La Nation Bénin...
Au
cœur de la réserve de biosphère Bouche du Roy, dans le département du Mono, le
jonc fait le bonheur des femmes. Sa transformation en divers produits permet à
la gent féminine de s'autonomiser et de s'épanouir. Zoom sur une activité
économique majeure dans la commune de Grand-Popo…
Arrondissement
de Gbéhoué, commune de Grand-Popo. 11 h 20. L’Association villageoise d’épargne
et de crédit (Avec) Nèdjroamèdé d’Adimado vient de finir sa réunion
hebdomadaire. Les dizaines de carnets d’épargne disposés au milieu de
l’assemblée rendent compte de la tenue des finances et des efforts de chaque
membre. Entre anecdotes, éclats de rires, récits d’expériences et
applaudissements, les femmes de cette association prennent part aux réunions
avec beaucoup d’enthousiasme.
Leur
adhésion à l’association ‘’Avec’’, installée il y a environ quatre ans, est un
atout majeur. A chaque réunion, une femme ramasse la somme réunie, afin de la
réinvestir dans une activité génératrice de revenus. Le principe est connu et
les membres participent aux réunions dans cet état d’esprit. Celles qui sont à
jour de leurs cotisations sont éligibles aux prêts. Une véritable bouffée
d’oxygène pour les femmes.
« Les femmes ont pris au sérieux les Associations villageoises d’épargne et de crédit dès qu’elles en ont vu l’importance. Cette stratégie les a rendues vraiment autonomes », apprécie Ekué Franck Affanou, assistant de projet à Eco-Bénin, avant de poursuivre : « Elles étaient habituées à faire des prêts auprès des institutions de microfinance avec des taux d’intérêt élevés. En présence des Associations villageoises d’épargne et de crédit, ces institutions leur font la cour aujourd’hui, en vain. Elles n’y trouvent pas grand intérêt. Les ‘’Avec’’ contribuent énormément à leur autonomisation ».
Les femmes font de l'exploit avec le jonc
Au
sein desdites associations, les choses ne se font pas au rabais. Les membres
bénéficient de différentes formations en matière de planification, d’éducation
financière et d’autonomisation. Mélanie Décadjèvi en est un vivant témoignage.
« On nous a appris comment dépenser l’argent et comment épargner les bénéfices.
C’est avec l’aide de mon association que j’ai démarré la construction de ma
maison en matériaux durs. Lorsque je suis à court de moyens, je peux bénéficier
d’un prêt pour acheter du ciment et le rembourser après. J’apprécie la bonne
gestion des finances au sein de cette association », laisse-t-elle entendre.
Leur
motivation tient de la transformation du jonc, activité phare des femmes de la
localité. « La transformation des joncs est intéressante. C’est un métier qu’on
peut exercer sur place chez soi et en même temps s’occuper de sa famille »,
apprécie Odile Houssou, membre de l’Avec Nèdjroamèdé d’Adimado.
Pour
cette femme qui a déjà acquis plus d’un quart de siècle d’expérience dans ce
métier, le jonc représente sa survie. «
Je paye la scolarité de mes enfants et les nourris, sans attendre leur père »,
confie-t-elle.
Qui y touche y prend goût
Odile Houssou est une jeune transformatrice dévouée. Elle ne connaît autre activité que l’exploitation du jonc. Pour celle dont la naissance a eu lieu presque dans les champs de jonc, la matière n’a plus aucun secret.
Perçue
d’un regard extérieur comme une activité peu rentable, la transformation du
jonc fait le bonheur des femmes du Mono. «Je note une amélioration de mes
conditions de vie comparativement au passé», se réjouit Mélanie Décadjèvi.
Les
exemples de réussite dans le rang des transformatrices foisonnent. Ablavi
Luclaisse Tossou, couturière de formation, a pris goût à la fabrication de
nattes à base de jonc, depuis qu’elle y a touché pour la première fois. Elle
cumule agréablement cette activité et la couture.
Gbèdassi
Ahounou est l’une des trieuses de renom. Son lieu de travail est situé sous un
arbre derrière l’école primaire publique d’Avlo-plage. La soixantaine révolue,
elle s’adonne à cette activité au quotidien. Chaque jour, elle s’évertue à
faire le tri de tous les joncs ramenés de la zone d’exploitation, notamment
dans les prairies marécageuses avant de se donner du repos.
Marie-Claire
Gangnan n’est pas moins heureuse d’exercer ce métier qu’elle espère léguer à
ses enfants. « Ce n’est que par cette activité que j’arrive à subvenir aux
besoins de ma famille », dit-elle.
Il
ne pourrait en être autrement pour cette dame qui tient ce métier de sa
grand-mère qui est la présidente des associations villageoises d’épargne et de
crédit d'Avlo-Plage.
Les
bénéfices générés par la transformation du jonc en natte permettent aux membres
de l’association Nèdjroamèdé d’Adimando de mieux gérer les périodes de soudure.
« J’ai tracé mes perspectives en fonction de mes économies issues de la
fabrication des nattes », souligne-t-elle.
En dehors du principal produit issu de la transformation du jonc qu’est la natte, elles réussissent aussi à fabriquer des serpillères, des chapeaux, des matelas, des nappes de table, des couvre-verres, des éventails, des couffins, des sacs, des étalages, des ‘’tchatcha’’ (chaîne fabriquée à base de jonc que les dignitaires traditionnels portent au pied) ….
Pour
écouler leurs produits, les femmes explorent les marchés environnants. Les
grossistes les revendent au marché international Dantokpa de Cotonou. Leurs
clients viennent de Sèmè-Kraké, frontière bénino-nigériane et des pays voisins
tels que le Togo, le Ghana.
Le
souhait des femmes, c’est d’avoir la possibilité d’exporter leurs produits vers
d’autres pays à l’international.
Vaches grasses, vaches maigres
La transformation du jonc est un processus de longue haleine. L’activité fait appel à de la main-d’œuvre diversifiée. Tout commence par le fauchage du jonc par les hommes et leur regroupement en petites bottes par les femmes et les enfants. Des zones de fauchage, les bottes de joncs sont transportées en pirogues et convoyées vers le village, sur la terre ferme.
Après
cette étape, vient le tri du bon grain de l’ivraie. S’ensuivent l’étape du tas,
le séchage et le travail manuel de fabrication de nattes.
Pour
y arriver, les transformatrices ont besoin de ficelles, de colorant et d’un
dispositif à bois transversal fabriqué par les menuisiers sur lequel de petits
clous d’environ 1 à 2 cm sont fixés. A travers ces ficelles, elles font passer
les joncs jusqu’à donner des formes de nattes. Pour rendre les nattes plus
agréables à la vue, elles utilisent des colorants dans lesquels elles trempent
les joncs. Les joncs ainsi colorés représentent tout un design dans la
fabrication des nattes. « Le tissage des nattes nous procure des revenus et
contribue à l’amélioration de nos conditions de vie », apprécie Gbèdassi
Ahounou.
De
son nom scientifique Cyperus articulatus, le jonc est une espèce fortement
exploitée par les populations locales notamment les femmes qui s’adonnent à la
coupe des tiges qui sont commercialisées. On estime que plus de 50 % des femmes
de la réserve de biosphère Bouche du Roy et des zones périphériques s’adonnent
à l’exploitation de l’espèce ; ce qui contribue fortement aux revenus des
ménages de la zone.
Il
faut relever qu’avec le jonc, autant les femmes connaissent des périodes
fastes, autant elles connaissent des périodes de vaches maigres. « Quand le
jonc est florissant, nous en profitons énormément. Nous l’exploitons presque
gratuitement parce que c’est disponible dans la nature », confie Marie-Claire
Gangnan, présidente de la coopérative Djigbondè (patience) d’Adimando.
Les
joncs poussent dans des espaces humides. Toutefois, quand les prairies
marécageuses sont remplies de paspalum, les femmes retrouvent tout un ensemble
de joncs et d’autres espèces végétales qui en réalité, les desservent, parce
que la plupart du temps, l’ivraie dépasse le bon grain. Le tri devient
fastidieux, alors que les vendeurs cèdent le tas de joncs en fonction de la
superficie emblavée : en moyenne 6000 F Cfa, selon les périodes de l’année. Le
transporteur, lui non plus, ne fait de concession. Son prix est fixé en
fonction du tas qu’il a chargé.
Au
milieu de ce scénario, les femmes deviennent les grandes perdantes. « Avant le
séchage, il faut trier. Au bout de ce processus, il arrive que nous trouvions
très peu de matière exploitable lorsque le jonc est rempli de déchets. Dès
lors, les pertes sont considérables », relève Odile Houssou.
La
matière première des femmes transformatrices est davantage rare lorsque le
fleuve Mono devient plus salé. Elles sont donc obligées d’attendre la saison
pluvieuse, période favorisant l’irrigation naturelle du jonc, pour reprendre
leurs activités.
Pendant
les périodes peu florissantes, elles gagnent leur vie par la production du sel,
la pêche de crabes d’eau douce, la transformation des noix de palme,
l’agriculture….
Elles
ont surtout compris que pour mieux réussir, elles ne doivent pas évoluer en
rangs dispersés. C’est pourquoi, elles se sont mises en coopératives afin de
pérenniser les acquis de leurs différentes formations. Marie-Claire Gangnan est
la présidente de la coopérative Djigbondè (patience) d'Adimado.
Pour tester leur degré d’assimilation des formations, les partenaires les soumettent parfois à des exercices de fabrication de divers articles à base de jonc. C’est justement sur ce terrain que Marie-Claire Gangnan démontre tout son talent. Elle et son équipe composée de dix-sept membres ont passé plus d’une fois, ce cap avec brio. Une évidence, avec le jonc, les femmes transformatrices font de l’exploit à Grand-Popo.
Régénération rapide
Le jonc est une plante qui colonise les bords et les fonds des plans d’eau stagnants. Sa transformation n’est pas aussi nuisible à l’environnement et son exploitation ne représente non plus une menace de disparition pour l’espèce en raison de sa régénération assez rapide. « Lorsque les joncs sont verts, ils aspirent le gaz à effet de serre. Si on ne les coupe pas, à un moment donné, ils vont s’assécher et ne seront plus utiles. Il faut les couper pour favoriser leur préservation», indique Ekué Franck Affanou, assistant de projet à Eco-Bénin.
Dans
la réserve de biosphère Bouche du Roy à Grand-Popo, on retrouve le jonc à Avlo
village, Allongo, Avlo-Plage, Adimado et Sohon…