La Nation Bénin...
Monsieur
le président, les idéologies c’est maintenant !
Très
cher Monsieur le président,
C'est
avec grand plaisir que j'ai suivi votre allocution lors de la dernière
rencontre avec la jeunesse. Comme d'habitude, vous avez fait preuve de
pragmatisme et de maîtrise de vos thématiques. Même si je ne suis pas d'accord
avec toutes vos positions, ce fut un régal. Jusqu'à ce que vous abordiez la
question des partis politiques et de l'idéologie. Ce faisant, vous avez apporté
une couche supplémentaire à des propos du président de l'Assemblée nationale
que nous estimons d'autant plus malheureux qu'ils ont été prononcés au pays de
Felix Houphouët Boigny, celui-là même qui, de par sa différence idéologique, a
creusé un écart de développement avec ses voisins, jamais rattrapé 40 ans
après.
Cette
conception simpliste de la gestion politique est la raison pour laquelle quasiment sur tout le
continent, les intellectuels en politique ont disparu pour laisser place aux
diplômés. Elle est la raison pour laquelle la ligne entre l'administration et
le politique a disparu, puisque tous les deux, à part le président de la
République et ses conseillers, sont réduits à l'exécution. Elle est la raison
de la disparition du débat politique qui a engendré la naissance de courants
populistes au nom du panafricanisme. Ceci est bien loin de la conception de
Platon, qui voulait que ce soit les philosophes qui dirigent la cité.
Naturellement, il ne parlait pas de diplômés en philosophie, mais de penseurs.
"Le
plus important, c'est d'apporter de l'eau et l'électricité aux
populations", cette affirmation en elle-même est une idéologie.
Puisqu'elle suppose que ces deux activités relèvent de la responsabilité de
l'Etat. Ce n'est écrit nulle part. C'est une conception du rôle de l'Etat que
nous avons copié chez les Occidentaux aux indépendances (Est et Ouest),
oubliant que nous n'étions pas au même stade de développement. D'ailleurs avant
la colonisation, les questions sociales dans les organisations sociétales en
Afrique n'étaient pas gérées par les rois ou empereurs mais dans
l’environnement direct des individus. Et je suis persuadé que je ne suis pas le
seul à prétendre que nos sociétés, sur le plan social, étaient plus épanouies
avant la colonisation. Ceci n'est point pour nier les atrocités dont se sont
montrées capables nos sociétés, mais le fait est que ces actes aussi répugnants
qu'ils peuvent être ont été commis sous un prisme propre de justice sociale.
De
plus, à moins de vouloir l'apporter gratuitement, garantir une couverture
nationale en fourniture d’eau et d’électricité ne veut pas dire que les
populations auront les moyens de s’en procurer. Il serait donc tout à fait
légitime pour quelqu'un de préférer une solution qui permette plutôt aux
populations d’inciter elles-mêmes le déploiement et le niveau d’infrastructures
en fourniture d’eau et d’électricité selon l’évolution de leurs revenus. Ce qui
précède pour dire qu'il n'existe pas de solution mathématique pour apporter des
solutions aux besoins des populations. Les solutions, donc les conceptions
idéologiques, peuvent différer ; les unes plus efficaces que les autres selon
le degré de développement. L’essence de la démocratie, c’est de converger vers
la vérité du moment à travers les débats. Et sans diversité d’idées,
d’idéologies, il n’y a pas de débat.
Monsieur
le président, vous avez, dans vos propos vous-même, développé votre conception
de la gestion de la cité. En résumé, libéralisme en termes de régulation des
marchés, d'acquisition de savoir-faire et dirigisme en termes de mesures
sociales et approche de l'économie (essentiellement top-down avec les mesures
d'interdiction d'exportation et une ligne très fine entre économie nationale et
comptes publics). C'est à peu près la conception des personnes de centre gauche
ou comme nous les appelons, les libéraux de gauche. C'est d'ailleurs en ce sens
que vous avez raison quand vous dites que les trois partis présents au
parlement disent la même chose ; parce que au fond, la conception de gestion de
la cité est la même ; juste que vous y mettez plus de pragmatisme. Je suis
conscient que cela déplaira aux amis du parti Les Démocrates, qui ont fait du
social "leur chose".
Je
vais d'ailleurs profiter de l'occasion pour déconstruire deux mythes. Le
premier, c'est celui des illusions sociales parcellaires. Pour qualifier une
politique de socialiste, il faut qu'elle soit globale et universelle. Une
mesure sociale parcellaire ne rend pas une politique socialiste, mais plutôt
ponctuelle sinon inefficace.
Le
second, c'est l’amalgame entre social et socialiste. Le social n'est pas
l'apanage des socialistes. Ni même des hommes de gauche. Pendant que l'homme de
gauche prône un social dirigé par l'Etat, les autres courants eux optent pour
un social plus libre parfois avec des mesures incitatives. Je suis de droite et
revendique plus de social que tout courant de gauche. Je profite pour en
appeler à un débat public sur la question.
Les
problèmes du dirigisme aussi, vous les avez vous-même évoqués dans votre
allocution. Entre autres, le retard dans la mécanisation de l'agriculture
malgré les subventions, le manque d'engagement de la population pour la bonne
gouvernance. Et je vais ajouter un, la corruption qui persiste malgré une
baisse de sa perception. Je reviendrai sur ce point particulier dans ma
prochaine publication.
Même
si les indicateurs de certains organes des Nations Unies montrent une
aggravation de la pauvreté multidimensionnelle pour les plus pauvres, sur les
indicateurs les plus connus (Croissance du Pib par tête, inflation, taux de
pauvreté, coefficient de Gini, indice du développement humain) pris dans
l'ensemble, vous aurez mieux fait que tous vos pairs de l'Uemoa sur la période.
Peut-être de la Cedeao. Seulement voilà. Si on se donnait comme Target
d'atteindre le niveau de vie actuel de la Finlande dans 20 ans, il nous
faudrait avec les considérations les plus optimistes une croissance moyenne du
Pib par tête d’environ 16 %. Pour être
un peu plus modeste, si dans 20 ans nous voulons tout juste atteindre la
moyenne mondiale, il faudrait un Pib par tête d’environ 10 %. Un plan
économique dirigiste réaliste qui permet d’atteindre ces objectifs, j’aimerais
bien le voir pour y croire. Ce n’est pas mon école.
Monsieur
le président, le Bénin a plus que jamais besoin de penseurs. De personnes
capables de bouleverser les codes et de proposer des solutions disruptives. On
n’innove pas dans le conformisme. Oui, nous avons besoin de partis politiques
assis et actifs dans toutes les communes du Bénin. Oui, nous devons éviter
l’émiettement de l’Assemblée nationale pour plus d’efficacité dans l’action
publique. Oui, nous devons sortir du clanisme dans la classe politique. Mais si
la réforme du système partisan se transforme en filtre d’idées, alors elle ne
serait venue que pour renforcer une aristocratie que nous avons, 65 années
durant, appelée démocratie. Le libéral en moi est certes constamment à la
recherche du compromis, mais si le candidat de votre choix en venait à ne rien
représenter d’autre que ses diplômes et son métier, je vous promets de le
combattre de toutes mes forces.
NB
: Le mouvement libéral est un think tank (laboratoire d’idées). Il n’est en
rien associé au mouvement « Le libéral» devenu parti libéral.
Vive
le libéralisme !
Vive
le panafricanisme scientifique !
Charles Morel DAGBA