Il est de la trempe de ceux qui forgent leur résilience au long des épreuves de la vie et qui s’offrent un destin de gagnant, dans la discrétion totale, voire dans l’anonymat. Dans la localité de Honvi, un village de la commune de Tori-Bossito, Hyacinthe Fantchao dit ‘’Dadjè soja’’ n’est pas un inconnu. Au contraire, il est célébré pour ses « exploits » dans le secteur agropastoral. A lui seul, sinon en complicité avec son épouse et parfois avec l’appui de ses enfants adolescents, l’homme de 46 ans, originaire du Couffo, parvient à relier trois activités avec beaucoup de réussite: la fabrication des galettes, l’élevage des porcs et la culture du maïs. Son quotidien se déroule donc dans cet environnement agropastoral qui le passionne.
Lundi 24 juillet 2023. Il est presque 9 heures. Au bout d’une piste rurale d’une dizaine de minutes de route, se trouve
Hyacinthe. Debout, à l’accueil, il porte fièrement son habit de travail qui n’est rien d’autre qu’une tenue traditionnelle dont la blancheur a perdu de son éclat du fait de la longue durée d’utilisation. Grand de taille, l’entrepreneur agricole, père de six enfants, se fait remarquer par un large sourire qui visiblement ne le quitte jamais. Il faut passer une journée à ses côtés pour s’en convaincre. En ce début de matinée, l’agriculteur de Tori venait déjà de boucler plus de quatre heures de labeur. Sa journée, il la commence toujours à 5 heures du matin au plus tard. « C’est nécessaire de démarrer les activités très tôt. Tout doit être prêt pour que les animaux s’alimentent à l’heure habituelle», informe Hyacinthe. Il entame son labeur quotidien par le tour de son cheptel porcin sur lequel il veille comme la prunelle de ses yeux. L’élevage du porc n’a plus aucun secret pour lui. Pourtant, il l’a appris sur le tas. Véritable autodidacte, il est prêt à tous les sacrifices pour exceller dans l’élevage et le commerce des porcs. Et il fait de bonnes affaires, selon son témoignage. « Contrairement à ce qu’on peut croire, le porc est un animal qui aime la propreté. Ce qui impose à tout éleveur d’y veiller avec beaucoup de rigueur ; c’est ce à quoi nous nous attelons essentiellement tout au long de la journée », relève ‘’Dadjè soja’’ avant de donner quelques principes liés à l’élevage du porc. « Nous notons dans un cahier le jour de l’accouplement du porc et de la truie. Ainsi, nous savons qu’après trois mois, trois semaines et trois jours, la femelle doit mettre bas », explique l’éleveur. Il ajoute que l’arrivée des porcins doit se faire dans un environnement propre et surtout avec tout l’accompagnement qu’il faut pour les nouveau-nés. Mais un fait essentiel, c’est qu’il faut se débarrasser du placenta dès qu’il sort des entrailles de la truie. « Autrement, si elle mange le placenta, vous pouvez être certains qu’elle fera de même pour les porcins. C’est un principe connu de tous les éleveurs de porc », fait remarquer
Hyacinthe. S’ensuivent alors les premiers soins vétérinaires dont il se charge en personne. Pour ces soins, l’homme aux mille et une anecdotes, en raconte une autre. Au début, fait-il savoir, il sollicitait un vétérinaire pour le suivi des animaux. Mais un jour, alors qu’un des porcs agonisait, tous les appels au spécialiste pour lui porter secours ont été vains. S’appuyant sur les observations qu’il faisait lors des précédentes séances de traitement, il fait les injections au ‘’malade’’. Le résultat, se souvient-il, est immédiat : « l’animal a retrouvé sa forme et a survécu au mal qui voulait l’emporter ». Tout cela, il l’a appris peu à peu en s’informant auprès d’autres éleveurs, en recourant à ce qu’il voit faire et en rajoutant ses connaissances propres.
C’est donc à cœur-joie qu’il passe, tour à tour, dans la vingtaine d’enclos pour consulter chaque animal, s’assurer de sa bonne santé et les approvisionne en nourriture et en eau. Un exercice qui prend une bonne partie de sa matinée avant qu’il ne vaque aux travaux champêtres.
D’un endroit à un autre
Comme dans les enclos, Hyacinthe Fantchao est tout à son aise sur la superficie qu’il a emblavée. Sa culture préférée, c’est le maïs. Dans ce champ, il passe la seconde partie de sa matinée, mais avec moins d’intensité de travail. « Ici, mon travail consiste surtout à surveiller ceux que j’emploie pour le sarclage ou le labour, selon la période de la saison. Actuellement, c’est presque la fin de la maturation et on peut déjà cueillir le maïs frais ou patienter pour qu’il soit plus sec », fait comprendre l’agriculteur qui, quand il se sent un peu en force et que ses souvenirs d’enfance prennent le dessus, ne se réserve pas de mettre la main à la pâte.
Les travaux champêtres, il les pratiquait il y a quelques années dans son Couffo natal avant d’aller faire d’autres expériences professionnelles. Hyacinthe n’a rien oublié de l’essentiel et peut toujours faire les prouesses d’antan.
Avec un peu de temps libre dans l’après-midi lorsqu’il n’a pas de navettes à faire pour puiser de l’eau, l’entrepreneur agricole projette de se lancer dans l’aviculture. Il a déjà acquis pour cela les premiers poussins qui seront aussi nourris à la coque d’arachide en guise d’expérimentation.
Particulier !
Si tout semble tourner comme d’ordinaire sur cette ferme que dirige Hyacinthe depuis trois ans, l’homme qui a quitté les bancs au Cours élémentaire première année (Ce1) parce qu’il « détestait l’école », confie-t-il, a un secret. En réalité, le porcin passe 45 jours auprès de la truie avant le sevrage. Mais Hyacinthe, selon le cas, peut le laisser jusqu’à 60 jours avant qu’il ne l’autonomise dans un enclos et commence par l’engraisser. La particularité dans cette ferme, c’est qu’au nombre des produits qui servent d’aliments aux porcs, figure en bonne place la coque d’arachide. C’est une innovation qu’apporte l’agriculteur. Et il est venu à cette découverte de manière fortuite. Alors que son épouse jetait la coque d’arachide dans le champ pour s’en débarrasser, l’entrepreneur agricole réalise que les épis de maïs dans cette zone sont d’une grosseur et d’une rentabilité appréciables. « C’est là que j’ai compris que la coque d’arachide est riche en certaines substances. Mais plutôt que de continuer à la mettre dans le champ, nous avons préféré le mélanger aux produits que doivent consommer les porcs», explique-t-il. Là encore, le résultat n’a pas trahi ses attentes. «Dans la zone où nous sommes, aucun porc ne peut être comparable aux miens en matière de célérité de croissance. En deux semaines, mes porcs sont d’un poids étonnant ; ce qui confirme mes appréhensions», ajoute Hyacinthe qui rassure que d’autres intrants permettent de limiter la graisse dans les animaux. Conséquence immédiate de cette situation, il a fait augmenter la capacité de production des galettes par son épouse qu’il ne manque pas d’appuyer dans l’après-midi, les jours de transformation. « Depuis mon constat, nous faisons tout pour que la coque d’arachide ne manque plus dans l’alimentation des porcs. Heureusement, malgré l’augmentation de production de galettes sous diverses formes, nous l’écoulons facilement au marché », se réjouit le père de famille.
Si Hyacinthe a sevré le champ de la coque d’arachide, c’est qu’il a une autre idée pour que sa production de maïs continue d’avoir le même niveau. En fait, il déverse toutes les matières fécales des porcs sur la superficie emblavée. Tout comme pour le porc, le champ de maïs de ‘’Dadjè soja’’ a une rentabilité qui sort de l’entendement. « Ce sont des initiatives que nous prenons sur la base de nos constats. Et les résultats confirment souvent nos suspicions », indique-t-il
Avis d’experts
Selon un expert en productions animale et végétale qui a voulu garder l’anonymat, les « découvertes » faites par Hyacinthe dans ces activités agropastorales intégrées se retrouvent dans certaines études scientifiques. Les matières fécales du porc sont des engrais organiques. Elles sont même utilisées pour nourrir les poissons car elles sont riches en éléments minéraux. Ainsi, l'amélioration de la productivité du champ de maïs suite à l'utilisation des matières fécales des porcs peut déjà s’expliquer par le fait qu’elles améliorent l'enrichissement du sol en nutriments. Les matières fécales des porcs contiennent des nutriments essentiels tels que l'azote, le phosphore et le potassium, qui sont des éléments nutritifs importants pour les plantes. Lorsqu'elles sont utilisées comme engrais, elles augmentent la disponibilité de ces nutriments dans le sol, ce qui favorise la croissance et le développement des plantes de maïs.
De même, les matières organiques contenues dans les matières fécales améliorent la structure du sol en favorisant l'aération du sol et même une bonne infiltration de l'eau. Cela crée un environnement favorable à la croissance des plantes de maïs en favorisant l'absorption des nutriments.
Aussi, les matières fécales après un certain temps, renferment une diversité de micro-organismes tels que les bactéries, les vers de terre et autres qui stimulent l'activité microbiologique du sol. Lorsqu'ils sont intégrés dans le sol, ces micro-organismes contribuent à stimuler l'activité biologique du sol. Ils décomposent la matière organique, libèrent des nutriments et favorisent la disponibilité des nutriments pour les plantes de maïs. Cependant, soutiennent les chercheurs, l'utilisation des matières fécales du porc nécessite une connaissance et une maîtrise de gestion de ces matières fécales pour éviter les risques de contamination des eaux proches du champ d'application.
Espoir
Son secteur d’activité comporte certes des difficultés mais
Hyacinthe Fantchao a connu pire. Pour avoir exercé pendant onze années dans le gardiennage privé, il a affronté maintes difficultés sans pour autant jeter l’éponge. Sa stratégie de résilience a été de faire des économies pour organiser sa reconversion.
Des difficultés, il en rencontre aussi dans ses trois activités mais garde l’espoir en un lendemain meilleur. « Nous avons principalement deux problèmes dans le déroulement de nos activités : l’inexistence d’une source d’eau à proximité, ce qui nous fait parcourir de longues distances pour nous approvisionner, et le manque d’appui financier », détaille-t-il. Pour trouver une issue favorable au problème d’eau, il s’est engagé dans la construction d’un forage dont le chantier est encore en cours. Mais pour l’appui, toutes les visites de « personnalités » qu’il ne parvient réellement pas à identifier, sont restées sans suite favorable. Mais Hyacinthe ne se décourage pas. « La rentabilité de mes activités est garantie, surtout avec leur interdépendance et le marché qui est favorable. Il me faudra donc redoubler d’effort ; sauf que lorsque les animaux deviennent nombreux, il s’impose de les céder pour ne pas éprouver des difficultés à les alimenter », révèle l’agriculteur le plus connu de Honvi.
En attendant que les soutiens espérés ne se concrétisent un jour, Hyacinthe reçoit le réconfort de ses voisins. Odilon
Aniambossou, acteur du secteur immobilier dans la même localité, est l’un de ses plus proches amis. C’est d’ailleurs avec lui et d’autres voisins qu’il passe la soirée autour de la boisson locale très prisée en milieu « Adja », son milieu d’origine. A son égard, Odilon ne manque pas d’éloges. « Ce qu’il fait comme exploits dans cette zone est énorme. On a beau parcourir les cheptels de porcs et les champs de maïs, ses rendements sont inégalables », apprécie-t-il.
Mais l’autre casse-tête de
Hyacinthe, c’est le manque de ressources humaines pour l’appuyer dans ses travaux qui prennent toute sa journée. «Chaque fois que j’emploie un jeune, malgré la bonne rémunération, il trouve le travail fastidieux et démissionne. Visiblement, les jeunes sont en quête de facilité et ne comprennent pas encore qu’il faut se battre pour réussir », se désole-t-il. Un constat général qui s’étend presque dans tous les domaines d’apprentissage.