La Nation Bénin...
Yéroumaro,
à 12 km de N’dali centre, une cabine téléphonique de type particulier est le
point de ralliement de plusieurs jeunes et moins jeunes. Au fronton du pavillon
en bois peint en blanc et griffé « Digikiosque», on peut lire : « Agricef, une
solution digitale pour une gestion agroécologique plus efficace et efficiente
de la Chenille légionnaire d’automne (Cla) au Nord-Bénin ». L’habitacle
originel est abandonné au profit d’un bâtiment fait en dur et surmonté d’un
toit en feuilles de tôle.
Le
dispositif d’équipements solaires et la table multiprises qu’abrite le kiosque,
servent pour la recharge des téléphones, confie Mathieu Tawéma, la trentaine,
gérant des lieux. Des vidéos sur des solutions numériques innovantes et les
process agricoles sont projetées, les samedis soirs, informe-t-il. Le jeune
homme, natif de la localité, est outillé pour orienter les producteurs dans le
choix des téléphones compatibles avec les applications en vogue et les initier
à l’utilisation des smartphones et applications.
Ce
kiosque est l’un des six implantés dans les communes de N’Dali (département du
Borgou) et de Natitingou (département de l’Atacora) par le projet «DigiCla »
financé par le Centre international de physiologie des insectes et d’écologie
(Icipe) et l’Union européenne. Lancé en mai 2022, ce projet est mis en œuvre
par l’université de Parakou (Up) à travers le Laboratoire de recherche sur
l’innovation pour le développement agricole (Lrida) en partenariat avec l’Ong
Eclosio et l’Ong Tic Abc. Il vise à promouvoir l’innovation numérique agricole
pour lutter contre la chenille légionnaire d’automne, redoutable ravageur du
maïs, informe Dr Ismail Moumouni Moussa, professeur titulaire en Agrosociologie
à l’Up, coordonnateur du projet « DigiCla ». Il s’inscrit dans le cadre du
programme « AgriDi » (Accélérer la croissance verte inclusive grâce à
l'innovation numérique agricole en Afrique de l’Ouest) qui vise à renforcer les
systèmes d'innovation et à favoriser l’adoption de technologies numériques
agro-industrielles sur la période 2021-2025, ajoute-t-il.
Le déploiement de l’application « Agricef-Maïs » permet aux producteurs disposant de smartphone de diagnostiquer le niveau d’infestation de leurs champs par la chenille légionnaire, en prenant dix photos des feuilles. Les résultats probants obtenus dans le champ-école paysan (Cep) exploité depuis deux ans, suivant les méthodes de lutte agroécologique testées, ont fini de convaincre les plus sceptiques.
Le cultivateur Jean Sékou Téboké, un usager du Digikiosque, n’en dit que du bien. « Grâce aux conseils reçus à travers les vidéos en langue ditamari projetées, j’ai pu améliorer le rendement du maïs qui est passé de 2 sacs et demi à 4 sacs sur un quart d’hectare», apprécie-t-il. Son confrère Alain Yomou abonde dans le même sens. «En appliquant les instructions données à travers les messages vocaux, le rendement du soja dans mon champ est passé de 15 sacs à 18 sacs à l’hectare », confie-t-il.
La
coopérative féminine de maraîchage « Tibona » de la localité, composée de 13
femmes, a également bénéficié des conseils avisés, améliorant significativement
la productivité et la production, apprécie Jean Sékou Téboké, secrétaire
général de l’association.
Outre
les projections, ce qui fait drainer souvent du monde au kiosque, c’est la
charge de batteries moyennant 100 F Cfa et l’achat de crédits de réseau Gsm
pour les rares détenteurs de téléphone portable dans ce village non couvert ni
par le réseau conventionnel ni par un réseau privé d’électricité, informe M.
Tawéma. Les réseaux Gsm et Internet y sont aussi peu stables.
Une
étude nous a montré qu’en milieu rural, un producteur dépense en moyenne entre
3000 et 7000 F Cfa par mois juste pour charger son téléphone, confie le
coordonnateur, pour justifier de la pertinence du projet.
«
Cela veut dire : quelle que soit la qualité de la solution que vous déployez,
tant que le producteur n’arrive pas à allumer son téléphone, il ne peut pas y
avoir accès », explique Donald Tchaou, responsable de Tic Agro Business Center.
D’une
durée de deux ans, le projet vient à terme et la mise à échelle des innovations
ainsi que la durabilité des acquis préoccupent les parties prenantes. Les
bénéficiaires plaident pour son renouvellement et son extension, signalant des
problèmes de dysfonctionnement du dispositif solaire. « Une batterie plus
grande et des panneaux solaires plus grands permettraient de satisfaire la
demande qui est forte», plaide Mathieu, le «digipreneur » de Yéroumaro
A travers les digikiosques, au moins 921 producteurs (dont 338 femmes) sont formés sur les méthodes de lutte agroécologique contre la chenille légionnaire et sont aujourd’hui en mesure de mieux reconnaître le nuisible, préserver les champs et pratiquer des traitements préventifs et curatifs, confie Donald Tchaou, responsable de Tic Agro Business Center. De nombreux producteurs ont pu améliorer leurs connaissances dans le numérique en termes de manipulation de téléphone, de découverte de nouvelles fonctionnalités, assure-t-il.
Plus
de 283 producteurs dont 71 femmes sont formés à l’utilisation de l’application
Agricef et au moins 121 producteurs sont inscrits sur l’application dont 47
femmes en trois mois de déploiement, selon M. Tchaou. Il est enregistré 729
connexions à l’application soit en moyenne 6 connexions par producteur
disposant de smartphone, poursuit-il