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Gouvernance et réformes: Lettre ouverte au président de la République

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Charles Morel DAGBA Charles Morel DAGBA

Monsieur le président, les idéologies c’est maintenant !

Très cher Monsieur le président,    

Par   Charles Morel DAGBA, le 14 août 2025 à 12h31 Durée 3 min.
#Charles Morel DAGBA

C'est avec grand plaisir que j'ai suivi votre allocution lors de la dernière rencontre avec la jeunesse. Comme d'habitude, vous avez fait preuve de pragmatisme et de maîtrise de vos thématiques. Même si je ne suis pas d'accord avec toutes vos positions, ce fut un régal. Jusqu'à ce que vous abordiez la question des partis politiques et de l'idéologie. Ce faisant, vous avez apporté une couche supplémentaire à des propos du président de l'Assemblée nationale que nous estimons d'autant plus malheureux qu'ils ont été prononcés au pays de Felix Houphouët Boigny, celui-là même qui, de par sa différence idéologique, a creusé un écart de développement avec ses voisins, jamais rattrapé 40 ans après.

Cette conception simpliste de la gestion politique est la raison  pour laquelle quasiment sur tout le continent, les intellectuels en politique ont disparu pour laisser place aux diplômés. Elle est la raison pour laquelle la ligne entre l'administration et le politique a disparu, puisque tous les deux, à part le président de la République et ses conseillers, sont réduits à l'exécution. Elle est la raison de la disparition du débat politique qui a engendré la naissance de courants populistes au nom du panafricanisme. Ceci est bien loin de la conception de Platon, qui voulait que ce soit les philosophes qui dirigent la cité. Naturellement, il ne parlait pas de diplômés en philosophie, mais de penseurs.

"Le plus important, c'est d'apporter de l'eau et l'électricité aux populations", cette affirmation en elle-même est une idéologie. Puisqu'elle suppose que ces deux activités relèvent de la responsabilité de l'Etat. Ce n'est écrit nulle part. C'est une conception du rôle de l'Etat que nous avons copié chez les Occidentaux aux indépendances (Est et Ouest), oubliant que nous n'étions pas au même stade de développement. D'ailleurs avant la colonisation, les questions sociales dans les organisations sociétales en Afrique n'étaient pas gérées par les rois ou empereurs mais dans l’environnement direct des individus. Et je suis persuadé que je ne suis pas le seul à prétendre que nos sociétés, sur le plan social, étaient plus épanouies avant la colonisation. Ceci n'est point pour nier les atrocités dont se sont montrées capables nos sociétés, mais le fait est que ces actes aussi répugnants qu'ils peuvent être ont été commis sous un prisme propre de justice sociale.

De plus, à moins de vouloir l'apporter gratuitement, garantir une couverture nationale en fourniture d’eau et d’électricité ne veut pas dire que les populations auront les moyens de s’en procurer. Il serait donc tout à fait légitime pour quelqu'un de préférer une solution qui permette plutôt aux populations d’inciter elles-mêmes le déploiement et le niveau d’infrastructures en fourniture d’eau et d’électricité selon l’évolution de leurs revenus. Ce qui précède pour dire qu'il n'existe pas de solution mathématique pour apporter des solutions aux besoins des populations. Les solutions, donc les conceptions idéologiques, peuvent différer ; les unes plus efficaces que les autres selon le degré de développement. L’essence de la démocratie, c’est de converger vers la vérité du moment à travers les débats. Et sans diversité d’idées, d’idéologies, il n’y a pas de débat.

Monsieur le président, vous avez, dans vos propos vous-même, développé votre conception de la gestion de la cité. En résumé, libéralisme en termes de régulation des marchés, d'acquisition de savoir-faire et dirigisme en termes de mesures sociales et approche de l'économie (essentiellement top-down avec les mesures d'interdiction d'exportation et une ligne très fine entre économie nationale et comptes publics). C'est à peu près la conception des personnes de centre gauche ou comme nous les appelons, les libéraux de gauche. C'est d'ailleurs en ce sens que vous avez raison quand vous dites que les trois partis présents au parlement disent la même chose ; parce que au fond, la conception de gestion de la cité est la même ; juste que vous y mettez plus de pragmatisme. Je suis conscient que cela déplaira aux amis du parti Les Démocrates, qui ont fait du social "leur chose".

Je vais d'ailleurs profiter de l'occasion pour déconstruire deux mythes. Le premier, c'est celui des illusions sociales parcellaires. Pour qualifier une politique de socialiste, il faut qu'elle soit globale et universelle. Une mesure sociale parcellaire ne rend pas une politique socialiste, mais plutôt ponctuelle sinon inefficace.

Le second, c'est l’amalgame entre social et socialiste. Le social n'est pas l'apanage des socialistes. Ni même des hommes de gauche. Pendant que l'homme de gauche prône un social dirigé par l'Etat, les autres courants eux optent pour un social plus libre parfois avec des mesures incitatives. Je suis de droite et revendique plus de social que tout courant de gauche. Je profite pour en appeler à un débat public sur la question.

Les problèmes du dirigisme aussi, vous les avez vous-même évoqués dans votre allocution. Entre autres, le retard dans la mécanisation de l'agriculture malgré les subventions, le manque d'engagement de la population pour la bonne gouvernance. Et je vais ajouter un, la corruption qui persiste malgré une baisse de sa perception. Je reviendrai sur ce point particulier dans ma prochaine publication.

Même si les indicateurs de certains organes des Nations Unies montrent une aggravation de la pauvreté multidimensionnelle pour les plus pauvres, sur les indicateurs les plus connus (Croissance du Pib par tête, inflation, taux de pauvreté, coefficient de Gini, indice du développement humain) pris dans l'ensemble, vous aurez mieux fait que tous vos pairs de l'Uemoa sur la période. Peut-être de la Cedeao. Seulement voilà. Si on se donnait comme Target d'atteindre le niveau de vie actuel de la Finlande dans 20 ans, il nous faudrait avec les considérations les plus optimistes une croissance moyenne du Pib par tête d’environ 16 %.  Pour être un peu plus modeste, si dans 20 ans nous voulons tout juste atteindre la moyenne mondiale, il faudrait un Pib par tête d’environ 10 %. Un plan économique dirigiste réaliste qui permet d’atteindre ces objectifs, j’aimerais bien le voir pour y croire. Ce n’est pas mon école.

Monsieur le président, le Bénin a plus que jamais besoin de penseurs. De personnes capables de bouleverser les codes et de proposer des solutions disruptives. On n’innove pas dans le conformisme. Oui, nous avons besoin de partis politiques assis et actifs dans toutes les communes du Bénin. Oui, nous devons éviter l’émiettement de l’Assemblée nationale pour plus d’efficacité dans l’action publique. Oui, nous devons sortir du clanisme dans la classe politique. Mais si la réforme du système partisan se transforme en filtre d’idées, alors elle ne serait venue que pour renforcer une aristocratie que nous avons, 65 années durant, appelée démocratie. Le libéral en moi est certes constamment à la recherche du compromis, mais si le candidat de votre choix en venait à ne rien représenter d’autre que ses diplômes et son métier, je vous promets de le combattre de toutes mes forces.

 

NB : Le mouvement libéral est un think tank (laboratoire d’idées). Il n’est en rien associé au mouvement « Le libéral» devenu parti libéral.

 

Vive le libéralisme !

 

Vive le panafricanisme scientifique !

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