La Nation Bénin...
Quand
elle fait le choix de ses aubergines au marché ou encore quand elle finalise un
plat de rougets à la moutarde locale, c’est avec le même soin que Georgiana
Viou opère. L’étoilée Michelin 2023 n’en finit pas d’éveiller les papilles par
son génie et sa passion pour l’art culinaire.
Au Sofitel de Cotonou, ce jeudi 17 avril, un parterre d’invités dont des membres du gouvernement, des diplomates et bien d’autres personnalités. Ils y sont pour découvrir la nouvelle publication de Georgiana Viou. La cheffe étoilée qui n’en est pas à son coup d’essai mobilise à nouveau autour d’elle, parents, amis et admirateurs de tous ordres. Mais ce que ce public hétéroclite n’espérait pas, c’est qu’il allait découvrir l’essentiel de ce qui fait le petit monde de cette cheffe dont le parcours ainsi que l’expérience fascinent depuis Nîmes jusqu’à Cotonou. Un parcours parsemé de diverses distinctions, alors que rien ne la prédestinait à cela. Si elle a fait ses armes à la cuisine, c’est grâce à sa génitrice.
A
l’instar de la plupart des jeunes filles de son époque, la cuisine de maman est
comme une case d’initiation. Certaines passent encore l’exercice de la plus
dure des manières, au besoin, larmes aux yeux. Georgiana n’en a pas eu besoin.
La passation de la passion entre mère et fille s’est faite avec amour. Sans
trop de mal, sa mère lui a inoculé le virus des belles recettes que de nombreux
clients prenaient le plaisir d’aller savourer dans son petit restaurant
d’antan. Certains amis de sa fille témoignent encore de ces recettes de vieille
marmite dont elle les gavait à l’époque, obligeant même certains à rendre des
visites fréquentes à sa fille. De cet amour pour l’art culinaire, Georgiana
Viou en a hérité sans pour autant envisager une carrière de cheffe. Sauf que
dans sa course de vie, elle se fera rattraper par le feu et la marmite. Et cela
est loin de lui déplaire. Si elle est au centre de mille et une attentions
depuis des années, c’est pour son génie en cuisine. Génie qui lui a valu de
cuisiner pour de prestigieuses personnalités à maintes occasions, de participer
aux plus grandes émissions de cuisine à travers le monde, et de porter
fièrement, dorénavant, tel un général, son Etoile.
Histoire de vie
Georgiana
Viou, c’est aussi une forte personnalité qui s’est forgée pas seulement au feu
doux de la cuisine ou à la vapeur des fours mais aussi à travers la somme
d’expériences, les unes palpitantes, les autres douloureuses, d’autres encore
plus émouvantes et quelques-unes enivrantes. Elle en parle d’ailleurs le long
de son ouvrage « Oui, cheffe ! Du Bénin à l’étoile Michelin, itinéraire d’une
battante ». Après « Ma cuisine de Marseille », un recueil de recettes de cheffe,
« Le Goût de Cotonou : ma cuisine du Bénin», compilation de 67 recettes
inspirées de son enfance béninoise, Georgiana Viou fait cette nouvelle
publication. «C'est une histoire personnelle qui est racontée dans ce livre,
mais ce livre n'est pas pour moi, il n'est pas pour ma famille. C’est pour tout
le monde », explique-t-elle. « Je n'ai pas envie d'aller chercher quelque chose
en particulier parce que je n'ai rien cherché de tout ce qui m'est arrivé. Tout
ce que je voulais, en faisant le choix de me lancer en cuisine, c'était d'avoir
un lieu où je puisse faire à manger, parce que j'aime vraiment faire ça, et
faire plaisir aux gens qui venaient manger chez moi. Et puis après, la vie en a
décidé autrement », précise-t-elle.
Une
chose est sûre, elle garde les influences de la cuisine de sa mère qu’elle
façonne à son goût pour le palais de ses clients français et béninois. Quand
elle passe par Cotonou, impossible pour elle de ne pas faire les marchés.
Autant elle a ses habitudes dans les tout modernes construits par le
gouvernement béninois, autant elle revisite les plus anciens de la ville comme
Saint Michel. Chou, courgette, sauge, sarriette, thym, romarin, menthe,
coriandre, persil... le tas de légumes à perte de vue devant la patronne de
l’Ami lui donne un peu l’embarras, mais elle aime cela. « C'est un des rares
marchés qui n'a pas encore été restauré. Il est encore comme il était pendant
mon enfance », rappelle-t-elle, nostalgique. Les témoignages sur Georgiana sont
unanimes. Sa forte personnalité passe comme une lettre à la poste. Idem pour
son endurance, sa combativité… autant de choses pour lesquelles, certains de
ses congénères du collège continuent de lui témoigner de l'admiration. Ces
traits de caractère ont-ils milité pour sa distinction à l’étoile Michelin ?
Difficile à dire. Ce qu’on sait par contre, c’est que sa cuisine en a été pour
beaucoup.
L’étoile surprise !
Au
Rouge de Nîmes qu’elle tenait d’une main d’experte avec une cuisine dont l’écho
traversait les continents, elle passe pour une cheffe et pas des moindres. «
Gigi opère la magie à la cuisine », apprécie un de ses amis d’enfance qui a
établi ses habitudes dans son restaurant français. « Cela a été une surprise,
en tout cas. Parce que moi, j'ai reçu l'invitation, mais on ne m'a pas dit que
c'était pour recevoir une étoile», témoigne-t-elle au sujet de la distinction.
Cette soirée de rêve, elle s’en souvient comme si c’était hier. « Je pensais
qu'on y allait pour la distinction de mon chef pâtissier, qui a effectivement
eu une distinction. Et puis après, cela été la surprise», confesse-t-elle.
Autodidacte
au parcours singulier, Gigi n’a pas la même trajectoire que tous ces chefs
sortis des grandes écoles de cuisine avec diplômes d’un côté, mille recettes de
l’autre. Elle, c’est une cuisinière dans l’âme. Une Béninoise qui a hérité de
sa génitrice, l’amour des marmites pour en faire in fine, un métier et même une
vie. « Dans mon cas précis, étant autodidacte, n'ayant pas forcément suivi de
mentors étoilés, je dirais que c'est peut-être la proposition qu'on fait à
Rouge qui a séduit le Michelin. Cela veut dire que le jour où l'inspecteur est
venu manger, tout était parfait. Même si vous faites un super travail, le jour
où il passe, si ce n'est pas bien, on passe à la trappe», conte-t-elle. Bien
plus encore, reconnait-elle, aussi, le mélange des saveurs, les cuissons, le
service… ont eu leur part dans cette reconnaissance.
Depuis l’étoile, bien de choses ont changé. « Cela donne une visibilité encore différente. Parce qu'il y a des gens qui ne vont que dans des restaurants étoilés. C’est une clientèle que nous n’avions pas et que nous avons désormais ». Mais l’Etoile a aussi sa part sur le quotidien de la cheffe qui la porte. Pour Goergiana aussi, le quotidien n’est plus le même. «Aujourd'hui, je suis un peu plus audible. Les gens sont un peu plus attentifs », reconnait-elle.
En cuisine comme en chirurgie…
Georgiana
et la cuisine, c’est une histoire d’amour et de passion. Ça, on le savait. Mais
ce qu’on ne sait pas toujours, c’est qu’elle met autant d’exigences à faire ses
plats qu’un chirurgien en mettrait pour manier son bistouri. Régulièrement à
l’Ami de Cotonou dont elle signe d’ailleurs la carte, elle tient des séances de
briefing et de débriefing avec ses collaborateurs. Des séances qui tirent
souvent sur un coaching, mais qui peuvent parfois se révéler rudes pour
certains. La rigueur est à son comble et les exigences de ce niveau surélevé de
cuisine, sans cesse rappelées. « Ceux qui ne peuvent pas tenir le rythme
devaient rentrer et déposer leur tablier… C’est un peu dur quand je dis cela,
mais c'est une façon de dire que ce que nous faisons, c’est comme dans un match
de foot, comme une opération pour un médecin », se défend-elle. « Lorsque vous
arrivez sur le terrain, dans la salle d'opération, sur le ring, peu importe, si
vous ne pouvez pas bien gérer, il vaut mieux rentrer», conseille-t-elle. « Nous
ne pouvons pas nous permettre de ne pas fournir une prestation de qualité. Et
cela est valable qu’on ait un maquis, un bistrot, un restaurant gastronomique
ou une sandwicherie. Le client qui paye un euro, dix euros, cent mille francs
Cfa… vient pour un service et notre responsabilité, c'est de lui donner ce
service », reprend-elle.
Désormais
à cheval entre le Rouge à Nîmes et l’Ami du Sofitel, la cheffe Viou navigue
entre ces deux mondes avec la même exigence et la même rigueur. L’idée, c'est
de faire en sorte que cela marche bien des deux côtés. Là-bas comme ici, elle a
formé des équipes sur lesquelles elle mise, ou du moins elle s’appuie pour
maintenir la réputation du Rouge, et fait bâtir celle de l’Ami en pleine
croissance. Pour l’heure, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des
mondes, au Sofitel en tout cas. Quand elle est présente, Gigi fait le tour de
la clientèle, salue, questionne, s’assure que ces personnes d’une certaine
classe qui passent pour découvrir ou redécouvrir des mets connus en sont
satisafites. Il faut d’ailleurs surprendre la cheffe dans sa vaste et moderne
cuisine des lieux pour comprendre les multiples exigences qui entourent chaque
repas. Elle veille sur le moindre détail, retouche, polit, rajoute, tranche…
L’essentiel pour elle, la satisfaction des clients.
«
C'est un vrai challenge pour moi. J'ai mis plusieurs années, presque deux
décennies, à me construire un nom. Je viens aujourd'hui, à travers ce projet,
me challenger sur la terre de mes ancêtres », lance-t-elle à propos de l’Ami du
Sofitel. Sa peur, poursuit-elle, « c'est que les gens ne comprennent pas ce que
nous faisons, qu’ils se disent que c’est la cheffe étoilée et son monde et que
cela n’est pas accessible ». Son idée en tout cas, c’est de rendre sa cuisine
accessible. « Je veux que les gens comprennent qu’ici, ce n'est pas le
restaurant de Nîmes, ce n'est pas Rouge ». Déjà, nuance-t-elle, « nous ne
sommes pas dans un restaurant gastronomique. Cela viendra à coup sûr et
j’espère que nous serons le premier restaurant gastronomique digne de ce nom au
Bénin, et pourquoi pas dans la sous-région ». Pour y arriver, elle fait foi
autant à ses équipes qu’à sa propre compétence. «J'ai un peu peur, mais je ne
suis pas trop inquiète parce que j'ai quand même une bonne équipe. La
formation, c'est un vrai sujet. Et au-delà du restaurant, ce qui me tient à
cœur dans ce projet, c'est la possibilité de pouvoir transmettre aux équipes ce
que moi, j'ai appris », explique-t-elle.
Ce que mon expérience m'a appris, c’est qu’au-delà de la cuisine, l'art de recevoir est primordial. Faire en sorte que chaque passage soit une parenthèse enchantée, que les clients soient dans une bulle et quand ils reparlent, ils se disent « Ah, j'ai passé un bon moment», et qu'ils aient encore envie de revenir, renseigne-t-elle. « Ce que j’ai envie d'apprendre aux équipes d’ici, en salle et en cuisine, c’est le souci de faire que les gens se sentent bien avec la possibilité de dire ce qu’ils ont aimé et ce qui ne leur a pas plu», confie-t-elle.