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Usage des Tic en milieu paysan au Bénin: Limites et défis de l’écosystème du e-agriculture

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L’application Agricef s’avère une solution digitale efficace dans la lutte contre la chenille  légionnaire d’automne dans les champs de maïs L’application Agricef s’avère une solution digitale efficace dans la lutte contre la chenille légionnaire d’automne dans les champs de maïs

« L’état actuel de l’implémentation des Tic dans l’agriculture donne espoir, parce que depuis plusieurs années, il y a des efforts constants qui sont fournis, même si nous sommes encore loin des pays comme le Kenya, le Ghana, la Côte d’ivoire », apprécie Aziz Sobabè, ancien directeur du Système d’information du Maep. Les principales contraintes à l’adoption des solutions numériques sont d’ordre matériel, financier et éducatif, fait-il observer.

Par   Claude Urbain PLAGBETO, le 21 août 2024 à 11h04 Durée 3 min.
#E-agriculture au Bénin

Le coût d’accès aux technologies reste élevé et n’est pas à la portée de toutes les bourses, notamment des petits producteurs, signale Roger N’dah Sékou, président de l’Union communale des producteurs de Natitingou.

L’enseignant-chercheur Ismail Moumouni Moussa fait observer, pour sa part, la faible couverture du réseau internet et du mobile et l’insuffisance de plateformes sécurisées. Certes, le Bénin a fait un bond qualitatif ces dernières années (taux de pénétration mobile : 67,3 % et taux de pénétration internet mobile : 55,4 % en 2023, selon Arcep, février 2024). Mais, ces données cachent de nombreuses disparités, la pénétration de l’Internet et du mobile demeurant faible dans les zones rurales. Globalement, le taux de pénétration serait de 34 % pour l’Internet et 9,6 % pour les Réseaux sociaux en 2023, selon Digital Report 2024 publié par MeltWater & We Are Social.

A cela s’ajoute la faible capacité d’un grand nombre d’acteurs à utiliser de manière efficiente les outils numériques. «Analphabètes pour la plupart, nombreux sont les producteurs qui estiment ne pas être en mesure d’utiliser un smartphone, même s’ils en ont les moyens », souligne Roger N’dah Sékou. « Les rares qui sont dans des groupes WhatsApp réagissent très peu, quoique les échanges se déroulent en langue locale », souligne le producteur.

Le faible niveau d’éducation numérique des acteurs agricoles s’avère une contrainte majeure à lever, acquiesce le professeur Moumouni. « Tenez ! Un paysan a abandonné son téléphone, alors qu’il a activé le mode avion et ne recevait plus d’appel ni de message », raconte-t-il, visiblement peiné de cette situation.

Le rapport de recherche «Ecosystème de l'agriculture numérique au Bénin : Analyse de l’environnement institutionnel, des solutions numériques et des acteurs » (Aced, mai 2023) a relevé une « très faible collaboration » entre les acteurs, occasionnant des redondances et l’obsolescence dans l’innovation ainsi que la concentration de soutien aux mêmes acteurs. Donald Tchaou, responsable de Tic Abc confirme cet état de choses : « Il n’y a pas un cadre formel d’échanges ; certains ont tendance à reprendre des solutions qui existent et chacun reste isolé dans son coin. Je pense qu’on se marche dessus, car il n’y a pas vraiment une spécialisation des acteurs ».

Actions impératives

Face à la diversité des acteurs, un cadre de concertation s’avère nécessaire pour harmoniser les connaissances entre eux, et avec les partenaires techniques et financiers, les Organisations de la société civile (Osc). « Il faudrait que tous ceux qui sont dans ce secteur puissent se retrouver et développer plus de synergie d’actions pour améliorer les outils et développer plus de complémentarité d’actions dans le secteur agricole », suggère Donald Tchaou.

Pour renforcer l’écosystème du e-agriculture au Bénin, l’Aced recommande de mettre l’accent sur l’inclusion numérique dans le secteur agricole à travers l’éducation numérique des acteurs agricoles, le désenclavement numérique des zones rurales grâce à l’expansion des infrastructures du numérique, et la réduction ou la subvention des coûts d’accès aux solutions numériques dans le secteur agricole.

« Il faut plus de moyens logistiques, de spécialistes, de start-up, d’incubateurs pour l’insertion des jeunes », renchérit Aubin Yolou, directeur départemental de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche du Plateau. « Il faut également développer des outils qui sont faciles d’accès et durables et qui répondent réellement aux besoins des acteurs et surtout à moindre coût, pour que l’acteur même, en payant l’information puisse mesurer l’incidence ou l’effet de la pratique des solutions dans son exploitation agricole, sur son revenu et dans sa vie quotidienne », ajoute-t-il.

Une étude sur l’adéquation de l’offre et de la demande en la matière s’avère nécessaire, pour examiner en toute objectivité la pertinence des solutions numériques agricoles proposées face aux besoins réels des acteurs agricoles, indique le rapport de l’Aced. Il serait aussi pertinent de réaliser une évaluation de l’impact de ces solutions sur les performances des exploitations agricoles, et sur les conditions de vie et de travail des acteurs agricoles, mentionne le document.

Outre les foires consacrées à la promotion des technologies, il importe d’intensifier la communication pour que les bénéficiaires sachent ce qu’ils gagnent en s’insérant dans cette dynamique du développement des Tic, au niveau des différents maillons de l’agriculture, estime Geoffroy Amoussou, chef programme Diversification agricole à l’Atda Pôle 5. Il insiste aussi sur la vulgarisation des itinéraires techniques de production agricole de nouvelle génération ou de type avancé et le conseil à l’accès aux marchés (Cam), pour impacter positivement la production. « Si l’acteur a l’information, il peut prendre rapidement la décision en faveur d’une meilleure planification de sa campagne : l’approvisionnement très tôt en intrants, le labour, le semis, la récolte, l’accès aux marchés », explique-t-il.

« Les Tic, c’est l’avenir de l’agriculture ; la mécanisation agricole, c’est bien, mais si elle n’est pas associée à la digitalisation, cela ne marchera pas ; les deux doivent aller de pair», conçoit Romaric Zinmonsè, président de l’Ong Emergency Africa, qui œuvre à l’éducation numérique des jeunes et des femmes à Natitingou. « Leur implémentation permet de gagner en temps et en argent, car le paysan ne peut plus aller au champ du matin au soir, travailler à la daba, gaspiller ses récoltes, brader ses produits pour survivre», soutient-il