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Ayant tué sa mère alors qu’il ne possédait pas toutes ses facultés (1e dossier): Enock Laly Kiti acquitté après quatre ans de prison de détention

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Par   LANATION, le 27 juil. 2015 à 22h36

C’est par une affaire de parricide que s’est ouverte, hier lundi 27 juillet, la deuxième session de la Cour d’assises de la Cour d’appel de Cotonou, pour le compte de l’année 2015. Appelé à répondre des faits de la cause, le nommé Enock Laly Kiti, 31 ans, en détention préventive depuis le 8 août 2011. La Cour de céans était présidée par le premier président de la Cour d’appel, Félix Dossa, assisté de Thierry Damase Ogoubi et de Célestine Bakpé. Complétaient la composition de la cour, les jurés Thomas Honoré Emmanuel Alogou, Comlan Léon Chinkoun, Dékouhoué Hortense Tossou et Nathaniel Olabi Godonou. En charge de la défense des intérêts de la société, le Procureur général Gilles Modeste Sodonon officiait comme avocat général. De toute cette audience, la mémoire est dressée par le greffier Prosper Bienvenu Djossou.

Quelques incidents sont soulevés à l’entame de l’audience par l’avocat de l’accusé, le Bâtonnier Cyrille Y. Djikui, qui dénonce les insuffisances du dossier, dont l’absence de certaines pièces. Il insiste pour que l’expert, le professeur Mathieu Tognidé soit au procès. Celui-ci, hors du territoire national, a assuré que tout est au dossier, rassure Félix Dossa. Ensuite, c’est sur la procédure du tirage au sort des jurés que Me Djikui intervient aux fins de bien faire respecter son caractère aléatoire. Pendant ce temps, Enock Laly Kiki, accusé d’avoir donné la mort à sa mère, attend sur le banc des accusés.

Les faits pour lesquels Enock Laly Kiti est là, se sont déroulés le vendredi 5 août 2011. Aux environs de 14h ce jour-là, renseignent-ils, au quartier Adogléta (Akpakpa), Enock Laly Kiti, de retour de l’église, partage un plat d’igname frite et de galette avec sa sœur Rachelle et sa mère Philomène Kounou. Et suite à une dispute, il poignarde sa mère à cinq reprises, à l’épaule gauche à l’aide d’un couteau. Profitant du cafouillage né des appels au secours de sa sœur, il prend la clé des champs. Grièvement blessée et gisant dans une marre de sang, Philomène Kounou est transportée au cabinet «Don divin» sis à Adogléta où elle rend l’âme quelques instants après son admission. Interpellé et inculpé de parricide, Enock ne reconnaît pas les faits. Il ressort du certificat médical du 24 août 2011, que ce sont les coups de poignard reçus et les blessures faites qui ont causé la mort de Philomène Kounou. Le bulletin N°1 du casier judiciaire de l’accusé ne porte mention d’aucune condamnation. Celui-ci, invité à la barre, s’y porte d’un pas pesant. Il raconte avoir mangé ce jour-là en famille avec sa génitrice. C’est à cette occasion, raconte-t-il, qu'il se mit à entendre des voix et à avoir des visions. En somme, il ne se possédait pas sur le moment, et n’aura été ramené à lui que par les cris, lui-même se surprenant de retrouver le corps de sa génitrice ensanglanté. Saisi de peur, il se mit alors à crier « au secours ! », perturbé par ce spectacle macabre, ne sachant pas comment et quand il a pu s’emparer d’un couteau. Ce qui l’a poussé à courir et à se jeter dans un cours d’eau (le Nokoué) où il aurait pu laisser sa peau s’il n’avait été secouru. La suite, sa mère succombera à ses blessures avant d’arriver à la clinique. Enock, interrogé par la Cour, assure n’avoir pas fait usage de stupéfiant, pas plus qu’il ne consommait d’alcool, se disant chrétien fervent. Fils aîné de sa feue mère, il soutient l’aimer autant qu’elle l’aimait et lui prodiguait des conseils. Il renseigne que sa boutique où il vendait de la friperie et autres, prospérait plus ou moins, pour dire qu’il n’était pas nécessiteux ni oisif. Il vivait en bonne intelligence avec sa mère dans la même maison, où son père séjournait à l’envie, quand il n’allait pas passer du temps avec sa deuxième femme. En tout cas, Enock qui s’est laissé raconter le drame pendant qu’il était en prison, prend sur lui d’en être l’auteur, mais ne comprend pas ce qui l’a poussé à ce crime sur la personne de sa mère. Laquelle, courant la semaine du crime, a eu trois accidents pratiquement au même endroit, en rentrant du marché Dantokpa où elle vendait divers produits. L’accusé a oublié ces faits, et ce sont les questions de son avocat, lui-même informé par la famille, qui les lui ramènent à la mémoire. Autant que le mal de dent bizarre qui s’emparait d’elle quand elle rentrait à la maison, mais jamais hors de la maison.

Qu’est-il arrivé à ce garçon sans histoires ?

Enock était-il mû par des énergies qu’il ne contrôlait pas ? Faisait-il un neuro-paludisme comme il en a souffert enfant ? Quand il va s’asseoir pour céder la barre aux témoins, Enock se retire, le même pas pesant, le regard absent.
Place à Rachel Laly Kiti, coiffeuse de son Etat et jeune sœur de l’accusé. Elle raconte que ce jour-là, elle parlait avec leur maman quand son frère est revenu à la maison avec de l’igname frite et des beignets de haricot qu’ils ont mangés ensemble. Elle dit ne pas comprendre comment ni pourquoi, un moment après, son frère d’ordinaire si calme et conciliant, a pu s’en prendre à leur mère, «comme s’il était possédé, téléguidé», murmure-t-elle. Selon ses dires, lors de l’enquête préliminaire, ainsi que le lui rappelle Me Cyrille Djikui, après avoir mangé l’igname et les beignets, son frère ne se possédait plus. L’expression de son visage avait subitement changé. Elle confirme ses propos, réaffirme sa stupéfaction et indique qu’habituellement Enock n’aime même pas tuer les poulets à la maison, et qu’il s’entendait à merveille avec leur mère.
Quant à Epiphane Laly Kiti, le père de l’accusé, apparu abattu et à la gestuelle très posée, il explique à la Cour qu’il dormait quand il fut réveillé pour être informé du drame. Il se dit tout aussi surpris, tant il ne lui connaît pas un penchant belliqueux. Pour lui, Enock est sans doute victime d’un envoûtement… «C’est quand il est revenu dans la maison sur le cours des 17h, qu’il a vu un attroupement humain et qu’il s’est mis à demander ce qui n’allait pas. Quand on lui a dit qu’il a poignardé sa maman, il s’est montré surpris et a réfuté cette allégation…», se remémore le père. Pour lui, racontant les accidents répétés de feue son épouse, ce qui est arrivé n’est pas fortuit. «C’est l’œuvre du Seigneur,» lâche-t-il fataliste. Il se souvient qu’à l’âge de neuf ans, Enock a fait une crise de paludisme qui lui a causé des troubles psychiatriques. Et qu’après un tour à l’hôpital sans succès, la famille a dû le faire traiter par des guérisseurs traditionnels. Il renchérit qu’Enock est un enfant très docile qui s’entendait bien avec sa mère, et qui ne peut avoir commis cet acte de conscience. Aussi implore-t-il la Cour de le relaxer pour lui permettre de réintégrer sa famille.
Ni lui, ni sa fille Rachelle, ne se constituent parties civiles.

En proie à des troubles schizophréniques…

Selon le rapport d’examen médico-psychiatrique de l’accusé, tout porte à croire qu’il n’était pas maître de lui-même au moment des faits, qu’il ne s’explique d’ailleurs pas. Aussi, recommande l’expert, des investigations poussées devraient-elles être entreprises pour établir si, éventuellement, il était en proie à un trouble schizophrénique. Aussi devrait-il être pris en charge, conseille le rapport. C’est un garçon qui aurait une tendance à l’isolation et à l’inadaptation sociale, conduisant à le prendre pour un niais et ayant une tendance religieuse quelque peu rigide. Trop calme, sans amis, enfant le plus aimé de sa mère, il aurait été marié à une femme plus âgée que lui, ayant servi dans la buvette du père, sur encouragement de ses deux parents. Suivant l’enquête de moralité, «Enock est un garçon très timide, trop timide. Quand il n’est pas à la maison, il est sur la paroisse de son père. Son geste doit avoir été téléguidé par des forces mystiques…»
Le rapport renseigne encore que cette agression impulsive peut être due à plusieurs maladies mentales, dont l’épilepsie temporale, la schizophrénie, etc.; provoquant cette réponse émotive négative dirigée vers la mère aimée.
Au total, le rapport indique que l’accusé dit ne rien savoir des circonstances de la mort de sa mère, celle-là même qui a porté sa grossesse, avec qui il a mangé quelque temps plus tôt ce jour-là. Il n’arrive pas à donner un sens à son geste, demeure dans une ambivalence hétéro agressivité impulsive d’origine schizophrénique. Sa personnalité de base, qui se retrouve chez les schizophrènes, peut être à la base de ceci, suggère l’expert. Qui rappelle qu’il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au moment des faits. Et qui suggère de mettre Enock sous un traitement adéquat avec suivi rigoureux et régulier.

Faut-il le condamner ?

S’il est interdit de tuer, Gilles Sodonon, se fondant sur les divers examens médico-psychiatriques de l’accusé, considère qu’il y a lieu d’analyser l’acte, sa qualification, son imputabilité et l’irresponsabilité de l’accusé si besoin. Car, s’il est vrai que les faits tombent sous la qualification pénale de parricide, et que l’infraction est constituée en l’espèce, les coups portés attestant d’une volonté de nuire, l’accusé aurait cependant été, au moment des faits, sous l’emprise d’une force extérieure irrésistible. A ce propos, Gilles Sodonon s’appuie sur les conclusions scientifiques des différents examens menés par l’expert, pour retenir que le sujet n’était pas en possession de toutes ses facultés et n’est donc pas pénalement responsable. Dès lors, il sied de déclarer Enock irresponsable, de prononcer son acquittement mais de prononcer son internement dans un centre de santé mentale.
Pas tout à fait satisfait de ces réquisitions, le Bâtonnier Djikui qui, lors de la première session de l’année, avait déjà soutenu le renvoi de ce dossier à une session ultérieure pour, justement, plus de précisions au plan psychiatrique. Mais il a préféré lancer son poulain Me Clarisse Hounzali pour baliser le terrain. C’est elle donc qui, surfant sur l’affect mais aussi sur la vérité du dossier telle qu’elle apparaît, s’est employée à persuader la Cour, si besoin en était encore, de la candeur traditionnelle de l’accusé. De sa transformation subite comme décrite par sa propre sœur, et de ce que sa mère qui l’aimait tant et l’aime probablement encore d’où elle se trouve aujourd’hui, sait sans doute déjà que son fils n’était pas lui-même quand il la poignardait.
Puis, Me Djikui, répétant l’accusé qui déclarait à la barre «le Seigneur sait que je ne sais rien», exhorte la Cour à tenir compte de tous les paramètres de ce dossier : le droit, le physique, le scientifique, les faits, la sociologie et la métaphysique… Car pour lui, si un accident de la circulation est un fait imprévu, spontané, il semble curieux que la même personne subisse trois fois un accident au même endroit pratiquement, en l’espace de la même semaine. Une personne qui est prise d’un mal curieux de dent, qui ne se déclenche que quand elle est à la maison, et disparaît une fois qu’elle met les pieds dehors. Comment, poursuit-il, comprendre qu’un enfant autant aimé et aimant, qui a délibérément ramené à manger à la famille, puisse presqu’aussitôt après se muer en un bourreau… Comment encore, enchaîne le Bâtonnier, comprendre que celui qui aurait commis délibérément un tel acte et fui en attendant les cris de détresse de sa sœur, revienne quelques instants après, alors que les gens sont attroupés là, demander ce qui se passait… Au total, pour Me Cyrille Djikui, ce dossier est une affaire où la métaphysique est présente autant qu’il est constant d’après l’expert que l’accusé ne se possédait sans doute pas au moment des faits. Et si l’expertise était intervenue dans un temps très voisin de ces faits, elle aurait sans doute été plus tranchée encore, considère l’avocat qui insiste sur l’absence de l’élément intentionnel dans les faits de la cause. La même chose valant à l’égard de nombreux accusés qui croupissent dans les prisons parce que l’expertise n’est justement pas intervenue à temps, pour bien apprécier leurs actes. Aussi, Me Djikui appelle-t-il la Cour à tenir compte de ces réalités et à acquitter purement et simplement l’accusé dont l’irresponsabilité, foi de l’expert, est définitivement établie en l’espèce.
Ces lectures des faits, la Cour les a partagées. C’est pourquoi, après délibérations, elle a conclu que l’accusé n’est pas coupable de parricide. Et l’a acquitté, ordonnant sa libération immédiate, s’il n’est poursuivi pour autre cause.