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Indisponibilité de terres cultivables:Bonou face à l’incurable gangrène des CAR et URCAR

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Par   Josué F. MEHOUENOU, le 17 févr. 2015 à 05h55

La commune de Bonou aurait pu être une bonne source d’approvisionnement en produits agricoles pour le Bénin et les pays voisins, si elle n’avait pas connu ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui « la crise des CAR et URCAR». Laquelle a empêché la mise en valeur de plus de la moitié de ses superficies cultivables.

« La commune de Bonou occupe une superficie de 250 km² dont 11.000 hectares de terres cultivables. Sur ces 11.000 hectares, les Coopératives d’aménagement rural (CAR) occupent 6.841 hectares, soit plus de la moitié. Donc, il reste à peine 5.000 hectares disponibles réservés pour l’agriculture dans toute la commune. Ce qui fait que le problème de disponibilité de terres se pose à Bonou avec acuité», confie Yavoédji Godonou, responsable du Centre de promotion agricole (RCPA) de la localité. La crise que connaît depuis plusieurs années les Coopératives d’aménagement rural (CAR) et leur faîtière, les Unions régionales coopératives d’aménagement rural (URCAR) a porté un coup dur à la production à Bonou, une commune hautement agricole. Conséquence, les populations se rabattent sur les terres de la Vallée, c’est-à-dire les terres des plaines inondables.

Que de difficultés!

Sauf que là-bas, ce n’est pas souvent l'Eldorado. «Sur ces terres, on est malheureusement confronté au problème de l’eau. Lorsque les producteurs mettent en place leurs cultures, il y a l’inondation qui vient tout ravager», constate le RCPA de Bonou. En mars 2014, indique-t-il, il y a eu plus de 500 hectares de cultures emportées par l’eau, y compris des trous à poissons et «les dégâts ont été estimés à plus de 500 millions de F CFA».
Il faut, en plus de ces difficultés, suer sang et eau, puis être sur le qui-vive. De nombreux agriculteurs ont péri dans ces plaines. Certains sont devenus invalides à vie, tandis que d’autres en gardent des séquelles pour le restant de leurs jours. Ceci, du fait des affrontements avec les peulhs nomades et leurs pâturages.
«Les peulhs transhumants viennent dans la commune courant décembre à mars. Actuellement, ils sont présents à Bonou, avec plus de 5 000 têtes de bœufs. Leur présence occasionne d’énormes dégâts tant sur les cultures que sur les êtres humains», confie Yavoédji Godonou. Les derniers affrontements remontent selon lui, au 14 janvier dernier. Ils se sont déroulés dans le village de Dogba dans l’arrondissement d’Atchonsa. «Le bilan de ces affrontements se résume à un jeune blessé gravement, avec le poignet droit amputé et un coup de machette sur la cuisse gauche. Son second, H. A., lui était porté disparu», détaille le RCPA. Se référant aux comportements des bouviers peuhls, certaines populations en déduisent déjà que le porté disparu aurait été charcuté par ses agresseurs qui l’auraient sans doute jeté dans la brousse, au moment de leur fuite. A Bonou, comme dans de nombreuses autres localités du Bénin, les affrontements du genre sont devenus assez fréquents d’ailleurs.
S’entretenir avec Dossou Zannou est un exercice plutôt pénible. Cet exploitant agricole, la cinquantaine environ, fait partie des victimes «abusées» par la crise des CAR et URCAR dans la commune de Bonou. En allant le voir dans son Affamey natal, nous étions loin de rencontrer un homme dépité, triste, abattu et sans espoir, tant il est rongé dans son quotidien par le sort que cette crise vieille de plusieurs années lui a imposé. Et pour cause ! Si crise il n’y avait pas, Dossou Zannou mènerait une existence dorée. Ainsi que le mentionne sa carte de membre qu’il brandit fièrement, il dispose d’une superficie de 13,6660 hectares dans l’une des CAR de la commune. Visage ridé qui laisse mieux voir ses petites cicatrices raciales, cheveux tout blanc, démarche courbée, coiffure mal ajustée, Dossou Zannou nous reçoit dans la cour d’une petite concession en terre battue qui lui sert de résidence.

Conséquences de la crise

Comme la plupart des membres des ex-Coopératives d’aménagement rural, ce propriétaire terrien aurait pu être condamné au chômage et à la précarité. Fort heureusement pour lui, il a gardé pour son propre compte, une partie de son héritage. «Je continue de me débrouiller en m’adonnant aux travaux champêtres. C’est ce que je sais faire le mieux et c’est ce qui me donne à manger. Il me reste un champ d’environ 2 hectares que je continue d’exploiter pour subvenir à mes besoins ainsi qu’à ceux de ma famille», indique-t-il. L’ultime recours de cet homme, c’est le ciel. « Au nom de Dieu, ça va changer un jour », professe-t-il. Comme ce fut déjà le cas avec un autre, la tristesse était à son comble. Par deux fois, l’homme a fondu en larmes et l’entretien ne pouvait aller plus loin. A entendre le témoignage de Dossou Zannou, la plaie, si non la gangrène laissée par la crise dans les CAR et URCAR est profonde et sans espoir. Cette allusion, il l’a faite, non pas seulement en raison du cas des coopérants fusillés, mais aussi parce que nombre de ses pairs ont péri dans le dénuement.
Pendant ce temps, au siège du CAR de la localité, on observe une vieille bâtisse et dans les palmeraies qui s’étendent à perte de vue, des centaines de jeunes et vieux plants de palmier à huile. Lesquels, selon les confidences de notre interlocuteur «sont bradés dans la nuit profonde par des circuits parallèles, sans que personne n’ose lever son petit doigt».