La Nation Bénin...
«
L’état actuel de l’implémentation des Tic dans l’agriculture donne espoir,
parce que depuis plusieurs années, il y a des efforts constants qui sont
fournis, même si nous sommes encore loin des pays comme le Kenya, le Ghana, la
Côte d’ivoire », apprécie Aziz Sobabè, ancien directeur du Système
d’information du Maep. Les principales contraintes à l’adoption des solutions
numériques sont d’ordre matériel, financier et éducatif, fait-il observer.
Le
coût d’accès aux technologies reste élevé et n’est pas à la portée de toutes
les bourses, notamment des petits producteurs, signale Roger N’dah Sékou,
président de l’Union communale des producteurs de Natitingou.
L’enseignant-chercheur
Ismail Moumouni Moussa fait observer, pour sa part, la faible couverture du
réseau internet et du mobile et l’insuffisance de plateformes sécurisées.
Certes, le Bénin a fait un bond qualitatif ces dernières années (taux de
pénétration mobile : 67,3 % et taux de pénétration internet mobile : 55,4 % en
2023, selon Arcep, février 2024). Mais, ces données cachent de nombreuses
disparités, la pénétration de l’Internet et du mobile demeurant faible dans les
zones rurales. Globalement, le taux de pénétration serait de 34 % pour
l’Internet et 9,6 % pour les Réseaux sociaux en 2023, selon Digital Report 2024
publié par MeltWater & We Are Social.
A
cela s’ajoute la faible capacité d’un grand nombre d’acteurs à utiliser de
manière efficiente les outils numériques. «Analphabètes pour la plupart,
nombreux sont les producteurs qui estiment ne pas être en mesure d’utiliser un
smartphone, même s’ils en ont les moyens », souligne Roger N’dah Sékou. « Les
rares qui sont dans des groupes WhatsApp réagissent très peu, quoique les
échanges se déroulent en langue locale », souligne le producteur.
Le
faible niveau d’éducation numérique des acteurs agricoles s’avère une
contrainte majeure à lever, acquiesce le professeur Moumouni. « Tenez ! Un
paysan a abandonné son téléphone, alors qu’il a activé le mode avion et ne
recevait plus d’appel ni de message », raconte-t-il, visiblement peiné de cette
situation.
Le rapport de recherche «Ecosystème de l'agriculture numérique au Bénin : Analyse de l’environnement institutionnel, des solutions numériques et des acteurs » (Aced, mai 2023) a relevé une « très faible collaboration » entre les acteurs, occasionnant des redondances et l’obsolescence dans l’innovation ainsi que la concentration de soutien aux mêmes acteurs. Donald Tchaou, responsable de Tic Abc confirme cet état de choses : « Il n’y a pas un cadre formel d’échanges ; certains ont tendance à reprendre des solutions qui existent et chacun reste isolé dans son coin. Je pense qu’on se marche dessus, car il n’y a pas vraiment une spécialisation des acteurs ».
Face à la diversité des acteurs, un cadre de concertation s’avère nécessaire pour harmoniser les connaissances entre eux, et avec les partenaires techniques et financiers, les Organisations de la société civile (Osc). « Il faudrait que tous ceux qui sont dans ce secteur puissent se retrouver et développer plus de synergie d’actions pour améliorer les outils et développer plus de complémentarité d’actions dans le secteur agricole », suggère Donald Tchaou.
Pour
renforcer l’écosystème du e-agriculture au Bénin, l’Aced recommande de mettre
l’accent sur l’inclusion numérique dans le secteur agricole à travers
l’éducation numérique des acteurs agricoles, le désenclavement numérique des
zones rurales grâce à l’expansion des infrastructures du numérique, et la
réduction ou la subvention des coûts d’accès aux solutions numériques dans le
secteur agricole.
«
Il faut plus de moyens logistiques, de spécialistes, de start-up, d’incubateurs
pour l’insertion des jeunes », renchérit Aubin Yolou, directeur départemental
de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche du Plateau. « Il faut également
développer des outils qui sont faciles d’accès et durables et qui répondent
réellement aux besoins des acteurs et surtout à moindre coût, pour que l’acteur
même, en payant l’information puisse mesurer l’incidence ou l’effet de la
pratique des solutions dans son exploitation agricole, sur son revenu et dans
sa vie quotidienne », ajoute-t-il.
Une
étude sur l’adéquation de l’offre et de la demande en la matière s’avère
nécessaire, pour examiner en toute objectivité la pertinence des solutions
numériques agricoles proposées face aux besoins réels des acteurs agricoles,
indique le rapport de l’Aced. Il serait aussi pertinent de réaliser une
évaluation de l’impact de ces solutions sur les performances des exploitations
agricoles, et sur les conditions de vie et de travail des acteurs agricoles,
mentionne le document.
Outre
les foires consacrées à la promotion des technologies, il importe d’intensifier
la communication pour que les bénéficiaires sachent ce qu’ils gagnent en
s’insérant dans cette dynamique du développement des Tic, au niveau des
différents maillons de l’agriculture, estime Geoffroy Amoussou, chef programme
Diversification agricole à l’Atda Pôle 5. Il insiste aussi sur la vulgarisation
des itinéraires techniques de production agricole de nouvelle génération ou de
type avancé et le conseil à l’accès aux marchés (Cam), pour impacter
positivement la production. « Si l’acteur a l’information, il peut prendre
rapidement la décision en faveur d’une meilleure planification de sa campagne :
l’approvisionnement très tôt en intrants, le labour, le semis, la récolte,
l’accès aux marchés », explique-t-il.
« Les Tic, c’est l’avenir de l’agriculture ; la mécanisation agricole, c’est bien, mais si elle n’est pas associée à la digitalisation, cela ne marchera pas ; les deux doivent aller de pair», conçoit Romaric Zinmonsè, président de l’Ong Emergency Africa, qui œuvre à l’éducation numérique des jeunes et des femmes à Natitingou. « Leur implémentation permet de gagner en temps et en argent, car le paysan ne peut plus aller au champ du matin au soir, travailler à la daba, gaspiller ses récoltes, brader ses produits pour survivre», soutient-il