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Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication: 30 années sur le chantier de la liberté de la presse

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Noël Allagbada Noël Allagbada

La liberté de la presse ! Un véritable chantier de tâches multiples et complexes ouvert depuis trois décennies pour consolider et développer la démocratie et l’Etat de droit en République du Bénin. Focus sur une institution dont la création et la vie ne laissent pas les Béninois indifférents.    

Par   Noël ALLAGBADA, le 25 juin 2024 à 06h53 Durée 4 min.
#HAAC

Dès les premières années de l’indépendance du Dahomey, les journalistes ont été confrontés à des tribulations et vexations diverses dans l’exercice de leur profession. De 1960 à 1972, la situation dans le monde des médias était plus ou moins confuse en ce qui concerne les conditions d’exercice, en rapport avec l’affirmation de la liberté de la presse aussi bien dans la première Constitution que dans les autres qui seront adoptées par les différents régimes.

Dans toutes les Constitutions, la liberté de la presse a été inscrite au nombre des principes qui doivent guider la conduite de l’Etat. La Constitution d’août 1977, tout en affirmant la primauté du Parti de la révolution populaire du Bénin (Prpb) sur toutes les activités de la vie nationale ne fait pas l’économie de l’affirmation de la liberté de la presse afin de donner des gages de légitimité et de légalité pour le régime du Parti-Etat. Mais, dans la réalité, d’un régime à un autre, le monde de l’information et ses travailleurs subissaient chaque fois le diktat des maitres du moment, dès que le pays entrait dans une zone de turbulence, plus ou moins longue.

Les débats au cours des travaux de la Conférence nationale de 1990 ont fait apparaitre nettement que la démocratie et l’instauration de l’Etat de droit ne peuvent être effectives sans la liberté de la presse et l’indépendance des journalistes dans l’exercice de leur métier. Le professionnalisme des journalistes des organes de presse gouvernementaux, tant dans les relations factuelles que dans les commentaires et analyses, pendant les dix jours des assises, a mérité une motion de félicitations des participants.

Mais, la nécessité de dépasser enfin la proclamation, sans lendemain, de la liberté de la presse dans la Constitution n’a pas été aisée à mettre en œuvre. Il a fallu un temps relativement long pour que les protagonistes de la scène politique parviennent à s’entendre sur le mécanisme institutionnel de mise en application de la disposition prévue par la Constitution, qui dit : « La liberté de la presse est reconnue et garantie par l’Etat. Elle est protégée par la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication dans les conditions fixées par une loi organique (Haac). »

La Haac est donc le « sésame » dont il va falloir désormais s’assurer de la pertinence et de l’efficacité pour éviter que le domaine de l’information ne retourne à son statut d’otage du pouvoir politique, et plus précisément du gouvernement en place, à la prochaine crise au sommet de l’Etat. Mais la mise en place effective de cette institution inédite dans l’histoire du pays depuis son indépendance en 1960 va se révéler être une véritable bataille entre les animateurs de la nouvelle classe politique qui prenait ses marques.

Une fois l’euphorie de la Conférence nationale passée, bien de questionnements ont surgi parmi les acteurs politiques sur le statut à conférer à la Haac dans le nouvel arsenal institutionnel de la République du Bénin. Une institution indépendante de toute tutelle ? Une structure administrative, à placer sous la tutelle du ministère chargé de l’Information et de la Communication ? Quels seront les profils des membres ; uniquement les travailleurs des médias ou ouverture à d’autres professions compte tenu des missions de régulation du fonctionnement des organes de presse à lui confiées ?

Pendant l’année de la Transition, par la Loi 002 du 21 janvier 1991, le Haut Conseil de la République avait pris soin de mettre en place le Conseil national de l’audiovisuel et de la communication (Cnac) pour commencer à réguler le fonctionnement des médias d’Etat, qui occupaient encore l’essentiel de l’espace médiatique pendant que les futurs promoteurs dans le domaine s’organisaient pour prendre leurs marques. Le Cnac aura surtout à faire ses preuves pendant les premières élections législatives et la présidentielle de février et mars 1991. Tout le processus des campagnes électorales se fera sous son autorité, avec la supervision du Haut Conseil de la République agissant comme Cour constitutionnelle. Il est revenu au Cnac d’organiser et de superviser la couverture médiatique de ces élections qui ont mis aux prises plus d’une dizaine de listes pour les législatives et autant de candidats pour la présidentielle.

La Loi organique relative à la Haac a été votée par la première législature de l’Assemblée nationale, et promulguée le 21 août 1992.  Sa composition, ses attributions et son fonctionnement ont été précisés, mais avant même son installation, il a fallu voter en septembre 1993 une loi portant amendement des articles 15 et 16 consacrés à sa composition. En effet, sur les neuf (9) membres prévus pour constituer l’institution, il revient à l’Assemblée nationale de désigner trois (3) personnalités; trois (3) par le président de la République, et les journalistes et techniciens de l’Audiovisuel élisent en assemblée générale leurs trois (3) représentants à raison d’un pour la presse écrite, un pour la presse audiovisuelle et un pour les techniciens.

Ce sont les premières désignations par le Législatif et l’Exécutif qui ont fait réagir les professionnels de l’Information, à travers l’Association des journalistes du Bénin (Ajb), seule organisation légale et représentative des journalistes et travailleurs des médias à l’époque. Dans la mesure où la loi laisse au président de la République, la prérogative de nommer le président de la Haac, après consultation du président de l’Assemblée, par décret pris en Conseil des ministres – contrairement aux dispositions des lois organiques de toutes les autres institutions- l’Ajb a perçu dans les premières désignations faites par les deux institutions une volonté, à peine voilée, de récupération dès le début. A l’origine de cette perception, les profils nettement politiques des nommés, pour être connus comme des membres des formations politiques, voire des candidats à divers niveaux aux élections de 1991.C’est pourquoi, l’amendement a consisté à préciser, un tant soit peu, les compétences attendues des personnalités en provenance de la présidence de la République et de l’Assemblée nationale. A savoir un communicateur, un juriste et une personnalité de la société civile. 

Une mise en place laborieuse

Mais cela n’a pas suffi à accélérer le processus de mise en place de l’institution. L’étendue des pouvoirs à lui conférer, la nature des relations qu’elle aura à entretenir avec le ministère en charge de l’Information ont été autant de points d’achoppement pendant de longs mois entre les partisans d’un démantèlement total du monopole de l’Etat dans le domaine de l’information, et ceux qui estiment qu’il n’est pas concevable que l’Etat se désengage totalement d’un domaine considéré comme très sensible dans l’organisation générale de la vie nationale. En effet, dans un Etat de droit, l’information est au départ et à l’arrivée de tout le processus d’échanges sur les faits et événements qui structurent le vivre - ensemble de toutes les composantes de la société.  Et de façon particulière  les participants à la Conférence nationale, toutes  sensibilités confondues, ont pu se rendre comptes de la grande contribution des journalistes au succès retentissant de leurs travaux, à travers les échos  qu’en ont donnés les comptes-rendus quotidiens des journalistes; bien que provenant dans leur grande majorité de la presse gouvernementale, à l’exception de quelques envoyés spéciaux de médias étrangers  arrivés pour être témoins de cet événement inédit dans l’histoire contemporaine de l’ Afrique.

Une fois la loi organique promulguée, les débats n’en ont pas moins continué jusqu’au 14 juillet 1994, jour où furent enfin installés les neuf membres de la première mandature de la Haac. L’institution à qui la Constitution confie désormais la « mission de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse, ainsi que de tous les moyens de communication de masse dans le respect de la loi » peut alors prendre ses marques pour veiller aussi «au respect de la déontologie en matière d’information et à l’accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d’information et de communication ».

D’une mandature à l’autre, l’accomplissement de la mission n’a pas été une sinécure pour les différentes équipes. Chaque mandature a été confrontée à des problèmes, des situations plus ou moins complexes en matière de gestion de la liberté de la presse, et de la protection des journalistes. Et cela, en cinq années de mandat unique de 1994 à 2019 pour chaque mandature, avant l’amendement de la Constitution de 1990 qui autorise un deuxième mandat à partir de 2024. 

Il est revenu à la première mandature (1994-1999) de poser les bases sur lesquelles la Haac doit fonder ses actions telles que prescrites par la Constitution; la première étant la mise en application de sa loi organique dont l’article 4   fait d’elle « une institution indépendante de tout pouvoir politique, association ou groupe de pression de quelque nature que ce soit ».

Ancrage dans le paysage médiatique

L’élaboration des textes, des règlements et décisions pour ancrer la structure dans le paysage institutionnel du Bénin a été la préoccupation majeure. Le bilan peut être résumé en l’ouverture de l’espace audiovisuel pour les radios et télévisions privées en 1998, après qu’une loi a été votée en août 1997 pour la démonopolisation de l’espace audiovisuel béninois. C’est sous cette mandature que fut mise en application  la disposition de la Loi organique qui associe désormais la Haac  à la procédure de « nomination  par le chef de l’Etat en Conseil des ministres, des directeurs des organes de presse publique » : il s’agit de la radiodiffusion et de la télévision nationales, ainsi que le directeur de la station régionale de la radiodiffusion de Parakou, le directeur général  de l’office national chargé de l’édition du quotidien national d’information ainsi que son directeur de publication, et enfin le directeur de l’agence nationale de presse. L’institution et le mécanisme d’attribution de l’aide de l’Etat à la presse privée ont été aussi un volet important de l’action des premiers membres de la Haac. Enfin, l’accès équitable des partis, organisations et citoyens aux médias de service public a été un champ non moins important de ces pionniers qui ont eu à concevoir, élaborer et suivre la mise en application par les journalistes – secteur public et secteur privé- des décisions pour la préparation, et la couverture intégrale de la campagne médiatique des élections législatives de 1995 et de la présidentielle de 1996. 

La deuxième mandature (1999-2004) s’est employée  à consolider  les   acquis  tout en se préoccupant de veiller à ce que ces premières années  de l’existence de la Haac contribuent à en faire un pilier solide de la construction de l’Etat de droit. A l’endroit des premiers partenaires que sont les journalistes et autres travailleurs des médias, il s’est agi  de trouver les cadres d’échanges  les plus adéquats  afin que l’ensemble des questions relatives  à la vie des médias, et aux conditions de travail des animateurs  commencent par trouver des pistes de solutions . C’est ainsi que dans la cadre de la mise en œuvre de l’aide de l’Etat à la presse privée, le projet de création d’une infrastructure pour abriter les activités des organisations faitières a été arrêté et réalisé. Il s’agit de la « Maison des médias – Thomas Megnansan»). Du nom du premier Directeur de publication du premier quotidien national d’information du Dahomey « Daho-Express », le 1er aout 1969. Il a été une grande figure des médias nationaux ; il a été le seul représentant de la presse béninoise à la Conférence internationale sur la presse organisée en 1991 par l’Unesco à Windhoek (Namibie) qui a institué la Journée internationale de la liberté de la presse, le 3 mai.

L’élaboration d’une Convention collective applicable aux journalistes de la presse privée a été la seconde préoccupation de la deuxième mandature. Face aux conditions de travail et surtout la faiblesse de rémunérations- quand elles sont versées-  assurées par les promoteurs, il fallait engager une action. La réflexion a été lancée et les premières démarches engagées avec les associations des journalistes et des promoteurs des médias avant la fin de la mandature. C’est avec les autres mandatures que ce projet va connaitre des développements qui aboutiront à sa signature, sous la supervision du ministère du Travail.

Avec le gouvernement, une controverse interviendra à propos des nominations des responsables des organes du service public. En effet, la mandature a voulu revoir la procédure de sélection des candidats à proposer à nomination par le président de la République. A l’opposé de leurs prédécesseurs qui avaient soumis au chef de l’Exécutif une liste de noms jugés capables d’assumer les charges, au terme des phases de sélection, les membres de la mandature ont estimé qu’ils pouvaient communiquer les seuls noms des personnes estimées par la Haac à être nommées aux différents postes. Cette procédure n’a pas reçu l’assentiment du gouvernement.  Une controverse a fini par naitre entre les deux institutions, particulièrement sur le candidat à nommer pour le poste de directeur général de l’Office de radiodiffusion et télévision du Bénin (Ortb). En fin de compte, le gouvernement a fait son choix sur la liste des postulants sélectionnés par la Haac, sans tenir compte de l’ordre des notations, comme elle l’avait souhaité. Une fois le nom de l’intéressé publié à l’issue du Conseil des ministres, le président de la Haac, et un citoyen ont saisi la Cour constitutionnelle pour violation de la disposition de la Loi organique relative à la procédure des nominations. Dans sa décision, la Cour a statué que «lorsque la proposition à nomination est obligatoire, l’autorité ayant pouvoir de nomination ne peut que choisir sur la liste de candidats à elle proposée ; que le cas échéant, elle peut demander de nouvelles propositions ; que l’organisme consultatif propose plusieurs candidats entre lesquels l’autorité de décision fait son choix ». Suite à cette décision, il est apparu que l’institution de régulation des médias doit se préparer à gérer des situations du genre avec l’Exécutif qui pendant des décennies avait un pouvoir de direction et de gestion sans partage sur les organes de presse publique.

La troisième mandature (2004-2009) a été aussi confrontée à cette même situation de malentendu avec le gouvernement pour les nominations. Le processus a connu un total blocage ; ce qui n’a pas empêché le gouvernement de désigner des personnes aux postes de directeurs généraux de l’Ortb et de l’Abp qu’il fallait pourvoir. Cette fois-ci, ce sont des citoyens qui ont saisi la Cour ; cette dernière a statué que, et le gouvernement et la Haac ont violé la Constitution. Pour ne pas avoir poursuivi les échanges afin de parvenir à un consensus ? Toujours est-il que la procédure n’a pas été reprise, et les directeurs nommés sans proposition de la Haac sont restés à leur poste respectif, jusqu’à la fin de la mandature.  Il y a eu un autre point de friction avec l’Exécutif.  Il s’agit de l’attribution de fréquences à de nouveaux promoteurs de radiodiffusions et de télévisions par la Haac, conformément à la Loi organique et à la loi sur la démonopolisation de l’espace audiovisuel. L’institution a lancé et conduit le processus jusqu’à la phase de sélection et de publication de la liste des promoteurs admis à bénéficier des nouvelles fréquences. Il revenait ensuite au ministère chargé de l’Information de produire le rapport technique sur la disponibilité effective des fréquences attribuées, avant la signature des conventions entre la Haac et les promoteurs. A aucune étape de la procédure, en particulier lors de la publication du tableau des fréquences retenues pour attribution, le ministère ne s’est manifesté pour faire des observations. Les candidats ont payé au Trésor public les frais exigés, mais au dernier moment, le gouvernement, par la voix du ministre de l’Information a annoncé l’indisponibilité de fréquences. Le dossier est resté en l’état jusqu’à la fin de la mandature aussi.

L’action de la quatrième mandature (2009-2014) a été marquée  par l’instauration des auditions publiques  des promoteurs  et des responsables des rédactions des organes dont les prestations  ont été   épinglées  pour violation de la déontologie  journalistique .Par cette approche , la Haac entendait  mettre en application la disposition de l’article 6 de la Loi organique  qui l’invite à « prendre toute initiative  et organiser toute action de nature à accroitre le respect de la déontologie et de l’éthique , la conscience professionnelle .» Cet exercice, présenté comme « une approche pédagogique », a conduit plusieurs responsables de médias à défiler devant les neuf membres de la Haac, assistés des directeurs techniques, pour s’expliquer sur certaines de leurs productions   jugées comme non respectueuses, aussi bien du Code de déontologie de la presse béninoise, que des dispositions de la Loi organique et du Code pénal dans sa partie concernant les délits en matière de presse.  Le cas le plus significatif a été celui du quotidien « Le Béninois libéré », à qui il sera reproché le contenu d’un article qualifié de délit d’offense non seulement au chef de l’Etat béninois, mais aussi à ses pairs du Conseil de l’Entente arrivés à Cotonou pour un Sommet. A l’issue d’une audition houleuse, la décision de mettre fin à la parution du journal est prise, ainsi que l’interdiction de toute activité dans un organe de presse du Bénin à son directeur général et au directeur de publication. Mise en application, sans délai, la décision est déférée par l’avocat du journal devant la chambre administrative de la Cour suprême qui l’invalidera au terme de deux années de procédure judiciaire.  Le journal a pu reprendre ses parutions, avec son équipe de responsables.

Des décisions controversées

Installée en juillet 2014, la cinquième mandature (2014-2019) va rester dans l’histoire de la régulation des médias comme celle dont le président a suspendu la parution d’un quotidien dans un premier temps, avant que l’institution ne prononce son interdiction de parution.  Il s’agit de « La Nouvelle Tribune » dont les démêlés avec la Haac ont focalisé l’attention de l’opinion, au Bénin comme à l’étranger, pratiquement pendant toute la dernière année de la mandature.  En effet, c’est le 23 mai 2018 que, le président de la Haac signe la décision suite à une série d’articles indexés comme « donnant dans le registre injurieux, attentatoire à la vie privée du chef de l’Etat, et ignorant la responsabilité sociale du journaliste ». L’audition du directeur de publication ne permettra pas de trouver une solution à une situation qui se transforme plutôt en un dialogue de sourds ; dans ce cas aussi, la controverse a duré jusqu’à   la fin de la mandature.  Il faut attendre juillet 2021 pour que la Cour d’appel saisie, se prononce pour la levée de l’interdiction.

C’est aussi au cours de cette cinquième mandature qu’une station de radiodiffusion va connaitre une situation qui tient tout à la fois d'un imbroglio technique, juridique et politique. Après avoir satisfait aux exigences légales et administratives, la radio « Soleil Fm » est autorisée à émettre, principalement sur les villes de Cotonou, Porto-Novo et ses agglomérations. Mais des problèmes de brouillage de ses émissions sont constatés par le promoteur, et signalés à la Haac. Les investigations sur le phénomène n’aboutissent à aucune solution concrète. Par ailleurs, le promoteur – un homme d’affaires bien en vue – qui avait installé les studios de production à Cotonou, alors que le siège, l’administration et les infrastructures de diffusion sont dans la Commune de Sèmè-Kpodji est sommé de déménager les studios dans cette localité, présentée comme le siège de l’entreprise au moment de la signature de la convention d’installation. Sur un autre plan, le promoteur aurait fait savoir à la Haac que son entreprise avait été constituée comme une société de diffusion de droit français. Situation qui va être considérée comme une manœuvre pour ne pas répondre, le cas échéant, à certaines interpellations de l’institution de régulation des médias béninois.

Candidat à l’élection présidentielle de 2016, le promoteur, arrivé troisième au premier tour et qui a décidé de faire partie de l’alliance des partis qui vont soutenir le candidat arrivé deuxième au premier tour, se retrouve impliqué dans une affaire de trafic de drogue, dès l’avènement du candidat à qui il avait apporté son soutien. C’est pour lui le début de difficultés avec la justice, et qui vont l’amener à quitter le Bénin alors que la procédure pour faire la lumière sur l’affaire suivait son cours. Sa condamnation par contumace est prononcée, mais ses avocats ont vu dans le verdict un règlement de compte politique entre lui et le président élu. Même s’il faut se garder de toute considération politicienne, les tribulations politico- judiciaires du promoteur ne sont pas totalement étrangères à la disparition de «Soleil Fm » du paysage médiatique béninois, suite à la situation de précarité dans laquelle les travailleurs se sont retrouvés.

Les membres de la sixième mandature ont débuté leur exercice le 14 juillet 2019.  La gestion médiatique de l’élection présidentielle de 2021 a été le premier dossier majeur auquel ils ont été confrontés.  Cette activité, que chaque équipe est appelée à mener avant la fin de l’unique mandat de cinq ans, en vigueur jusqu’aux amendements à la Constitution de 1990 votés en novembre 2019, qui autorisent pour l’institution un second mandat pour les membres. Par ailleurs, le processus de sélection des représentants des médias a connu un changement significatif en devenant une véritable opération électorale conduite par la Haac, assistée de la structure nationale chargée des élections en République du Bénin, à savoir la Commission électorale nationale (Cena).

Mais, en attendant de passer la main à leurs successeurs, les membres de la sixième mandature laissent un important dossier de régulation ouvert en août 2023.En effet, le 8 août, la Haac rendait publique une décision suspendant « jusqu’à nouvel ordre » toutes les publications du Groupe la Gazette du Golfe « pour apologie des coups d’Etat ». Quelques jours plus tôt, l’institution avait diffusé un communiqué invitant les médias béninois à éviter de «faire l’apologie des coups d’Etat », suite à la prise du pouvoir par les militaires au Niger, le 26 juillet 2023.  Elle a estimé que le traitement de l’événement par la télévision Golfe Tv n’a pas tenu compte du communiqué qui pouvait être considéré comme une mise en garde. Dix mois après, alors que l’institution se prépare à tourner une fois de plus une page de son histoire, la suspension de parution de toutes les publications du premier groupe indépendant de presse privée du Bénin constitue un sérieux point d’interrogation dans la vie et le cheminement de la Haac, trente années après sa création. 

En trois décennies, l’institution de régulation des médias et des   activités de communication a connu des péripéties qui montrent la complexité et la délicatesse des questions dont le traitement relève de sa compétence, conformément à la Constitution et aux textes qui fondent son action.

Une grave insuffisance

Chacune des mandatures a eu à gérer toutes les implications médiatiques des élections législatives et présidentielles organisées pour asseoir l’Etat de droit et la démocratie après la Conférence nationale de février 1990. C’est une tâche principale, voire capitale dont toutes les mandatures se sont acquittées très correctement. En effet, aucune crise, post ou préélectorale, n’est née de la manière dont la Haac gère cette étape essentielle dans la préservation et la consolidation de la démocratie. Ces activités intenses, parfois complexes et difficiles dans le suivi des prestations des médias ont été globalement menées avec la rigueur et l’autorité nécessaires, chaque fois que de besoin.

La question du respect de la déontologie est apparue comme étant le point d’achoppement que chaque mandature a traité selon le contexte politique du moment, et surtout son appréciation de la gravité des prestations indexées. Certaines décisions, en particulier les interdictions et suspensions de parutions ont été objet de controverses non seulement au niveau des journalistes mais aussi de l’opinion. Surtout quand les mesures dites conservatoires finissent malheureusement par entrainer la fermeture des organes par les promoteurs, incapables d’assurer leurs responsabilités financières de tous ordres quand une solution n’est pas trouvée dans un délai raisonnable avec la Haac. Il est, en effet, regrettable qu’une mandature laisse « en héritage » la suspension ou la fermeture d’une entreprise de presse qui totalise des années de fonctionnement appréciables : comme c’est le cas avec le groupe « La Gazette du Golfe », véritable pionnier de la presse privée au Bénin depuis 1987, année de parution du magazine écrit, avant son développement par la création de la radio et la télévision en 1997-1998.  Certes, les décisions de la Haac sont susceptibles de recours devant la Cour constitutionnelle et la Cour suprême, selon la nature du manquement mis en cause, mais chaque mandature devrait se donner l'impératif de résoudre les problèmes survenant lors de son exercice.

En trente années d’existence et de fonctionnement, la Haac, paradoxalement, doit faire face à une insuffisance assez grave: le manque de communication sur ses activités aussi bien à l’endroit des travailleurs des médias que l’opinion publique. C’est une lacune à combler, en tirant les enseignements idoines des différentes réactions enregistrées pendant ce parcours de trois décennies. Une approche pourrait être la création d’une publication périodique sur les activités phares de l’institution, et en fin de mandat chaque mandature doit rendre publique une synthèse des tâches identifiées et exécutées pendant son exercice. L’expérience a été engagée par la deuxième mandature, mais n’a pas eu de suite.

(Conseiller à la Haac – 1990-2004)