procréation, sans aucune contrainte, discrimination, ni
violence ».
L’article 2 de la loi n°2003-04 du 03 mars 2003 relative à
la santé sexuelle et de la reproduction au Bénin est sans ambages :
« Tous les individus sont égaux en droit et en dignité en matière de santé
de la reproduction ; le droit à la santé de la reproduction est un droit
universel fondamentalement garanti à tout être humain, tout au long de sa vie,
en toute situation et en tout lieu… ».
Les règles Mandela, définissant les dispositions minima des
Nations Unies pour le traitement des détenus, stipulent en leurs articles 1er
et 2e que l’individu incarcéré ou détenu conserve son statut humain et ses
droits sociaux.
Des acteurs prêts à saisir la balle au bond
Partant de ces principes, les Ong sont prêtes à saisir la
perche si elles bénéficiaient de l’accompagnement de l’Etat. « Les seules
infirmeries disponibles dans le milieu carcéral ne suffisent pas pour rattraper
le retard. Si l’administration pénitentiaire accepte le principe, nous sommes
prêts à venir avec notre clinique mobile pour offrir nos services à ces hommes
et femmes », projette l’Abpf.
Et à Nourou Adjibadé d’ajouter : « Le pari est
grand. C’est un gros problème sur lequel nous devons travailler ». Pour y
arriver, Miguèle Houéto pense qu’il revient à l’Etat de simplifier les choses
afin d’accorder plus de chance aux détenues. « Le gouvernement du Bénin
doit respecter ses engagements et doter l’Agence pénitentiaire du Bénin de
moyens afin de faciliter l’accès aux services de la santé sexuelle et de la
reproduction pour les femmes détenues. Il doit revoir sa copie en ce qui
concerne les agréments au profit des organisations qui travaillent sur la
question », suggère-t-elle.
Me Alexandrine Saïzonou-Bédié approuve cette démarche. « La privation de liberté ne constitue pas un motif de perte des droits inhérents à la personne humaine, ceux-ci perdurent tout le long de la vie. Ainsi, les femmes en détention restent des êtres humains et bénéficient par conséquent du droit à la santé sexuelle et peuvent les revendiquer. C’est d’ailleurs une obligation pour l’État de le leur garantir », clarifie-t-elle.
Rendre aux détenues leur humanité
S’il est généralement admis que la détention génère un
certain nombre d’interdictions, il ne faut pas perdre de vue que le sexe est au
cœur de la vie humaine. L’incarcération ne doit alors rien enlever à la
féminité des détenues. Cela suppose donc la promotion du planning familial dans
leurs rangs afin de réduire leur vulnérabilité. Les services de planification
familiale sont indispensables dans ces milieux non seulement pour les protéger
contre les grossesses indésirées, mais aussi pour les mettre à l’abri des
Mst/Ist et leur assurer un bien-être gynécologique.
Au surplus, préconise Me Alexandrine Saïzonou-Bédié, il
faudra respecter les principes des règles Nelson Mandela notamment les règles
24 à 35 en garantissant l’existence de services de santé dans les prisons, mais
également en leur garantissant l’accès aux méthodes contraceptives et en créant
un cadre favorable à l’épanouissement de la santé sexuelle des femmes dans le
milieu carcéral, à travers des serviettes hygiéniques, des latrines dédiées et
la fourniture des soins en cas d’infection…. Elle prône l’organisation des
campagnes de promotion et d’information sur la santé sexuelle et reproductive
dans les prisons.
En agissant ainsi, ce serait bien faire les choses comme le
conçoit Nelson Mandela selon qui, « priver quelqu’un de ses droits humains
revient à le déposséder de son humanité ».