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Arrêt biologique de la pêcherie: Solution pérenne à la sécurité alimentaire

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Mickaël Zibra Zotépé, est satisfait des captures de poisson ramenées de la pêche Mickaël Zibra Zotépé, est satisfait des captures de poisson ramenées de la pêche

La fermeture saisonnière de la pêche en 2023 a été concluante au Bénin, selon les acteurs. Si elle a permis d’augmenter le potentiel des pêcheurs, sa réédition permettra de mieux faire face à l’insécurité alimentaire. 

Par   Maryse ASSOGBADJO, le 27 févr. 2024 à 03h56 Durée 4 min.
#Arrêt biologique de la pêcherie #la sécurité alimentaire

C’est la période d’abondance et les poissons foisonnent dans l’eau. Les acteurs de la pêche, eux ne boudent pas cette occasion tant souhaitée depuis cinq mois en raison du repos biologique décrété par le Bénin en juillet 2023.

En cet après-midi du lundi 18 décembre 2023 à Agoué, ils étaient à pied d’œuvre pour faire le plein de poissons. Le crépuscule qui s’annonce est loin de détourner l’attention de l’essentiel. C’est un jour faste pour mareyeuses, pêcheurs et transformatrices.

Les dizaines de filets entreposés au sol à l’issue de la pêche reflètent l’intensité de l’activité. Des tas de poissons soigneusement alignés sur des tapis et dans des bassines sont cédés aux plus offrants. Le marché de poisson bat son plein. A en croire les pêcheurs, les nombreuses captures faites, ce jour, sont une aubaine. Cinq mois plus tôt, c’était le chaos en raison de la fermeture saisonnière de la pêche.

Beaucoup d’entre eux l’avaient très mal vécu. « Je ne souhaite pas que la saison du repos biologique revienne », confie Mikaël Zibra Zotépé. A la charge de ce jeune pêcheur bénino-ghanéen, svelte et teint clair, quatre-vingt-cinq bouches à nourrir. Il considère la fermeture saisonnière de la pêche suicidaire pour son activité.

Pour Ayayi Akouelé, revendeuse de poissons, la pilule du repos biologique a été très difficile à avaler. Elle a retrouvé le sourire après l’ouverture de la pêche. «La période du repos biologique a semblé interminable, compte tenu de la cessation d’activité. C’était très difficile pour nous. Nous souhaiterions l’accompagnement de l’Etat les prochaines fois ».

Mikaël Zibra Zotépé dit n’avoir pas trouvé son intérêt : « Je n’ai pas pu apprécier l’impact du repos biologique sur les poissons au Bénin. Il a fallu au moins un mois après l’ouverture de la pêche avant que les poissons ne commencent par grossir ».

Faux ! Rétorque professeur Christian Adjé, gestionnaire de pêche. « L’expérience sous-régionale du repos biologique en 2023 a eu un effet positif sur les ressources halieutiques parce que pendant un temps, les poissons ont soufflé. L’effet serait durable lorsque tous les pays créeront des réserves marines et interdiront la pêche dans ces réserves sur une période donnée. Si l’on impose des restrictions à un pêcheur aujourd’hui, il est capable de trouver d’autres alternatives demain pour détruire davantage la pêche. Si on peut étendre le repos biologique sur une grande période les fois à venir, ce sera bénéfique pour tous », suggère-t-il.

Professeur Zacharie Sohou, directeur de l’Institut de recherches halieutiques et océanologiques du Bénin (Irhob), apprécie aussi cette trêve. « Si on ne laisse pas les poissons pondre, il n’y aura pas de recrues dans la cohorte. A partir de ce moment, les espèces deviendront plus vieilles et ne pourront pas favoriser le renouvellement du stock», explique-t-il.

Meilleurs stocks de poissons

C’est en juillet 2023 que le ministère du Cadre de vie et du Développement durable a décrété pour la première fois au Bénin, le repos biologique en vue de favoriser le développement des espèces marines. Pendant cette période, aucun pêcheur n’était autorisé à aller en mer. « L’arrêt biologique de la pêcherie de la senne de plage a été une étape cruciale dans la préservation des ressources marines », apprécie le ministère du Cadre de vie et du Développement durable. Un mois plus tard, soit en août 2023, le point du ministère établit que les stocks de poissons dans la pêcherie de la senne de plage se reconstituent grâce à l’arrêt biologique.

En réalité, le repos biologique répond à une dynamique de groupe. « Les pays fusionnent leurs efforts pour protéger les ressources. Quand le Ghana l’a déclenché en 2023, tous les pays (ndlr : de la sous-région) étaient obligés de le suivre », explique Christian Adjé.

Pour le moment, le repos biologique se fait de différentes manières. La pêche concerne les acteurs des filets dormants, ceux de la senne de plage et ceux de la senne tournante. Cette année, le repos biologique a pris en compte les pêcheurs de la senne de plage à qui le ministère du Cadre de vie et du Développement durable a exigé cinq semaines d’inactivité. La finalité est de permettre aux poissons de bien grandir et de bien se reproduire.

Si cette trêve imposée aux pêcheurs a été perçue par certains comme un supplice, elle a tout de même permis aux poissons de mieux respirer. « Après l’ouverture, les captures sont devenues meilleures que par le passé. Nous avons constaté que les poissons ont plus grandi», témoigne Zéphirin Amèdomè, secrétaire général de l’Union nationale des pêcheurs marins, artisans et assimilés du Bénin (Unapemab).

La cessation d’activité n’a pas été pour autant synonyme d’inactivité. « Etant donné que le repos biologique a concerné seulement la senne de plage en 2023, on a constaté que les poissons qui se développent à la lisière des milieux marins, se sont multipliés, rendant les captures moins pénibles », apprécie Marcellin Agbéko, président de l’Unapemab de la sous-zone d’Agoué.

Si certains pêcheurs grincent les dents, l’expérience de 2023 a été un véritable coup de maître. « C’est une période d’essai qui a permis de constater qu’on doit l’étendre à toutes les activités de pêche au plan national. En 2024, nous comptons organiser la pêche avec la Direction générale de la production halieutique pour que le repos biologique soit généralisé à tous les pêcheurs », annonce-t-il.

Le chef village de Doyi, Basile Amoussou-Locossou, vice-président de l’Association Doukpo, est mieux placé pour parler de l’efficacité de cette option, qu’il juge ‘’meilleure’’ pour la sauvegarde de la pêche. Il est le témoignage vivant de l’activité que menaient ses parents et grands-parents. « Les grosses espèces de poissons sont moins faciles à capter aujourd’hui en raison de leur surexploitation et de l’utilisation des engins de pêche prohibés. Le repos biologique permet aux poissons de se reproduire parce qu’ils ne sont pas perturbés pendant une bonne période. Il favorise leur développement », apprécie-t-il.

A l’appui de son argumentaire, il soutient que la fermeture saisonnière de la pêche est une pratique ancestrale et que l’on ne saurait d’ailleurs pêcher tous les jours. « Le repos biologique existait depuis nos grands-parents. Sur le lac Ahémé, de Bopa jusqu’à Djondji, les gens accordaient sept à neuf jours de repos au lac, chaque année. Le lac appartient à l’Etat et c’est lui qui fixe les règles. Les gens seront obligés de les respecter», indique-t-il.

Le fait de l’Homme

Les produits alimentaires aquatiques contribuent plus que jamais à la sécurité alimentaire et nutritionnelle, mais ils connaissent une chute, du fait des pratiques humaines. L’utilisation des filets non conventionnels et des produits chimiques, le dépôt des matières plastiques dans l’océan, la capture des juvéniles sont autant de mauvaises pratiques de pêche contre lesquelles la fermeture saisonnière de la pêche lutte. A cela s’ajoutent les pertes générées par la pêche INN (pêche non déclarée, non réglementée) : vingt-cinq millions de dollars par an à l’économie mondiale.

Selon l’édition 2022 de la Situation mondiale de la pêche de l’Organisation des pêches et de l’aquaculture de l’Onu, la production de la pêche de capture est tombée à 90,3 millions de tonnes, soit une baisse de 4 % par rapport à la moyenne des trois dernières années. D’après ce rapport, la pérennité des ressources halieutiques marines reste un problème de taille surtout lorsqu’on considère que le pourcentage de stocks exploités à un niveau durable est tombé à 64,6 % en 2019, soit un repli de 1,2 % par rapport à 2017.

A en croire Mikaël Zibra Zotépé, « la pêche a toujours été une activité aléatoire. Nos bénéfices aujourd’hui sont de plus en plus faibles. A défaut d’être une solution à cette situation, le repos biologique peut améliorer l’activité », estime-t-il.

Pour sauver les meubles, la 13e Session du comité consultatif et de coordination du Comité des pêches du centre ouest du golfe de Guinée (Cpco) tenue en Côte d’Ivoire en 2021 a approuvé l’instauration d’une fermeture saisonnière de la pêche.

Les acteurs y voient une bouée de sauvetage.  « La mer, c’est la vie, c’est un gisement thermique, c’est la mémoire du climat, mais nous la rendons vulnérable en la dégradons par nos gestes. Nous avons intérêt à en prendre soin », recommande prof Christian Adjé.

Prof Zacharie Sohou renchérit : « 50 % de l’oxygène que nous respirons provient de l’océan. Si nous polluons la mer, cela veut dire que nous nous tuons nous-mêmes ».

Bien qu’apprécié par certains pêcheurs au Bénin, le repos biologique suscite tout de même des inquiétudes. Les acteurs déplorent le manque d’accompagnement de l’Etat. « Dans certains pays, l’Etat accompagne les pêcheurs pour qu’ils traversent la période avec moins de difficultés. Au Ghana par exemple, cela se ressent à travers l’accès aux crédits, des subventions du carburant, des intrants de pêche (filets, moteurs…). Chez nous au Bénin, c’est le sauve-qui-peut. Le pêcheur qui a les moyens s’en sort bien. Pour monter un armement de pêche, un patron de pêche investit au moins quinze millions de F Cfa. Mais l’Etat ne leur vient pas en aide. Des pêcheurs de la senne de plage payent des taxes alors qu’ils ne bénéficient d’aucune aide de l’Etat », se désole Zéphirin Amèdomè, secrétaire général de l’Union nationale des pêcheurs marins, artisans et assimilés du Bénin (Unapemab).

Difficultés

A ces difficultés se greffent des soucis d’ordre technique. « Comme nous n’avons pas de point de débarquement aménagé, les vagues sont capables d’avaler en un temps record l’armement que nous avons monté. Il faut avoir à l’esprit de sécuriser le matériel de travail lorsqu'on est  en rade sur la mer », soulève-t-il.

La pêche contribue pour 3,5 % au Pib national. A l’avenir, les pêcheurs souhaitent plus de communication avec les autorités compétentes pour bien passer la période de repos biologique. Ils plaident pour la subvention des matériels et équipements de pêche. En attendant l’Etat, ils organisent des sensibilisations périodiques à l’endroit de leurs pairs sur la pêche durable. Ce qui prend en compte les activités concourant à la pérennisation des espèces marines.

Le jeu en vaut la chandelle au regard de la demande croissante de produits alimentaires aquatiques. Le Bénin évalue ses besoins en ressources halieutiques à deux cent vingt mille tonnes, avec un gap à combler de cent quarante-six mille tonnes (comblé par les importations).

Selon l’édition 2022 de la Situation mondiale de la pêche de l’Organisation des pêches et de l’aquaculture de l’Onu. la consommation devrait progresser de 15 % et atteindre en moyenne 21,4 kg par habitant en 2030, principalement sous l’effet de la hausse des revenus et de l’urbanisation, des modifications apportées aux pratiques après capture et aux pratiques de distribution et de l’évolution des tendances alimentaires vers une meilleure santé et une meilleure nutrition.

La création des deux aires marines protégées (celle de Donatin et de Togbin, Bouche du Roy) et de la brigade de la pêche concourent à la pêche durable. Sauf qu’il faudra aussi avoir un œil vigilant sur les pêcheurs véreux pour tenir le pari?

Selon les statistiques de la Fao, l’Afrique occupe le 2e rang au plan mondial avec douze à dix-huit millions de travailleurs dans le secteur de la pêche et deux cents millions d’Africains dépendent du poisson. La production mondiale de pêche avoisine 80 millions de tonnes. Selon les dernières statistiques de 2014, le Bénin compte quatre mille trois cent cinq pêcheurs dans le domaine de la pêche maritime artisanale. On y retrouve des Béninois, des Togolais, des Ghanéens et des Nigérians. Sept cent vingt-huit embarcations échouent au niveau des 47 sites de débarquement, avec 70 % de monoxyles (pirogues taillées dans des creux de bois). Son taux de motorisation est de 90 %.

Nuance pêche maritime-pêche continentale

Le rapport final actualisé du Plan de gestion de l’Aire communautaire de conservation de la biodiversité (Accb) de la Bouche du Roy renseigne que « la pêche est la principale activité des populations de l’Accb. On distingue la pêche continentale et celle maritime. La pêche continentale se fait de façon artisanale avec l’utilisation des filets, des nasses et des palangres le long de la lagune côtière, des chenaux et autour des mares, marais et marécages. Des techniques de pêche comme les acadjas, les barrages de poisson sont rencontrées. La pêche maritime artisanale est en grande partie contrôlée par les étrangers (notamment ghanéens) qui sont embauchés comme main-d’œuvre à cause de leur maîtrise de l’activité par les populations locales.

Les types d’armement de pêche

Les filets dormants : Ce sont des filets d’une largeur d’environ 1,20 m que les pêcheurs tendent en y mettant des bouées. Ils peuvent pêcher de jour comme de nuit. Ils attendent le lever du jour pour remonter les filets.

Les sennes de plage : Ce sont des filets que les pêcheurs tendent et au bout desquels ils mettent une corde. Des deux côtés, on tire ces filets qui ont des poches à l’arrière. Quand les poissons viennent vers la côte, ils entendent le bruit de la barre et ont tendance à aller encore en hauteur. C’est dans ce mouvement qu’ils rentrent dans lesdites poches et on les pêche.

La scène tournante : c’est une scène de plage qu’on fait à l’intérieur des eaux. C’est le même système à corde dans le cas des scènes de plage.