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Réhabilitation du lac Ahémé et ses chenaux: De la nécessité de poursuivre le dragage

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Le dragage au niveau de l'embouchure «Bouche du Roy» à  Grand-Popo est urgent, selon des experts Le dragage au niveau de l'embouchure «Bouche du Roy» à Grand-Popo est urgent, selon des experts

« Il reste à prolonger le dragage jusqu’à dépasser Avlô (Grand-Popo) et atteindre Djègbadji (Ouidah) puis continuer dans les autres cours d’eau du lac», plaide Cyprien Aziahounkoui, chef du village de Mèkô-Plage.

Dans cette même veine, Théophile Obénakou, environnementaliste, natif de Djondji, souligne qu’il importe « de stabiliser rapidement l’embouchure (la Bouche du Roy) qui bouge ». Depuis sa déstabilisation en 1995, sa vitesse de déplacement vers l’est a été estimée à 1 km/an et ce mouvement s’est accéléré en 1999, principalement à cause des crues importantes du Mono, d’après une étude menée en 2000 par Roche International. « Sinon, d’ici quatre ans, l’embouchure se retrouverait à Djondji-Plage, sous l’effet des moussons, des houles et des lâchers d’eau du barrage de Nangbéto qui drainent beaucoup de sable », alerte T. Obénakou.

Cet estuaire influence non seulement le régime hydraulique des systèmes lagunaires afférents, mais aussi module leur régime de salinité. Lorsque la Bouche du Roy est ouverte, elle permet en période de crue d’évacuer les eaux douces qui proviennent des fleuves Mono et Couffo, explique M. Obénakou. D’où, il importe de réguler les échanges entre la mer et la lagune.

L’opération de dragage du lac nécessitant d’énormes moyens financiers, M. Agbogba préconise d’inscrire le programme de réhabilitation dans un plan pluriannuel de financement pour le doter de ressources conséquentes. « Ainsi, au bout de dix ans, la situation du lac va changer positivement », estime-t-il.

« Une autre approche serait de solliciter les exploitants de carrière qui vont prélever le sable et le vendre, quitte à les encadrer, afin de ne pas être obligé de sortir plus de 20 milliards F Cfa comme lors de la phase pilote », suggère Théophile Agbofoun, consultant international en ingénierie de développement. Il insiste aussi sur une exécution participative des travaux qui impliquera plus que par le passé les populations des localités environnantes.

En attendant, le chef sous-zone de pêche de Grand-Popo dit tourner le regard vers le Programme de gestion du littoral ouest-africain (Waca) qui met l’accent sur la protection de la côte comme une urgence régionale de préserver les activités économiques et garantir la survie de millions de personnes menacées par la dégradation de l’écosystème.

Des pêcheurs rencontrés à Comè et Bopa, eux aussi, disent n’avoir pas encore ressenti les effets positifs du dragage pilote de Djondji-Houncloun, nœud gordien du problème du lac Ahémé. «Je reviens de la pêche avec un poisson et trois crabes, alors que j’y étais depuis le matin», confie, tout dépité, Romaric Houétonsi, pêcheur à Ouèdèmè-Pédah, commune de Comè. « La pêche ne donne plus du tout ; vous trouvez 500 F, parfois 800 F Cfa et ce, pour toute la journée et avec cela il faut nourrir les enfants et les envoyer à l’école», se désole le président de l’Association pour la restauration du lac Ahémé et de ses chenaux (Arlac-Ehintôladjôhoun). « Il importe de poursuivre le dragage vers le lac, mais aussi et surtout de continuer à lutter contre les engins prohibés qui prolifèrent malgré les sensibilisations et les répressions», conclut-il.

Entre Djondji et Guézin, le long du chenal Aho qui s’étend sur 10 km, à l’ensablement du bassin s’est ajouté l’envasement par endroits de la mangrove perturbant les poissons en quête de cachettes pour se reproduire et se développer. « Que l’Etat nous aide à parer au plus pressé, afin de nous permettre de continuer notre activité qui est déjà peu rentable », plaide René Mensah, conseiller de village à Nazoumè.

« Le programme de dragage du lac Ahémé et de ses chenaux est salutaire. Cela va permettre de limiter les effets de l’inondation du fleuve Mono et de développer la pêche continentale », espère Anselme Parfait Bidi.

Par   Claude Urbain PLAGBETO, le 20 févr. 2024 à 06h08 Durée 3 min.
#«Bouche du Roy» à Grand-Popo

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Un plan d’eau sous emprise biophysique et anthropique

D’une superficie de 85 km2 soit 8 500 ha, le lac Ahémé est le plus vaste plan d’eau au sud-Bénin après le lac Nokoué (15 000 ha). Il s’étend entre Tokpa-Domè (commune de Kpomassè) et Guézin (Commune de Comè) suivant une direction nord-est/sud-ouest, et entre Bopa et Tokpa-Domè dans la direction nord-sud, soit 70 km de long sur 3 km de large environ et une profondeur maximale de 2,35 m, extensible en période de crue jusqu’à 100 km2.

En plus des conditions hydrologiques favorables à l’érosion des berges et à la sédimentation, l’assiette morphologique du lac Ahémé a été fragilisée par la forte emprise humaine exercée sur l’écosystème, selon une étude menée en 2010 par les chercheurs Amoussa Badahoui, Emile Didier Fiogbé et Michel Boko. Ils invoquent, entre autres, les défrichements répétés et les prélèvements anarchiques des essences forestières pour les techniques de pêche et le bois de chauffage qui ont entraîné la disparition du couvert végétal du bassin lacustre. C’est ainsi que les arbres comme l’Iroko (Chlorophora excelsa) et le lingué Afzelia africana ont disparu en raison de la surexploitation. Le palétuvier blanc Avicennia africana (appelé kpontin en langue locale xwéla) et le palétuvier rouge Rhizophora racemosa (houéto en langue locale) établis autrefois en abondance le long du chenal Aho et tout autour du lac Ahémé, ont subi les assauts de la déforestation, au point de susciter depuis quelques années des programmes de reboisement compensatoire, fait remarquer Dieudonné K. Mètonou, natif de Gogotinkponmè (commune de Kpomassè), directeur de l’Ong Les Ateliers Tôbô pour la paix et le développement. En partenariat avec le Groupe de recherche et d’action pour le bien-être au Bénin (Grabe-Bénin), il fait de la restauration des palétuviers blancs, son cheval de bataille.

Les huîtres Ostrea tulipa qu’on retrouvait en grande quantité à Guézin sont aussi devenues rares.

Une analyse de la dynamique de l’occupation du sol autour du lac Ahémé entre 1986 et 2016 montre que « Les formations naturelles (forêt dense, mangrove, savane arborée et arbustive, fourré et plan d’eau) sont passées de 13 772,82 à 10 853,2 ha soit une régression de 10,42 % tandis que les formations anthropisées (plantation, mosaïques de cultures et jachères, et agglomération) ont connu une augmentation de leur superficie passant de 14 229,46 à 17 149,08 hectares. En revanche, les champs et jachères sous palmiers ont connu une régression significative de -3379,52 ha soit, -6,94 % entre 1986 et 2016, d’après des chercheurs de l’université d’Abomey-Calavi (Jéchonias Bidossèssi Hounkpè et al.).

Dans les années 1950, rappelle le général Félix T. Hessou, le lac Ahémé alimentait non seulement les marchés du Bénin mais également de la sous-région (Togo, Ghana, Niger, Nigeria) en divers produits halieutiques. L’érection de la digue-route sur 2,6 km sur la voie inter-Etats Cotonou-Lomé et la réduction de la portée du pont devant relier Agbanto et Agatogbo compromettent l’écoulement normal des eaux, signale-t-il.

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Un plan de gestion de l’aire communautaire pour 2024-2034

Un Plan d’aménagement et de gestion (Pag) est défini pour l’Aire communautaire de conservation de la biodiversité (Accb - Lac Ahémé), couvrant 32 villages et 45 012 ha au total, pour la période 2024-2034. Initié par le Centre national de gestion des réserves de faune (Cenagref) et l’Ong Benin Ecotourism Concern (Eco-Bénin) à travers le projet « Extension et intégration juridictionnelle de la Réserve de biosphère transfrontière du Mono-Bénin dans le réseau des aires protégées du Bénin », il vient à point nommé pour permettre la restauration écologique de ce plan d’eau mis à mal essentiellement par les actions de l’homme.

Le document comporte quatre axes d’intervention déclinés en 14 objectifs et 68 mesures de gestion sur l’ensemble des différentes zones de l’Accb. L’accent y est mis sur une approche de gestion axée sur la participation active des communautés, avec l’implication des organisations de la société civile (Osc), de l’association de gestion de l’Accb - Lac Ahémé, de la Brigade de surveillance et de contrôle des plans et cours d’eau, de la direction des Pêches, des agents des Eaux, Forêts et Chasse, des mairies de la zone du projet (Comè, Bopa, Kpomassè), de l’Adelac et des partenaires techniques et financiers.

La mise en œuvre du plan nécessite la mobilisation d’un budget de 1,2 milliard F Cfa. Les patrouilles de surveillance, l’application effective des règles de gestion retenues pour une bonne gouvernance des ressources de l’aire, les initiatives de reboisement et de création de zones de frayères au niveau du lac, contribueront à contrer la déforestation des bassins versants et à remédier à l’installation anarchique des champs de culture et l’extension des habitations qui dénudent les terres et accélèrent l’érosion des berges et ainsi, le comblement consécutif des fonds.

L’Accb - Lac Ahémé s’est dotée en 2022 d’une convention locale pour la gestion durable des reliques des écosystèmes de mangroves de cette aire qui fait partie du site Ramsar 1017 et regorge d’une diversité de faune et de flore aquatiques et terrestres

C.U.P.

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