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Production du manioc au Bénin: Le rendement en chute malgré les innovations

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Production du manioc Production du manioc

Malgré les résultats probants de la recherche, le rendement du manioc a chuté ces dernières années. Baisse de la fertilité des sols, mode d’exploitation des terres traditionnel, non-respect des itinéraires techniques, manque d’intrants spécifiques, expliquent cet état de choses.

Par   Claude Urbain PLAGBETO, le 22 oct. 2024 à 10h09 Durée 4 min.
#Production du manioc

Si le secteur agricole béninois enregistre une autosuffisance alimentaire appréciable pour certaines spéculations, la productivité agricole est encore insuffisante pour tirer parti du potentiel national. C’est le cas de la culture du manioc qui a affiché un rendement de 11,185 tonnes de racines à l’hectare lors de la campagne 2022-2023, selon les données de la direction de la Statistique agricole (Dsa/Maep). En effet, la production a atteint 4 350 054 tonnes pour une superficie emblavée de 388 908 hectares, soit un accroissement de la production de 3,1 % par rapport à la campagne 2021-2022 au terme de laquelle elle s’est affichée à 4 218 992 tonnes.


L’augmentation de la production est essentiellement le résultat de l’expansion des emblavures (+7,48 % en 2022 en passant de 361 843 ha en 2021 à 388 908 ha), au détriment de la hausse des rendements. La productivité a encore baissé de 4 % en 2022 en passant de 11,65 t/ha à 11,18 t/ha, après avoir régressé de 14,2 t/ha en 2019 à 12,02 t/ha en 2020. Le taux de réalisation de la cible de rendement du Psdsa (20 tonnes) est de 58,27 %, selon le Rapport de performances du secteur agricole en 2021 (Dsa/Maep, 2022). Le rendement est particulièrement faible dans l’Ouémé-Plateau : 9,6 t/ha contre 14,4 t/ha dans l’Atlantique en 2022.


La faible productivité en raison du mode d’exploitation des terres encore traditionnel, apparaît comme un problème auquel il convient de remédier pour atteindre les 5,7 millions de tonnes de racines projetés par le Bénin en 2026.  La culture reste globalement extensive, itinérante sur brûlis et exclusivement pluviale, et donc vulnérable aux aléas climatiques, notamment la pluviométrie.

Des producteurs signalent le manque d’intrants spécifiques. « Nous ne trouvons pas de boutures de manioc de qualité, surtout en saison sèche », déplore Sévérine Nago, productrice de manioc à Allada. « Parfois, on ne trouve que de fibrilles en lieu et place des tubercules racines à la récolte », poursuit la présidente de la coopérative Doudédji.

Pourtant, les recherches à l’Institut national des recherches agricoles du Bénin (Inrab) ont abouti à la mise au point de variétés performantes, à haut rendement en racines fraîches. Ces variétés sont tolérantes, résistantes aux maladies et aux changements et variabilités climatiques des différentes zones agro-écologiques du pays. Au total, 19 variétés de manioc (Manihot esculenta Crantz, de son nom scientifique) inscrites au Catalogue béninois des espèces et variétés végétales (Cabev, 2016), sont adoptées par bon nombre de producteurs mais peu connues d’autres. « Ces variétés peuvent donner de 35 à 50 tonnes de racines fraîches à l’hectare, lorsque les itinéraires techniques sont respectés », assure Nestor I. Olodo, technicien au Centre de recherches agricoles Sud (Cra-Sud) basé à Niaouli, arrondissement d’Attogon, commune d’Allada. Mais faute de bonnes pratiques culturales en milieu paysan, explique le technicien, le rendement moyen se situe entre 13 et 17 tonnes à l’hectare.

Cible : 20 tonnes/ha

Au nombre des variétés, deux restent phares pour la culture au Bénin : « Ben 86052 » et « RB 89509 ». L’installation de quelque 33 ha de parc à bois avec les deux variétés de manioc issues des vitroplants a permis de couvrir le Sud du Bénin en 2016 pour lever le pied de cuve, compte tenu de la forte pression des maladies de la mosaïque, de l’anthracnose et de la bactériose qui ont entraîné la baisse du rendement en racines. Les travaux ont été relancés avec le Projet d’appui au développement agricole et à l’accès au marché (Padaam 2018-2025) qui accompagne la recherche, avec un focus sur la mise en place de parc à bois, en vue de la production de 141,4 millions de boutures de manioc au total. Il a récemment commandé 2,5 ha soit 25 000 tiges de base des variétés de manioc à haut rendement qu’il distribuera aux producteurs de la zone d’intervention ; 17000 vitroplants de manioc sont à acclimater par le Cra-Sud de l’Inrab.

Il est question, entre autres, de porter le rendement à l’hectare de 13 tonnes (situation de référence) à 20 tonnes/ha en moyenne, conformément aux objectifs fixés dans le Plan stratégique de développement du secteur agricole (Psdsa 2017-2025). La question liée au renforcement de capacités des organisations professionnelles à fournir des services n’est pas en reste, tout comme la formation en matière technique et organisationnelle des producteurs semenciers.

Deux des meilleures variétés de manioc jaune, plus riches en bêtacarotène (précurseur de la vitamine A) que les variétés de manioc à chair blanche, sont introduites au Bénin par l’Institut international d’agriculture tropicale (Iita) à travers le Cra-Sud de l’Inrab et sont en cours de multiplication depuis 2019. Ces variétés hautement productives (rendement pouvant aller jusqu’à 50 tonnes/ha) ont été déjà diffusées en milieu réel auprès de 200 producteurs au moins au Sud du Bénin. Seulement, des producteurs n’étant pas habitués à la couleur jaune du manioc, montrent une certaine réticence, d’où il convient de les sensibiliser, fait observer Rodrigue Binazon, technicien spécialisé en diversification au niveau de la Cellule communale de Grand-Popo de l’Agence territoriale de développement agricole - Atda Pôle 7 (Atlantique, Littoral, Mono et Ouémé).

Restaurer les terres

L’augmentation de la production du manioc en particulier passe par l’amélioration de la productivité des terres, la sensibilisation des producteurs à adopter des semences de qualité et des techniques culturales optimales, admet Athanase Lokonon, président de l’Association nationale des producteurs de manioc du Bénin (Anapma-Bénin). Tout en saluant les efforts du gouvernement et de ses partenaires, il plaide pour la poursuite de l’aménagement des terres agricoles et de la maîtrise d’eau pour augmenter les emblavures.


En raison de la baisse des rendements, certains producteurs, à l’instar de Séverine Nago, suggèrent la mise au point d’engrais minéraux spécifiques pour le manioc. A défaut, lorsque le sol est pauvre, l’on fait recours à l’engrais coton à raison de huit sacs de 50 kg de NPK de formule 14-23-14, deux sacs de 50 kg de KCl et deux sacs de 50 kg d’urée pour un hectare de manioc, informe Nestor Olodo. Dans le département du Zou, nuance le technicien, il est déconseillé d’utiliser l’urée parce que le sol est riche en cet élément.

« Ce serait un gaspillage de faire usage des engrais dans les zones de terres noires, très riches et favorables à la production du manioc », prévient le technicien Rodrigue Binazon.

Par ailleurs, l’éternelle question de sécurisation foncière reste un casse-tête pour le développement agricole. « Je ne suis plus dans la production, parce que le propriétaire du terrain en bail que j’occupais, a voulu reprendre son champ », informe Tiburce Cotchou, secrétaire général de la Coopérative « La Victoire » de Grand-Popo, qui se concentre désormais sur la transformation du manioc en ses dérivés.

 « La terre ne nous suffit pas ; les 2 hectares et demi que je cultive actuellement, j’ai loué le champ pour deux ans à 80 000 F Cfa », laisse entendre Paul Hounza, président de la Coopérative Fifadji basée à Daxè, commune de Houéyogbé.

« Nous avons des difficultés à accéder à la terre pour produire, surtout nous les femmes, alors que des terres s’étendent à perte de vue et les propriétaires n’en font rien », se désole Sévérine Nago. Elle se résigne à exploiter, pour son propre compte, les abords de sa maison et l’intérieur du collège public de sa localité, des endroits visiblement peu propices, pour produire du manioc.

Aussi, les inondations des dernières années ont découragé plus d’un producteur de manioc dans les zones de crue.

Eradiquer les maladies virales

Outre la réduction des cycles culturaux, il est aussi question d’œuvrer à l’éradication des maladies virales du manioc pour augmenter le rendement. En fait, la culture du manioc est confrontée à des contraintes biotiques que sont les ravageurs et les maladies.


Au nombre des principaux parasites, la mosaïque causée par le virus de la mosaïque africaine du manioc (Acmv), la bactériose causée par Xanthomonas axonopodis pv. manihotis et la pourriture du collet causée par Sclerotium rolfsii peuvent engendrer jusqu’à 100 % de perte de rendement en l’absence de méthodes de lutte adéquates, souligne Marie Epiphane Dossoumou, docteur en phytopathologie et protection des végétaux en service au Cra-Agonkamey à Abomey-Calavi. D’autres ont un moindre impact sur la culture, notamment l’anthracnose causée par Colletotrichum gloeosporioides f.sp. Manihotis, qui est prédominante au Sud-Bénin et la cercosporiose causée par Cercospora henningsii qui se rencontre sur toute l’étendue du territoire. « Dans certains cas, le manioc produit ne pourra être consommé ni transformé », selon le chercheur. 


Pour combattre la bactériose et la pourriture, il préconise l’utilisation d’un bactéricide, tandis que la lutte contre les viroses nécessite l’utilisation d’un matériel végétal sain. Dans cette veine, il importe d’accélérer les recherches entamées, de poursuivre la production de vitroplants sains de manioc, tout en vulgarisant les applications développées pour reconnaître des maladies■

Des moyens limités

Des producteurs disposent de la terre mais ne peuvent l'exploiter faute de main-d’œuvre et de moyens financiers. C’est le cas de Simplice Sodégbé, producteur à Doumahou, arrondissement d’Adjintimey, commune de Djakotomey. Sur son domaine de 12 ha, seulement la moitié est couverte de plants de manioc, par manque d’ouvriers et d’argent, explique-t-il.

Le producteur ne fait partie d’aucune coopérative encore moins d’une union de producteurs, mais dit attendre, depuis deux ans, en vain, un tracteur et un fonds de roulement pour emblaver davantage et augmenter sa production. Il exprime aussi le besoin de magasin pour le stockage des produits. Il avoue ignorer les techniques modernes de culture, en dehors des boutures de « Ben » et « Rb » qu’il se procure auprès d’un semencier de la localité à raison de 50 F Cfa la tige.

La filière manioc est en pleine structuration. « La difficulté, c’est que les acteurs de la filière ne sont pas aussi organisés comme c’est le cas au niveau des filières coton, ananas ou maraichage, pour pouvoir bénéficier des appuis », signale Rachidatou Boukari, cheffe Cellule communale Abomey-Calavi/Cotonou, à l’Atda Pôle 7 (Atlantique, Littoral, Mono et Ouémé).

La main-d’œuvre se faisant rare et coûteuse, il est nécessaire d’investir dans l’acquisition des équipements modernes de production afin de rendre le travail moins pénible, souhaite Stella Tossou Guitoumba, productrice à Gbéhoué, commune de Grand-Popo. Les machines telles que la billonneuse, la planteuse, la récolteuse et la découpeuse permettront d’emblaver de grandes superficies, renchérit Nestor Olodo.

L’accès au financement adapté reste une préoccupation partagée par les acteurs de la filière, quoique le Fonds national de développement agricole (Fnda) ait signé des conventions avec des banques et des systèmes financiers décentralisés (Sfd) pour financer le monde agricole au Bénin■