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Isidore Clément Capo-Chichi sur l’accréditation au statut A: « La Cbdh peut contribuer davantage au développement »

Droits et Devoirs

Installée, il y a quatre ans, la Commission béninoise des droits de l’homme (Cbdh) œuvre à la réalisation de son double mandat de promotion et de protection des droits de l’homme. Dans cette interview, Isidore Clément Capo-Chichi, président de la Cbdh, retrace les acquis de l’institution et les défis que la première mandature s’évertue à relever. A l’en croire, l’accréditation de la Cbdh au statut A de l’Alliance mondiale des Institutions nationales des droits de l’homme vient couronner les efforts d’une équipe dévouée qui a pris la noble mesure de sa responsabilité.

Par   Anselme Pascal AGUEHOUNDE, le 19 avr. 2023 à 11h23 Durée 6 min.

La Nation : La Cbdh est désormais accréditée au statut A de l’Alliance mondiale des Institutions nationales des droits de l’homme. Quelles en sont les implications ?

Isidore Clément Capo-Chichi : Les Institutions nationales des droits de l’homme (Indh) de statut A ont des privilèges mais aussi des obligations. Au Conseil des droits de l'homme, les Indh de statut A ont des droits de participation étendus. Vous savez, le Conseil des droits de l'homme est le principal organe de l'Onu spécialisé dans les droits de l'homme. Il s'agit d'un organe intergouvernemental, composé de 47 États membres, doté d'un large mandat pour traiter de toutes les questions et situations relatives aux droits de l'homme. Il se réunit trois fois par an pour des sessions ordinaires et tient des sessions extraordinaires selon les besoins. Les institutions nationales des droits de l’homme de statut A ont le droit d'assister et de participer à toutes les sessions du Conseil, et ont le droit de faire des déclarations orales, en personne ou par vidéo, à toutes les sessions ; y compris lors de l'adoption des résultats de l'Examen périodique universel (Epu) du pays par le Conseil ; du dialogue interactif qui suit la présentation d'un rapport de mission dans le pays par un titulaire de mandat au titre des procédures spéciales; lors des panels ou discussions annuelles. L’Indh de statut A peut soumettre des documents qui seront diffusés avec une cote de l'Onu et elle peut prendre des sièges séparés dans toutes les sessions. L'Examen périodique universel est un mécanisme du Conseil des droits de l'homme en vertu duquel tous les États membres de l'Onu sont examinés tous les quatre ans et demi sur l'exécution de leurs obligations internationales en matière de droits de l'homme. Toutes les Indh peuvent fournir des « informations crédibles et fiables » pour l'examen. Mais les Indh de statut A peuvent participer au débat en plénière du Conseil sur l'adoption des rapports du groupe de travail de l'Epu. En outre, l’Indh de statut A a le droit d'intervenir immédiatement après le représentant du gouvernement du pays lors du dialogue interactif, après la présentation du rapport de mission de ce pays par un titulaire de mandat au titre d'une procédure spéciale et également immédiatement après l'État examiné lors de l'adoption du rapport de l'Epu en plénière. C’est dire que lors de la 53e session du Conseil des droits de l’homme qui aura lieu en juin prochain, dans le cadre de la validation du quatrième cycle de l’Epu du Bénin, la Cbdh pourra intervenir juste après le représentant du gouvernement béninois. En somme, la Cbdh avec le statut A est membre électeur et éligible ayant droit à la parole. Notre voix compte sur la scène internationale et nous nous ferons audibles. Nous ne manquerons pas pendant ces quatre prochaines années où nous jouissons de ce statut, de montrer à l’Alliance mondiale qu’elle n’a pas eu tort d’élever une Indh au statut le plus élevé en si peu de temps.

4 ans que la Cbdh est opérationnelle et déjà, elle a atteint le plus haut statut. Qu’est-ce qui lui a valu une si rapide ascension sur la scène internationale ?

Il s’agit effectivement d’une ascension à l’actif du Bénin. Car en 20 mois, la Cbdh est parvenue à changer un statut vieux de 20 ans. En mars 2002, le Bénin était quasiment dernier en Afrique, avec un statut C qui aujourd’hui a disparu. Or, le Bénin fut l’un des premiers pays, suite aux trois premières résolutions adoptées par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (Cadhp), à adopter en 1989 une loi créant la Commission béninoise des droits de l’homme mais qui était une Ong et non une institution d’Etat. Après l’adoption des Principes de Paris en 1993, le Bénin s’est vu obligé de se soumettre à l’examen d’accréditation. A cet examen, le Bénin a obtenu le statut C qui signifie que la Cbdh d’alors n’était pas du tout conforme aux Principes de Paris. Conséquence, il a été demandé au Bénin de prendre les dispositions pour se mettre en conformité et donc de changer la loi créant la Cbdh. Jusqu’en 2007, le Bénin n’a pas tenu compte des recommandations et le statut C a disparu de la nomenclature des Nations Unies. Nous nous sommes alors retrouvés sans Institution nationale des droits de l’Homme. Il a fallu attendre 2013 où, grâce aux plaidoyers des organisations de la société civile, des partenaires, des institutions, le gouvernement du président Yayi Boni a fini par adopter une nouvelle loi et pris le décret d’application de la loi en 2014 ; mais n’a jamais installé la commission. Le 10 novembre 2017, le Garde des sceaux d’alors, Joseph Djogbénou, s’est retrouvé au troisième cycle de l’Examen périodique universel où 16 recommandations ont été faites au Bénin pour la mise en application de la loi créant la Cbdh, l’installation de la Commission et son opérationnalisation. Au nom de l’Etat béninois, le ministre Joseph Djogbénou a pris l’engagement de le faire avant le prochain cycle de l’Examen périodique universel qui a lieu tous les cinq ans, donc avant 2022. Après l’élection des membres de la Cbdh par entité, le décret de nomination des membres de la Cbdh a été pris en Conseil des ministres le 28 novembre 2018 et après l’organisation, le 3 décembre 2018, d’un atelier de renforcement au profit des membres nommés, ceux-ci ont prêté serment le 28 décembre 2018 devant la Cour constitutionnelle avant d’être officiellement installés le 3 janvier 2019. 40 mois après son installation, la Cbdh obtient enfin le statut A. Pour en arriver là, cette première mandature a dû relever les défis de l’existence : la Cbdh a été dotée d’un budget, d’un siège et a pu sortir le premier rapport annuel en 20 mois ; les défis de la crédibilité : nous avons lancé le processus de l’accréditation qui a abouti en 20 mois. Depuis le 1er avril 2022, cette première mandature est rentrée dans ses 20 derniers mois et nous avons identifié ce que nous avons appelé les défis de la pérennité. La crédibilité ayant été obtenue après l’existence, il reste à travailler à ce que l’institution puisse valablement assumer le statut qui est le sien.

Mardi 21 mars, la Cbdh a été reçue par le chef de l’Etat et lui a présenté la certification de l’accréditation au statut A. Que ressort-il de ce tête-à-tête ?

En nous recevant, le chef de l’Etat a fait un honneur à la Commission béninoise des droits de l’homme. Il a reconnu le travail abattu en si peu de temps. C’est à son actif car il a eu l’audace de nommer des personnes qu’il n’a pas choisies mais qu’il a appelées à ses côtés pour l’accompagner dans l’œuvre de développement du pays. Car, il importe de le relever, l’accréditation au statut A qui atteste de l’existence d’une institution nationale des droits de l’homme respectueuse des Principes de Paris, est un indicateur de développement. Le chef de l’Etat a exprimé sa satisfaction mais nous a également prodigué des conseils pour que nous puissions maintenir le cap. Ne jamais nous arrêter, quelles que soient les difficultés. Il dira que c’est au bout des difficultés, lorsque les résultats sont au rendez-vous, que l’on est heureux de constater que le petit effort de chacun dans la nation peut rendre notre pays grand et fort sur le plan international, dans le concert des nations. Il nous a assurés de son écoute, de son soutien et de l’accompagnement de son gouvernement afin que ce qui est acquis, reste et demeure, au-delà des considérations personnelles. A l’occasion, nous n’avons pas manqué de relever le lien entre la mission de la Cbdh et l’atteinte des Objectifs de développement durable ainsi que la réalisation du Programme d’action du gouvernement. Avec l’accréditation au statut A, la Cbdh fait gagner au Bénin un indicateur de développement et peut contribuer davantage à l’atteinte des Objectifs de développement.

En quoi la Cbdh peut-elle contribuer à la réalisation des Odd et du Pag ?

Vous savez que dans le Programme d’action du gouvernement, il y a plusieurs piliers et axes prioritaires. Le pilier N°1 concerne le renforcement de la démocratie, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance. La Cbdh peut contribuer énormément sur ce chantier. Prenons l’exemple du secteur de la Justice avec l’amélioration des conditions de vie carcérale. A ce niveau, nous avons noté avec beaucoup de satisfaction que le gouvernement dans le Pag 2021-2026 au niveau du pilier N°1 a prévu la réforme du système pénitentiaire et des conditions de vie des prisonniers; sachant que la population carcérale est estimée à 216 % par rapport à la norme (avec 15 200 prisonniers dénombrés au total en décembre 2022, surveillés par 230 agents de la police républicaine affectés à l'administration pénitentiaire, soit un ratio d’un policier-gardien de prison pour 65 détenus). Notre pays doit se doter d'une loi pénitentiaire et d'un corps d'agents pénitentiaires. Cela s’inscrit d’ailleurs dans le new public management qui est aujourd’hui prôné par le gouvernement. Le Pag a également prévu la réforme visant l’adoption de dispositions particulières de protection de la femme et de l’enfant. Sachant que nous avons obtenu le statut d'affilié devant le Comité africain d'experts sur les droits et le bien-être de l'enfant et que le gouvernement a missionné la Cbdh pour abriter en son sein le mécanisme national de prévention de la torture. C’est dire que la Cbdh peut jouer un rôle important dans la mise en œuvre des réformes. Lorsque nous lisons dans le Pag, que le gouvernement a prévu la modernisation des services judiciaires, l’opérationnalisation des chambres judiciaires au niveau des juridictions de fond, l’adoption de dispositions particulières de protection de la femme et de l’enfant ; la réforme du système pénitentiaire et des conditions de vie des prisonniers; l’appui à l’amélioration de l’accès à la justice et à la reddition de comptes ; la construction de nouvelles juridictions ; la construction et l’équipement de cinq établissements pénitentiaires et des centres de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence…, il est évident que la Cbdh a son mot à dire et peut contribuer à l’atteinte de ces ambitions. C’est pourquoi nous souhaitons participer aux discussions et au dialogue dans une démarche citoyenne sur les droits humains. La Cbdh veut véritablement jouer son rôle de conseil dans la mise en œuvre du Pag. Il en est de même pour ce qui concerne les Odd. Les Objectifs de développement durables qui portent sur les défis sociaux, environnementaux, politiques, économiques et culturels, sont aussi des droits de l’homme! Les Indh sont appelées par la communauté internationale à apporter leurs contributions dans l’agenda 2030 pour le développement durable qui vise à garantir les droits de l’homme sans que personne ne soit laissé de côté. De même, l’agenda 2063 pour l’Afrique a donné un rôle important aux Indh.
Il en est de même de la Déclaration de Mérida qui insiste sur le rôle des Indh dans la mise en œuvre des Odd ; de la Déclaration de Kigali et de bien d’autres mécanismes internationaux. En tant qu’Indh de statut A, la Commission nationale des droits de l’homme ne peut pas rester à l’écart de la dynamique du développement durable.

Comment s’est déroulé le processus d’accréditation au statut A ?

Ce qu’il faut retenir par rapport aux accréditations, c’est que les Nations Unies en 1993 ont adopté la résolution 48-134 du 20 décembre 1993 qui consacre les Principes de Paris. Ce sont les principes devant guider l’installation et le fonctionnement des Institutions nationales des droits de l’homme (Indh). Les Indh doivent donc être mises en place par l’Etat et doivent fonctionner conformément aux Principes de Paris dont nous avons célébré les 30 ans cette année. Pour évaluer la conformité d’une Institution nationale des droits de l’homme aux Principes de Paris, l’Alliance mondiale des Institutions nationales des droits de l’homme (Ganhri) a mis en place un Sous-comité Accréditation (Sca) qui a pour mandat d’examiner et d’étudier les demandes d’accréditation, de réaccréditation, d’examen spécial ainsi que toute autre requête dont pourrait être saisies les Nations Unies qui assurent le secrétariat de l’Alliance mondiale à travers la Session des institutions nationales et des mécanismes régionaux du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Pour déclencher le processus de l’accréditation, c’est l’Institution nationale des droits de l’homme elle-même qui saisit le secrétariat de l’Alliance mondiale notamment la Session des institutions nationales et des mécanismes régionaux du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Par l’entremise de ce secrétariat, l’Indh requérante envoie donc sa demande d’accréditation au président de l’Alliance mondiale (Ganhri). Au titre des pièces constitutives, l’Indh doit présenter une Déclaration de respect des Principes de Paris ; une copie de la loi ou autre instrument par lequel elle est établie et dotée de compétences sous sa forme officielle ou telle qu’elle a été publiée ; un aperçu de son organigramme, et notamment de ses effectifs ; son budget annuel ;
et une copie de son rapport annuel le plus récent sur l’état des droits de l’homme dans le pays. L’ensemble de ces pièces est évalué par le Sous-comité Accréditation (Sca) qui apprécie si l’Indh est véritablement apte à être soumise à l’examen d’accréditation. Ce processus pour le Bénin a commencé en Janvier 2021 par la saisine du président du bureau de la Ganhri par la Commission béninoise des droits de l’homme. L’évaluation de notre dossier n’a pu se faire qu’après la réponse obtenue en août 2021 pour la soumission de la Déclaration de conformité aux Principes de Paris. Cette déclaration a été remplie par la Cbdh en suivant chacun des principes édictés par la Résolution 48-134 des Nations Unies. La Cbdh a soumis le document et le Sca nous est revenu en février 2022 par une évaluation liminaire demandant des précisions sur certains points. 48 h après, le Sous-comité Accréditation a programmé une évaluation orale de la Cbdh. Cette évaluation a eu lieu le 18 mars 2022 en ligne. A l’occasion, nous avons défendu notre dossier et répondu aux questions du Sca. C’est suite à cet examen que le 29 mars 2022, nous avons été informés par la Ganhri, de notre accréditation au statut A qui est le statut le plus élevé auquel le Sca peut recommander qu’une institution des droits de l’homme soit accréditée. Il existe en effet d’autres statuts. Le Sca, après examen, peut décider qu’une institution nationale des droits de l’homme soit accrédité au statut A, ce qui veut dire que vous êtes pleinement conforme aux Principes de Paris ; ou au statut B qui signifie que l’institution est partiellement conforme aux Principes de Paris. Le Sca peut également arriver à la conclusion que les renseignements et documents fournis sont insuffisants pour prendre une décision. Bien entendu l’accréditation au statut A n’est pas définitive. Vous faites l’objet tous les cinq ans d’un examen de réaccréditation. Mais dans cette période de cinq ans, si entretemps, intervenait un élément qui met à mal votre conformité aux Principes de Paris, vous pouvez faire l’objet d’un examen spécial, voire d’une rétrogradation. C’est dire que la Commission nationale des droits de l’homme ne doit pas dormir sur ses lauriers. La preuve, nous sommes accrédités au statut A depuis le 29 mars 2022 ; notification nous a été faite le 1er avril 2022 et dès cet instant, toutes les obligations liées au statut A ont commencé par être mises en œuvre par la Cbdh. Le premier acte ayant été de soumettre un rapport parallèle à l’Examen périodique universel déjà en juillet 2022 ; rapport parallèle au rapport national présenté par l’Etat béninois et au rapport alternatif présenté par les Organisations de la société civile. Les obligations liées au statut A auquel la Cbdh a été accréditée depuis bientôt 12 mois, ont également amené l’institution à prendre des positions, à faire des déclarations devant des organes des Nations Unies. Ce statut démontre que l’Etat béninois est véritablement déterminé à accorder une place importante à la Commission béninoise des droits de l’Homme dans la promotion et la protection des droits de l’homme.