La Nation Bénin...

Georgiana Viou: L’étoile Michelin dans le ciel de la cuisine béninoise

Culture
Georgiana Viou Georgiana Viou

Quand elle fait le choix de ses aubergines au marché ou encore quand elle finalise un plat de rougets à la moutarde locale, c’est avec le même soin que Georgiana Viou opère. L’étoilée Michelin 2023 n’en finit pas d’éveiller les papilles par son génie et sa passion pour l’art culinaire. 

Par   Josué F. MEHOUENOU, le 05 juin 2025 à 08h38 Durée 3 min.
#cuisine #Art et culture

Au Sofitel de Cotonou, ce jeudi 17 avril, un parterre d’invités dont des membres du gouvernement, des diplomates et bien d’autres personnalités. Ils y sont pour découvrir la nouvelle publication de Georgiana Viou. La cheffe étoilée qui n’en est pas à son coup d’essai mobilise à nouveau autour d’elle, parents, amis et admirateurs de tous ordres. Mais ce que ce public hétéroclite n’espérait pas, c’est qu’il allait découvrir l’essentiel de ce qui fait le petit monde de cette cheffe dont le parcours ainsi que l’expérience fascinent depuis Nîmes jusqu’à Cotonou. Un parcours parsemé de diverses distinctions, alors que rien ne la prédestinait à cela. Si elle a fait ses armes à la cuisine, c’est grâce à sa génitrice.


A l’instar de la plupart des jeunes filles de son époque, la cuisine de maman est comme une case d’initiation. Certaines passent encore l’exercice de la plus dure des manières, au besoin, larmes aux yeux. Georgiana n’en a pas eu besoin. La passation de la passion entre mère et fille s’est faite avec amour. Sans trop de mal, sa mère lui a inoculé le virus des belles recettes que de nombreux clients prenaient le plaisir d’aller savourer dans son petit restaurant d’antan. Certains amis de sa fille témoignent encore de ces recettes de vieille marmite dont elle les gavait à l’époque, obligeant même certains à rendre des visites fréquentes à sa fille. De cet amour pour l’art culinaire, Georgiana Viou en a hérité sans pour autant envisager une carrière de cheffe. Sauf que dans sa course de vie, elle se fera rattraper par le feu et la marmite. Et cela est loin de lui déplaire. Si elle est au centre de mille et une attentions depuis des années, c’est pour son génie en cuisine. Génie qui lui a valu de cuisiner pour de prestigieuses personnalités à maintes occasions, de participer aux plus grandes émissions de cuisine à travers le monde, et de porter fièrement, dorénavant, tel un général, son Etoile. 

Histoire de vie

Georgiana Viou, c’est aussi une forte personnalité qui s’est forgée pas seulement au feu doux de la cuisine ou à la vapeur des fours mais aussi à travers la somme d’expériences, les unes palpitantes, les autres douloureuses, d’autres encore plus émouvantes et quelques-unes enivrantes. Elle en parle d’ailleurs le long de son ouvrage « Oui, cheffe ! Du Bénin à l’étoile Michelin, itinéraire d’une battante ». Après « Ma cuisine de Marseille », un recueil de recettes de cheffe, « Le Goût de Cotonou : ma cuisine du Bénin», compilation de 67 recettes inspirées de son enfance béninoise, Georgiana Viou fait cette nouvelle publication. «C'est une histoire personnelle qui est racontée dans ce livre, mais ce livre n'est pas pour moi, il n'est pas pour ma famille. C’est pour tout le monde », explique-t-elle. « Je n'ai pas envie d'aller chercher quelque chose en particulier parce que je n'ai rien cherché de tout ce qui m'est arrivé. Tout ce que je voulais, en faisant le choix de me lancer en cuisine, c'était d'avoir un lieu où je puisse faire à manger, parce que j'aime vraiment faire ça, et faire plaisir aux gens qui venaient manger chez moi. Et puis après, la vie en a décidé autrement », précise-t-elle.

Une chose est sûre, elle garde les influences de la cuisine de sa mère qu’elle façonne à son goût pour le palais de ses clients français et béninois. Quand elle passe par Cotonou, impossible pour elle de ne pas faire les marchés. Autant elle a ses habitudes dans les tout modernes construits par le gouvernement béninois, autant elle revisite les plus anciens de la ville comme Saint Michel. Chou, courgette, sauge, sarriette, thym, romarin, menthe, coriandre, persil... le tas de légumes à perte de vue devant la patronne de l’Ami lui donne un peu l’embarras, mais elle aime cela. « C'est un des rares marchés qui n'a pas encore été restauré. Il est encore comme il était pendant mon enfance », rappelle-t-elle, nostalgique. Les témoignages sur Georgiana sont unanimes. Sa forte personnalité passe comme une lettre à la poste. Idem pour son endurance, sa combativité… autant de choses pour lesquelles, certains de ses congénères du collège continuent de lui témoigner de l'admiration. Ces traits de caractère ont-ils milité pour sa distinction à l’étoile Michelin ? Difficile à dire. Ce qu’on sait par contre, c’est que sa cuisine en a été pour beaucoup. 

L’étoile surprise !

Au Rouge de Nîmes qu’elle tenait d’une main d’experte avec une cuisine dont l’écho traversait les continents, elle passe pour une cheffe et pas des moindres. « Gigi opère la magie à la cuisine », apprécie un de ses amis d’enfance qui a établi ses habitudes dans son restaurant français. « Cela a été une surprise, en tout cas. Parce que moi, j'ai reçu l'invitation, mais on ne m'a pas dit que c'était pour recevoir une étoile», témoigne-t-elle au sujet de la distinction. Cette soirée de rêve, elle s’en souvient comme si c’était hier. « Je pensais qu'on y allait pour la distinction de mon chef pâtissier, qui a effectivement eu une distinction. Et puis après, cela été la surprise», confesse-t-elle.

Autodidacte au parcours singulier, Gigi n’a pas la même trajectoire que tous ces chefs sortis des grandes écoles de cuisine avec diplômes d’un côté, mille recettes de l’autre. Elle, c’est une cuisinière dans l’âme. Une Béninoise qui a hérité de sa génitrice, l’amour des marmites pour en faire in fine, un métier et même une vie. « Dans mon cas précis, étant autodidacte, n'ayant pas forcément suivi de mentors étoilés, je dirais que c'est peut-être la proposition qu'on fait à Rouge qui a séduit le Michelin. Cela veut dire que le jour où l'inspecteur est venu manger, tout était parfait. Même si vous faites un super travail, le jour où il passe, si ce n'est pas bien, on passe à la trappe», conte-t-elle. Bien plus encore, reconnait-elle, aussi, le mélange des saveurs, les cuissons, le service… ont eu leur part dans cette reconnaissance.

Depuis l’étoile, bien de choses ont changé. « Cela donne une visibilité encore différente. Parce qu'il y a des gens qui ne vont que dans des restaurants étoilés. C’est une clientèle que nous n’avions pas et que nous avons désormais ». Mais l’Etoile a aussi sa part sur le quotidien de la cheffe qui la porte. Pour Goergiana aussi, le quotidien n’est plus le même. «Aujourd'hui, je suis un peu plus audible. Les gens sont un peu plus attentifs », reconnait-elle.

En cuisine comme en chirurgie…

Georgiana et la cuisine, c’est une histoire d’amour et de passion. Ça, on le savait. Mais ce qu’on ne sait pas toujours, c’est qu’elle met autant d’exigences à faire ses plats qu’un chirurgien en mettrait pour manier son bistouri. Régulièrement à l’Ami de Cotonou dont elle signe d’ailleurs la carte, elle tient des séances de briefing et de débriefing avec ses collaborateurs. Des séances qui tirent souvent sur un coaching, mais qui peuvent parfois se révéler rudes pour certains. La rigueur est à son comble et les exigences de ce niveau surélevé de cuisine, sans cesse rappelées. « Ceux qui ne peuvent pas tenir le rythme devaient rentrer et déposer leur tablier… C’est un peu dur quand je dis cela, mais c'est une façon de dire que ce que nous faisons, c’est comme dans un match de foot, comme une opération pour un médecin », se défend-elle. « Lorsque vous arrivez sur le terrain, dans la salle d'opération, sur le ring, peu importe, si vous ne pouvez pas bien gérer, il vaut mieux rentrer», conseille-t-elle. « Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas fournir une prestation de qualité. Et cela est valable qu’on ait un maquis, un bistrot, un restaurant gastronomique ou une sandwicherie. Le client qui paye un euro, dix euros, cent mille francs Cfa… vient pour un service et notre responsabilité, c'est de lui donner ce service », reprend-elle.

Désormais à cheval entre le Rouge à Nîmes et l’Ami du Sofitel, la cheffe Viou navigue entre ces deux mondes avec la même exigence et la même rigueur. L’idée, c'est de faire en sorte que cela marche bien des deux côtés. Là-bas comme ici, elle a formé des équipes sur lesquelles elle mise, ou du moins elle s’appuie pour maintenir la réputation du Rouge, et fait bâtir celle de l’Ami en pleine croissance. Pour l’heure, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, au Sofitel en tout cas. Quand elle est présente, Gigi fait le tour de la clientèle, salue, questionne, s’assure que ces personnes d’une certaine classe qui passent pour découvrir ou redécouvrir des mets connus en sont satisafites. Il faut d’ailleurs surprendre la cheffe dans sa vaste et moderne cuisine des lieux pour comprendre les multiples exigences qui entourent chaque repas. Elle veille sur le moindre détail, retouche, polit, rajoute, tranche… L’essentiel pour elle, la satisfaction des clients.

« C'est un vrai challenge pour moi. J'ai mis plusieurs années, presque deux décennies, à me construire un nom. Je viens aujourd'hui, à travers ce projet, me challenger sur la terre de mes ancêtres », lance-t-elle à propos de l’Ami du Sofitel. Sa peur, poursuit-elle, « c'est que les gens ne comprennent pas ce que nous faisons, qu’ils se disent que c’est la cheffe étoilée et son monde et que cela n’est pas accessible ». Son idée en tout cas, c’est de rendre sa cuisine accessible. « Je veux que les gens comprennent qu’ici, ce n'est pas le restaurant de Nîmes, ce n'est pas Rouge ». Déjà, nuance-t-elle, « nous ne sommes pas dans un restaurant gastronomique. Cela viendra à coup sûr et j’espère que nous serons le premier restaurant gastronomique digne de ce nom au Bénin, et pourquoi pas dans la sous-région ». Pour y arriver, elle fait foi autant à ses équipes qu’à sa propre compétence. «J'ai un peu peur, mais je ne suis pas trop inquiète parce que j'ai quand même une bonne équipe. La formation, c'est un vrai sujet. Et au-delà du restaurant, ce qui me tient à cœur dans ce projet, c'est la possibilité de pouvoir transmettre aux équipes ce que moi, j'ai appris », explique-t-elle.

Ce que mon expérience m'a appris, c’est qu’au-delà de la cuisine, l'art de recevoir est primordial. Faire en sorte que chaque passage soit une parenthèse enchantée, que les clients soient dans une bulle et quand ils reparlent, ils se disent « Ah, j'ai passé un bon moment», et qu'ils aient encore envie de revenir, renseigne-t-elle. « Ce que j’ai envie d'apprendre aux équipes d’ici, en salle et en cuisine, c’est le souci de faire que les gens se sentent bien avec la possibilité de dire ce qu’ils ont aimé et ce qui ne leur a pas plu», confie-t-elle.