La Nation Bénin...

« A notre époque, nous n’étions pas aussi accrochés à l’argent » Tiré à quatre épingles c’est tout sourire que Placide Codjo se prête à nos questions en ce début de semaine. Arrivé la veille à Natitingou, seul au volant de sa 4x4 Highlander pour une formation au profit des agents de l’Université de Parakou, l’homme a l’allure d’un dandy. Le ton mesuré, la diction stylée, il porte si bien ses années passées au service de l’administration béninoise. Un vrai ‘’akowé’’ (commis) qui sait rendre à ses concitoyens encore en activité ce qu’il sait des procédures de l’administration publique...
La Nation : Administrateur civil à la retraite, vous aviez écrit les plus belles pages de l’administration publique béninoise en prônant le bon exemple et à travers les divers postes occupés. Aujourd’hui, qu’êtes-vous devenu ?
Placide Codjo : Pendant que j’étais encore en activité, parallèlement à mes fonctions j’étais enseignant à l’Ecole nationale d’Administration et Magistrature de l’Université d’Abomey-Calavi, à l’Ecole d’Economie et de Management de l’Université d’Abomey-Calavi, à l’Institut universitaire de Technologie de l’Université de Parakou, à la Faculté des Sciences économiques et de Gestion de l’Université de Parakou. J’interviens aussi à l’Ecole nationale de Police pour la formation des inspecteurs de Police et à l’Ecole nationale supérieure de Police pour la formation des commissaires. Au-delà de tout cela, je suis aussi formateur des agents de l’Etat et bien sûr des structures privées toutes catégories confondues et aussi auteur d’un certain nombre d’ouvrages.
Quels sont ces documents ?
Nous avons des documents de communication administrative et commerciale. Là, c’est exclusivement la rédaction administrative. Vous avez là-dedans la lettre administrative, les différentes sortes de signature, le style, la note, la circulaire, le compte rendu, le procès-verbal, la communication en Conseil des ministres…Il y a tout par rapport à la rédaction administrative. Ce document est à sa deuxième édition. Nous avons commencé depuis 1985. Nous avons également ‘’Le secret d’un bon discours’’ parce que dans nos administrations lorsqu’il y a des manifestations on dit généralement qu’il faut aller chercher les discours des années précédentes pour s’en inspirer. Je dis non, parce que rien ne prouve que le discours de l’année précédente ait été bien rédigé. On a des difficultés en réalité à faire face à cet exercice. Lorsqu’il y a un événement et qu’on doit rédiger un discours, il faut s’asseoir. Il y a deux phases : la rédaction du discours et la présentation devant l’auditoire. Nous avons abordé les deux phases. Pour faciliter la tâche aux rédacteurs, nous avons pris les évènements qui se reproduisent très souvent, à savoir la passation de service, l’ouverture et la clôture d’un séminaire et nous avons proposé le plan à suivre pour la rédaction de ces différents discours. Vous prenez une cérémonie de remise de diplômes où les récipiendaires doivent avoir un message à délivrer ainsi que l’organisateur, un anniversaire, un baptême, le plan du discours devra être respecté. En dehors de cela, la deuxième phase, c’est la présentation devant votre auditoire. Nous y avons présenté les techniques pour y faire face. Il n’est pas facile de tenir devant un auditoire. Nous avons aussi ‘’Le bréviaire de l’expression écrite et orale’’.
Le Dahomey était considéré comme quartier latin de l’Afrique mais aujourd’hui qu’est-il devenu?
C’est la question que l’on se pose d’autant plus que la jeune génération aujourd’hui s’exprime très mal. C’est grave ce qui se passe aujourd’hui. Et c’est ce qui nous a amené à lancer ce projet dénommé ‘’Assaut pour la reconquête par le Bénin, de son qualificatif de quartier latin de l’Afrique’’. Les jeunes s’expriment très mal parce qu’ils ont un problème de construction de phrase. Tout ce qu’on peut rencontrer dans la construction d’une phrase a été mis dans ce document. Nous avons également abordé la contraction de texte, la dissertation dans notre bouquin qui est intitulé ‘’Le bréviaire de l’expression écrite et orale’’ qui est à sa troisième édition. Un autre livre est celui des libertés publiques et du maintien de l’ordre.
On entend souvent dire que des gens veulent marcher et que le préfet ou le maire refuse. Est-ce que dans un régime démocratique on peut refuser aux gens de marcher ? N’est-ce pas une manière de les priver de l’expression de leur opinion ?
La marche se fait sur la voie publique et bien que vous devrez jouir de votre liberté d’expression, vous ne devriez non plus perturber les autres citoyens qui ont également le droit de circuler librement. Et c’est d’ailleurs ce qui amène le gestionnaire de la cité à prendre les dispositions pour réglementer les marches. Ainsi, pour organiser une marche, vous devez écrire une lettre au maire de votre localité et lui préciser l’heure, la date et l’itinéraire de déroulement de la marche. Bref nous avons parlé de l’arrestation, la garde à vue, la perquisition... Nous avons un dernier ouvrage portant sur la déontologie administrative et sommes partis du constat selon lequel notre administration est marquée par beaucoup de maux : le retard, l’absentéisme, le non-respect à son supérieur, tout ceci parce qu’on a des parrains politiques. A travers cet ouvrage nous avons évoqué les obligations d’un agent de l’Etat ainsi que le régime disciplinaire…
En dépit de la panoplie d’ouvrages publiés sur notre administration il est à regretter les anciennes pratiques. Aujourd’hui, n’avez-vous pas l’impression de prêcher dans le désert ?
Moi, je suis convaincu que dans le contexte actuel on peut changer les choses. Une seule hirondelle ne fait pas le printemps. Mais je suis convaincu que dans le contexte actuel, le contexte de la Rupture et du Nouveau départ, les choses vont changer. Dans ce contexte, il faut que les mauvais comportements que nous observons dans notre administration soient abandonnés afin que nous cultivions les bonnes pratiques. J’ai espoir que les choses vont changer surtout que dans le secteur universitaire, tout le monde est unanime sur la question.
Le fait qu’un régime vienne et remette en cause les attributions, l’organisation et le fonctionnement des ministères n’est-il pas un problème pour notre administration ?
Si c’est pour plus d’efficacité dans les ministères c’est une bonne chose. Mais moi je n’ai pas apprécié certaines choses. C’est vrai qu’on veut faire des économies mais ne pas tenir compte de certaines options ne me paraît pas judicieux. Lorsqu’on a supprimé les Drh (Direction des Ressources humaines), on a constaté que ça ne marche pas. En matière de gestion, le capital humain est très important. Quand on parle de retard, d’absentéisme, c’est les ressources humaines. Moi, je pensais qu’on allait même renforcer ce secteur là, mais ils ont rattaché les Drh aux directions des Affaires financières (Daf). Moi, j’ai été directeur de l’Administration (Da) dans un ministère il y a 15 ans de cela, mais à un moment, les Drh sont revenues à cause du capital humain.
En les fusionnant encore on fera certes des économies mais est-ce que ça pourrait aller surtout à un moment où l’on veut réformer notre administration. Il y a des décisions qui se prennent dans la précipitation. Avant de prendre une décision, il faut que les gens analysent tous les aspects y liés. Je veux citer deux exemples ; d’abord la décision sur le charbon et le bois qui est une très bonne décision puisque nous sommes en train de détruire notre environnement mais il fallait qu’avant la prise de cette décision, l’on en étudie tous les contours. On a pris la décision et après on revient là-dessus, puisque n’ayant au préalable réfléchi sur ses conséquences. L’autre décision que je voudrais bien évoquer, c’est les rançonnements policiers sur nos voies. Lorsqu’il a été décidé de ne plus faire ces contrôles sur les axes routiers, on a fait quartier libre aux malfrats.
Quel regard portez-vous sur la situation sociopolitique de notre pays ?
C’est un peu dommage quand vous voyez notre administration. Une administration, c’est les textes mais nous ne les respectons pas. Nous avons les meilleurs textes que nous n’arrivons pas à appliquer comme cela se doit. Si nous pouvons changer de mentalité, notre administration sera au point. La politique, ça ne m’intéresse pas ; il vaut mieux s’accrocher à ses dix doigts. Ce qu’ils peuvent vous apporter vaut plus que la politique qui réserve souvent des surprises très désagréables. Je préfère ne pas trop m’accrocher à la politique.
En matière de parcours, le vôtre semble réussi et vraiment singulier. Quels sont les comportements que la génération actuelle devrait s’approprier pour connaître une réussite à l’image de votre expérience ?
Nous avions à notre époque des valeurs. Nous n’étions pas très accrochés à l’argent. Nous savions qu’en travaillant nous sortirions de la misère. Nous avions des devanciers et notre seul but était de faire comme eux. Le seul moyen de réussir c’est de travailler. C’était une concurrence, il fallait tout faire pour aller en classe supérieure quand on était au lycée. Ce que j’aime, c’est le travail bien fait. Je fais tout pour qu’on ne me reproche pas la même chose tout le temps. J’étais très accroché à mon travail et je ne suis jamais satisfait. Quand je fais, je reprends. Ce sont-là mes secrets.
Pensez-vous avoir pu inculquer à votre progéniture ces valeurs que vous ne cessez de défendre ?
Je n’ai que trois enfants et je peux dire oui. Il ne suffit pas de faire des enfants, il faut pouvoir s’en occuper. Sur ce plan, ce n’est pas mal. Sur le plan scolaire, ils ont évolué aussi et j’en remercie le Seigneur.
Comment voyez-vous les choses dans cinq ans ou dix ans ?
C’est la relève. Pas plus tard qu’hier on m’a posé cette même question. Nous, nous sommes appelés à disparaitre et il faut bien qu’il y ait des gens pour poursuivre notre œuvre. La relève c’est très important et ce sera notre mérite d’assurer la relève ?
----------------------- L’élégance et la rigueur chevillées au corps --------------------------
Retraité, Placide Codjo mène une vie bien active avec de nombreuses sollicitations à faire pâlir d’envie les plus jeunes. Et ne rate aucune occasion pour partager son expérience. Plus qu’un sacerdoce, sa vie actuelle est dédiée à l’animation d’ateliers de formation en pratique de la rédaction administrative et en déontologie administrative, suivant l’approche andragogique au profit des agents de l’Etat et de ceux des structures privées. Administrateur civil, il s’est distingué par un brillant parcours et la publication de plusieurs ouvrages utiles à l’administration et aux citoyens peu informés.
Des documents de communication administrative et commerciale au bréviaire de l’expression écrite et orale en passant par ‘’Le secret d’un beau discours’’ et ‘’Les libertés publiques et le maintien de l’ordre’’, il a su puiser dans sa riche expérience pour apporter sa contribution au renforcement des capacités de ses concitoyens en matière d’exercice des droits et libertés. Des ouvrages distribués par la plupart des librairies du pays. Son dernier ouvrage intitulé « Assaut pour la reconquête par le Bénin, de son qualificatif de ‘’Quartier latin de l’Afrique’’ », plus qu’un essai se veut un outil didactique à travers lequel il invite à la parfaite maîtrise de l’expression écrite et orale. L’idée de rédiger cet ouvrage tient, à ses dires, des difficultés qu’éprouvent en matière écrite et orale, l’apprenant ainsi que le produit fini sorti du système éducatif béninois. Nostalgique de ce passé où le Dahoméen passait pour un cadre émérite respecté aux confins de son pays, Placide Codjo entend modestement, à travers ce livre, redonner au Béninois d’aujourd’hui toute cette fierté qui jadis le distinguait.
Bien qu’il ne cache son appétence à voir l’avènement d’une langue endogène propre à l’Afrique, il estime que le français demeurant dans l’espace francophone, la langue de communication commune à ce grand ensemble, il importe de soigner, pour la clarté, la concision et la précision, notre expression. Entré à la Fonction publique en 1982 au terme d’études secondaires au Lycée Mathieu Bouké de Parakou et de sa formation au Collège polytechnique universitaire, il a occupé d’importantes fonctions dans l’administration publique béninoise après s’être dévoué à sa formation d’énarque, mû par cette volonté d’accéder au sommet de la hiérarchie administrative. Né vers 1955 à Kokoro dans l’ancienne sous-préfecture de Savè aujourd’hui dans la commune de Ouèssè, il dispense des cours à l’Ecole nationale d’Administration et de Magistrature (Enam), l’Ecole nationale d’Economie appliquée et de Management (Eneam) de l’Université d’Abomey-Calavi, l’Institut universitaire de Technologie (Iut), à la Faculté des Sciences économiques et de Gestion (Faseg) de l’Université de Parakou ainsi qu’à l’Ecole nationale de Police et à l’Ecole nationale supérieure de Police.