Le Dahomey sur le toit des Nations. L’exploit réalisé par l’actuel Bénin, le 6 juillet 1962 en France au Théâtre des Nations, est encore dans les mémoires. Le sacre de l’Ensemble national du Dahomey, dirigé à l’époque par Flavien Campbell, à la rencontre mondiale du théâtre initiée par l’Unesco, ne passe pas sous silence.
Pour la première fois et ce depuis des lustres, le Challenge du Théâtre des Nations, 1er Prix de ce prestigieux rendez-vous des arts théâtraux, toujours remporté par les nations européennes, échoit au Dahomey à travers la prouesse remarquable de ses acrobates sur bambous. Le Bénin doit donc une fière chandelle au génie de ses danseurs acrobates sur bambous.
Le ‘’Agbéhoun’’ en Fon ou Akpanou en Goun ou danse sur bambous est un spectacle caractérisé par une performance de danse sur des bambous de 7 à 15 mètres. Il se déploie par la mise en terre de tiges rectilignes en bambou au bout desquelles se trémousse du haut un acrobate à l’agilité étonnante. Torse nu et le tronc ceint d’une culotte ou jupette, ce dernier redouble de génie et de prouesses pour amuser les spectateurs qui supportent à peine la voltige qu’imposent à la tige le poids de son corps et ses contorsions. Une véritable attraction dont se délectent curieux et autres amateurs de sensations fortes lors des réjouissances.
Hier véritable pratique et objet d’attraction aussi bien dans les quartiers que dans les festivals où les acteurs sont conviés, le ‘’Agbéhoun’’ se pratique sous la frénésie du rythme ‘’Agbé’’, un dérivé du ‘’Gbon’’, à en croire Adolphe Koffi Alladé, maître chorégraphe du Ballet national, directeur de la troupe Super Anges Hwendonaboua. Ainsi, outre le bambou ou ‘’Adawé’’ sur lequel se mène la performance du danseur, une calebasse ornée de cauris appelée ‘’Agbé’’, des tam-tams ‘’Gbon’’ et des gongs ‘’aflénou’’ sont déployés pour charmer le public.
Aussi captivante et populaire que les processions du culte ‘’Egungun’’, cette danse qui animait les manifestations dans les régions du sud-Bénin en particulier dans l’Atlantique, le Mono et l’Ouémé, amorce depuis peu son déclin. « Je reste surpris que ce avec quoi nous éblouissions le monde, il y a un demi-siècle, soit en voie de disparition du fait de notre passivité et de notre acculturation », s’indigne Gratien Ahouanménou, entrepreneur culturel.
Le ‘’Agbéhoun’’perd aujourd’hui du terrain avec la désertion de nombreux acrobates qui restent, selon Marcel Zounon, directeur du Ballet national, de grands athlètes adulés dans leur milieu, au regard des prouesses dont eux seuls ont le secret. Quoique l’intérêt du gouvernement à programmer ce spectacle au nombre des manifestations des Vodun days entretient l’espoir de raviver cette performance artistique, il n’en démeure pas moins qu’elle connaît une baisse de régime.
Crépuscule d’une richesse
Outre les manifestations en plein air qu’organisaient certaines familles et qui donnaient lieu à ces performances, des troupes professionnelles entretenaient aussi la flamme autour du ‘’Agbéhoun’’. Mais aujourd’hui, ces troupes au nombre desquelles on compte Towara, Djolokoko et Super Anges ont déserté le forum, abandonnant cette richesse artistique au profit d’autres rythmes ou danses moins contraignants. Même le Ballet national peine à l’intégrer dans ses répertoires du fait de sa logistique, surtout au cours de ses tournées outre-Atlantique.
« Les groupes qui s’adonnent encore à la danse ‘’Agbéhoun’’ se compteraient au bout des doigts. Aujourd’hui il n’y en a plus tellement », se désole Adolphe Coffi Alladé qui aura recensé en tant que promoteur du Festival international de la danse ‘’Agogo’’, un groupe à Adjigbamé, son village natal dans la commune de Kpomassè, où n’excelle qu’un seul jeune danseur, un autre à Zomahi dans la commune de Ouidah et un dernier dans la commune de Tori. Owowolé, le tout premier groupe qui faisait le prestige de cette danse dans la ville de Cotonou bien avant ces troupes professionnelles n’existe malheureusement plus. Porto-Novo dont le patrimoine artistique ne peut être conté sans le ‘’Agbéhoun’’, il y a peu, a vu ses grands danseurs acrobates disparaitre de ses scènes, emportés par l’air du temps. L’âge ainsi que le non-respect des règles liées à cette danse ont tôt fait d’éroder l’engouement des jeunes. Un bien triste crépuscule pour une danse de cette envergure■
Contraignant
Face aux actions des esprits malveillants qui se plaisaient à les éjecter du sommet de la tige par des pratiques occultes, les danseurs du ‘’Agbéhoun’’ sont astreints à certaines règles à savoir l’abstinence sexuelle à la veille de leurs performances, l’interdiction de repas gras et à s’imposer une certaine hygiène de vie. Il n’est non plus à occulter certaines pratiques traditionnelles pour les protéger des regards malveillants■