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Mendicité et terrorisme: Des barrages à la scolarisation des enfants

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Etre enfant mendiant au Bénin, c’est renoncer malgré soi à l’éducation scolaire. Certaines localités du pays peinent à surmonter cette lacune, en violation flagrante de la loi. Le risque d’enrôlement des enfants hors de l’école par les  terroristes dans le septentrion rend la plaie plus béante. 

Par   Maryse ASSOGBADJO, le 30 sept. 2025 à 13h35 Durée 3 min.
#loi #mendicité #Lutte contre le terrorisme

L’image qui frappe chez le petit Abou, âgé de 12 ans environ, n’est pas seulement son visage innocent marqué par ses yeux vifs. C’est surtout sa capacité à négocier sa pitance au milieu d’une foule de passagers sur le parc d’une compagnie de voyage à Kandi, en cet après-midi du mardi 12 août 2025.

Ce jeune garçon en âge d’être scolarisé ne sait pratiquement rien de l’école. Impossible de lui arracher le moindre mot en français. Son école, c’est la rue. Ses livres et cahiers, c’est son plastique qu’il porte en bandoulière pour capter l’attention des bonnes volontés. Son écritoire, les jetons qu’il collecte sur son parcours de mendiant.

A Kandi et à Parakou, la mendicité infantile a pignon sur rue. Sillonnant les artères à longueur de journée à la recherche du pain quotidien, les enfants concernés finissent par en faire un métier. Sous le regard souvent indifférent des pouvoirs publics.

Le tableau de bord social sur la protection de l’enfant 2024 évalue à 284 le nombre d’enfants mendiants accompagnés et à 298, le nombre d’enfants mendiants nonaccompagnés.

« Kandi étant une commune fortement islamisée, la question de l’éducation est confrontée à plusieurs handicaps », admet Bouko Yaya, deuxième adjoint au maire de Kandi.

Faute d’une volonté politique forte, le phénomène bat son plein au détriment de la scolarisation des enfants, car pendant que les enfants mendiants négocient leur pain quotidien, leurs pairs sont à l’école ou dans les centres de formation professionnelle.

Risque d’enrôlement par les terroristes

La mendicité n’est pas la seule gangrène qui touche certaines villes du nord, notamment Kandi. La commune,  située dans une région frontalière avec le Niger, le Nigeria et le Burkina Faso, où le terrorisme sévit, est aussi exposée aux menaces sécuritaires. Dans ce contexte, les enfants hors de l’école deviennent une proie facile.

Selon la tribune intitulée « Education terrorisée. L’avenir de l’école dans les zones sous menaces terroristes au nord-Bénin », publiée en Avril 2024, 52,5 % d’enfants au Bénin sont contraints à travailler dont 40 % dans des conditions dangereuses. Certains départements sont plus affectés que d’autres comme l’Alibori (62 %) et le Borgou, (60 %). Même si ces chiffres ne sont pas forcément en rapport avec la déscolarisation en raison du terrorisme, la situation pourrait s’aggraver.

Bouko Yaya, deuxième  adjoint au maire de Kandi, évoque l’oisiveté des jeunes comme facteur favorable au phénomène. « Il est difficile d’enrôler un jeune non oisif », se convainc-t-il. Mais l’oisiveté des enfants hors du système éducatif n’est pas la faute des terroristes.

Dr Kamel Garba, enseignant chercheur à l’Uac, sociologue et planificateur de l’éducation, pointe du doigt la responsabilité de l’Etat : « L’absence de scolarisation crée un vide social et éducatif qui laisse les jeunes sans repères ni perspectives. Ce vide est fréquemment exploité par les groupes extrémistes et criminels qui recrutent parmi ces jeunes désœuvrés ».

Dans une tribune publiée le 22 juillet 2025 dans le quotidien ‘’La Nation’’, il avait déjà alerté sur le drame qui se joue en silence contre l’éducation. « Là où l’on instruisait hier des enfants, on brûle aujourd’hui des cahiers. Quand une porte de l’école ferme à cause du terrorisme, c’est plus qu’un bâtiment qu’on perd : c’est un rempart de la République qui cède », avertit-il.

Louis Tokpanou, Secrétaire permanent par intérim de la Commission nationale de Lutte Contre la Radicalisation, l’Extrémisme violent et le Terrorisme au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique évalue le lien entre l’absence d’une prise en charge scolaire et le risque de leur enrôlement par des individus malintentionnés dans le contexte sécuritaire actuel à trois niveaux : « la déscolarisation momentanée liée au contexte sécuritaire, le désœuvrement et potentiel recrutement et les facteurs structurels aggravants ».

Sur les terrains hostiles, les filles subissent une double vulnérabilité. Pour l’Unesco, l’Alibori se distingue par un faible taux de fréquentation scolaire globale, ce qui affecte particulièrement les filles. Le même département affiche le plus bas taux brut de préscolarisation, avec 6,5 % selon l’Annuaire statistique du ministère des Enseignements maternel et primaire, (2021-2022).

 

Ne sacrifiez pas les enfants

Le renforcement du financement de l’éducation dans les zones à risque est perçu comme une arme efficace contre le terrorisme.

Dans une approche prospective, l’Etat, avec le concours de ses partenaires, devra veiller au renforcement d’un plan de contingence et de résilience de l’éducation dans un contexte de crise sécuritaire. Là-dessus, la tribune « Education terrorisée. L’avenir de l’école dans les zones sous menaces terroristes au nord-Bénin », préconise « le financement de la décentralisation dans le secteur de l’éducation, car la décentralisation a l’avantage de rapprocher la prise de décision locale des réalités locales... ».

Le gouvernement et ses partenaires ne restent pas inactifs sur ce front. Au nombre des actions de prévention du Bénin pour protéger les enfants hors de l’école dans le contexte sécuritaire actuel, Louis Tokpanou souligne « le maintien à l’école de certains d’entre eux par les paiements de contributions et fournitures scolaires, les mises en apprentissage pour d’autres par paiements des frais et matériels d’apprentissage, les équipements pour les regroupements professionnels communautaires et les appuis à l’installation de bénéficiaires ».

L’enjeu est aussi de renforcer les actions locales positives tout en travaillant à transformer les représentations sociales qui limitent l’accès à l’école en veillant à ne laisser aucun enfant en rade.

Mission difficile peut-être, mais pas impossible, lorsqu’on sait qu’un bon investissement dans la scolarisation des enfants est toujours bénéfique à tout le pays. Les résultats des examens du Certificat d’études primaires 2025 à Kandi et Parakou confirment qu’un franc injecté dans l’éducation des enfants n’est jamais perdu.

« Un enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne. Le département de l’Alibori n’est pas resté à la queue cette année dans le cadre des examens de fin d’année, soit 85,61 % de taux de réussite », apprécie Bouko Yaya, deuxième adjoint au maire de Kandi. Le Borgou s’en est sorti la tête haute avec 95,18 % en devenant ainsi le 2e département à fort taux de réussite au Cep 2025 au plan national.

Financer l’éducation dans les milieux hostiles

« L’investissement dans la scolarisation des enfants hors de l’école est un acte stratégique de prévention des conflits et de construction de la paix sociale. L’école offre un cadre structurant qui protège, socialise et canalise les énergies des jeunes vers des trajectoires positives », soutient Dr Kamel Garba.

C’est pourquoi, les acteurs rencontrés prônent l’inclusion

« d’une ligne budgétaire dédiée à l’exclusion scolaire dans chaque commune, un renforcement des capacités locales, et surtout une gouvernance transparente et participative ».

Pour que ces stratégies puissent prospérer, il va falloir que les décideurs évitent de disperser leurs efforts. « Pour que cet investissement soit réellement efficace, il est crucial d’encourager la cartographie des interventions des Ong, des Organisations de la société civile et des partenaires techniques et financiers. Cette cartographie permettra de mieux cibler les zones d’intervention, d’éviter les doublons, de repérer les zones négligées, et surtout de renforcer la complémentarité des actions sur le terrain », indique le sociologue.

Avec leur impressionnante couverture (75 % en 2023, objectif 100 % en 2026), les cantines scolaires illustrent les résultats significatifs lorsque l’on alloue des moyens ciblés à l’éducation.

Parallèlement, les transferts monétaires conditionnels parient sur le maintien des filles dans le système éducatif scolaire jusqu’en classe de terminale. Cette initiative vise l’accélération de la croissance économique et de la transition démographique à travers l’augmentation du taux de rétention scolaire des filles.

Au Bénin, les données sont rares en ce qui concerne l’enrôlement des enfants dans les groupes armés. Toutefois, selon certaines opinions, les stratégies nationales mises en place pour prévenir l’extrémisme violent sont lentes et les besoins des communautés, y compris des enfants, restent importants.

Si rien n’est fait en faveur du renforcement du financement de l’éducation des enfants hors de l’école, le phénomène deviendra un cercle vicieux.