La Nation Bénin...
Dans le septentrion, le musée de Danri à Nikki peut se
vanter de détenir assez d’objets historiques. Mais l’état dans lequel ce
patrimoine culturel national végète aujourd’hui, interpelle la conscience
collective.
Le Bénin est fier de son riche patrimoine culturel et de
ses nombreux objets qui en sont les témoins. A son actif, suite à la demande
exprimée par le gouvernement de la « Rupture», il y a la restitution par la
France de 26 de ses œuvres d’art qui étaient au musée du Quai Branly à Paris.
Dans la foulée, il a également mis en chantier un vaste programme de rénovation
d’un certain nombre de ses musées. Mais cette dynamique en cours n’a
malheureusement pas pris en compte le musée de Danri à Nikki.
Lieu de conservation de la culture et de l’histoire des
peuples baatonu et boo, ce musée est aujourd’hui en ruine. N’attirant plus les
visiteurs depuis plusieurs années déjà, il est dans un état de délabrement et
d’abandon total. Si rien n’est fait, ce patrimoine culturel national risque de
disparaître. Lors de l’édition 2023 de la Gaani, il n’a même pas reçu la visite
d’un seul festivalier. Pouvait-il en être autrement, avec son état des lieux
qui est loin d’être reluisant ?
En effet, mardi 26 septembre 2023, en début d’après-midi,
si ce n’est pas que le musée a été débarrassé de ses mauvaises herbes, puis
entretenu par les femmes, rien n’indiquait qu’il était sous l’effet de la
fièvre de la Gaani. Sous un soleil caniculaire, le septuagénaire Abdoulaye Kaba
N’Douro, alias Kpémoin se reposait à l’ombre d’un géant fromager jouxtant ledit
musée. Tiré de son sommeil, il a mis du temps avant de réaliser qu’on lui
demandait l’entrée des lieux.
« Il y a bien longtemps que des visiteurs sont arrivés par
ici. En l’absence du conservateur qui a abandonné son poste, je me suis
volontairement proposé pour m’occuper de la maison», répond-il, en se grattant
maladroitement la joue droite. Après avoir dévisagé ses hôtes, il a ensuite
voulu connaître l’objet de leur présence. « Ce musée fait la fierté de Danri
dont je suis originaire. Une grande partie de l’aire culturelle et cultuelle
baatonu et boo à laquelle j’appartiens, y est conservée. C’est parce que c’est
ma chose et je ne veux pas la perdre, que je suis là. Je ne peux pas laisser ce
musée tomber », explique subrepticement l’enseignant à la retraite. « Mais vous
avez eu de la chance. Ce n’était pas évident que je sois ici aujourd’hui », se
précipite-t-il d’ajouter. Quelques coups de fil donnés, pour joindre deux
guides, puis le voici qui se rend disponible pour aider à faire le tour des
différents compartiments de ce qui, il y a quelques années, tenait encore lieu
de musée.
Aujourd’hui, ce patrimoine culturel national ploie sous le
poids de nombreuses difficultés. Il se meurt. Avec la ruine ambiante, il n’est
pas aisé d’admirer les trésors qui y sont gardés.
« Oui, le musée est là. Il y avait un conservateur à sa
tête et il faisait beau à voir. Mais aujourd’hui, il est en train de mourir »,
confie-t-il, l’air nostalgique. « Fatigué, après avoir fait du bénévolat
pendant plusieurs années, l’ancien conservateur a dû abandonner. Constatez avec
moi l’état de délabrement des lieux. Il n’y a plus d’eau et l’électricité »,
poursuit-il.
En effet, il y a déjà près de 3 ans que le musée est privé
d’électricité. Les installations réalisées à grands frais, pour assurer la
fourniture de l'énergie, n’ont également pas été épargnées. N’étant plus
exploitées, elles ont commencé par être défectueuses.
Des salles d’exposition dans l’obscurité
Ainsi, durant toute l’année, que ce soit de jour comme de nuit, des salles d’exposition logées dans les antichambres sont plongées dans le noir. En l’absence de la lumière, il est difficile de faire visiter les trésors qui y sont exposés. « Dans ces conditions, je ne sais pas pendant combien de temps encore, malgré toute ma volonté, je vais réussir à garder la baraque debout. Au musée historique de Danri, c’est une immense richesse de la culture baatonu et boo qui est en souffrance », avoue le vieux enseignant. Soucieux d’assurer sa relève, il a formé sur le tas une vingtaine de guides. Zacharie Bio et Ibrahim Abdelmadjid en font partie. Ils l’aident dans ses tâches.
Le musée, fait remarquer Zacharie Bio, est également
confronté à un problème d’insuffisance de vitrines d’exposition. Ce qui fait
que, depuis plusieurs années, de nombreux autres objets attendent, parqués dans
des armoires et placards. Ils sont enfermés dans une chambre. Sans aération
suffisante, ils courent le risque d’une détérioration précipitée. « Composés
des accoutrements, parures et autres attributs des empereurs, ils sont en train
de se détériorer, faute de conservation», a déploré le guide.
Sur les lieux, l’état délabré des murs et de la clôture du
musée ne passe également pas inaperçu. Voilà qui en rajoute au visage de
patrimoine culturel abandonné qu’il présente aujourd’hui.
« Nous avons suivi une formation de renforcement de capacités
organisée à Cotonou, au profit de 54 guides de tourisme au Bénin», explique le
guide Ibrahim Abdelmadjid. « Nous ne sommes pas encore recrutés par l’Etat.
Mais, c’est suite à un appel qu’il a lancé et pour lequel nous avons postulé,
que nous avons été retenus pour suivre la formation. Nous attendons la suite.
L’Etat ne nous a pas encore recrutés pour que nous nous mettions en droit
d’attendre quelque chose de lui », a toutefois tenu à clarifier Zacharie Bio,
par rapport à la question de la rémunération, de la motivation ou d’un
privilège à espérer.
Un patrimoine menacé
Mais, comment en est-on arrivé là ? Cette situation n’est
quand même pas survenue du jour au lendemain.
« Ce musée était fréquenté par des visiteurs constitués de
touristes, de la population et des apprenants des établissements scolaires et
universitaires. Avec les recettes perçues à l’entrée, on faisait face tant bien
que mal aux charges d’entretien du musée.
Mais elles ne suffisaient pas. Les visiteurs se faisant de
plus en plus désirer, les choses se sont davantage compliquées», a expliqué
Abdoulaye Kaba N’Douro. « Pour le sauver de la ruine totale, sa prise en main
s’avère indispensable. Sa réhabilitation est impérieuse. Il faudra également
penser à le doter de personnel composé d’un conservateur, puis de deux ou trois
guides, pour assurer son fonctionnement», plaide-t-il en direction du
gouvernement. De même, il pense que si les dépenses pour son fonctionnement
étaient confiées à la mairie, grâce au transfert des compétences, les
difficultés auraient pu être circonscrites un tant soit peu. « Il vaut mieux
connaître sa propre culture que celle des autres. Pour sauver ce musée, l’Etat
doit écouter nos cris de cœur », souhaite-t-il.
Face à la situation, quelques initiatives avaient été
prises à la base. C’était en 2017, sous l’instigation de certains acteurs
culturels au niveau de la commune. Mais le dossier qu’ils ont monté à la faveur
d’un projet sur financement des Etats Unis n’a finalement pas abouti. En dehors
de l’autorisation de la commune, il leur fallait celle du ministère du
Tourisme, de la Culture et des Arts. Ce qu’ils n’avaient pas reçue.
Toutefois, au niveau de la cour impériale, le Sinadounwirou
ou le premier ministre n’est pas resté sans voix. Selon lui, il faut envisager
les mesures qui s’imposent afin de réhabiliter le musée.
Sous des regards impuissants
Ainsi, qu’il s’agisse des dignitaires de l’aire culturelle
et cultuelle baatonu et boo, de l’association de développement de Nikki, ou du
Conseil communal, tous ont à cœur la relance des activités du musée.
Malheureusement, la descente vers l’abîme de ce patrimoine se poursuit sous
leurs regards impuissants.
Et pourtant, avec le Code de l’administration territoriale
qui stipule en son article 52, « la commune prend toute mesure de nature à
favoriser le tourisme sur le territoire communal et à encourager les acteurs
économiques intéressés à entreprendre des activités dans ce domaine », la
commune peut prendre ses responsabilités. Mais qu’à cela ne tienne, en 2017,
l’Etat a tenté de donner un coup de neuf au musée. Le résultat escompté n’a
malheureusement pas été atteint. Ce qui n’empêche pas que le musée soit resté
dans les plans du gouvernement. « Avec le palais impérial et l’arène de la
Gaani qui seront construits très bientôt, on doit pouvoir faire une économie du
site. Pour cela, nous sommes en train de développer à la demande du président
de la République, un volet muséal afin que l’on puisse amener sur les lieux, le
patrimoine du musée de Danri », a soufflé le ministre du Tourisme, de la
Culture et des Arts, Babalola Jean-Michel Hervé Abimbola. C’était, jeudi 28
septembre dernier à Nikki, lors de la célébration de la Journée mondiale du
tourisme. «L’objectif est d’avoir un musée qui puisse refléter le patrimoine
immatériel de la culture baatonu et boo. Le comité en charge des travaux va
travailler là-dessus », rassure-t-il.
En effet, le musée de Danri était autrefois l’ancien palais
où restaient les empereurs de Nikki issus de la dynastie Lafiarou. Lorsqu’ils
ont perdu le trône en 1957, le lieu est resté inoccupé. C’est pour éviter qu’il
ne tombe en ruine que, soutenu par la chefferie traditionnelle à Nikki, le
gouvernement a vite fait de le récupérer. En 2004, il l’a transformé en musée
où sont conservés et exposés les objets des anciens empereurs baatonou et boo
tels que leurs trompettes, les étriers de leurs chevaux, leurs flèches, leurs
carquois, leurs lances, leurs sandalettes, leurs éventails et tenues tako, sans
oublier d’autres attributs et reliques, puis les tenues utilisées par leurs
grands guerriers. « Il y a également des objets traditionnels pour la chasse,
la guerre, les travaux champêtres, la pêche et le mariage. La case des tambours
sacrés, la morgue où les empereurs défunts sont exposés et leurs dépouilles
apprêtées avant leurs obsèques, les tombes des empereurs et autres dignitaires
», détaille Abdoulaye Kaba N’Douro. « Ce musée permet de découvrir l’empire de
Nikki, à travers ses vestiges et reliques, ses rois et leurs tombes. Il regorge
de plus de 400 objets ancestraux dont des tambours auxquels l’on prête une
dimension spirituelle ou mystique», soutient-il.
En dehors du palais impérial et du Sounon Séro Yérou qui
est le lieu de culte où, lors de l’intronisation d’un nouvel empereur, les
derniers rituels s’effectuent, ce musée arrive en troisième position parmi les
patrimoines culturels, historiques et touristiques inventoriés au niveau de la
mairie. Dans l’ordre, c’est le 5e site sur les neuf jalonnant le parcours
rituel et au niveau desquels l’empereur observe un arrêt, le jour de la Gaani.