La Nation Bénin...
L’assistant technique au pastoralisme et à l’élevage au département Agriculture, Environnement et Ressources naturelles de la Commission de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, Bio Goura Soulé, à travers cette interview, estime que le pastoralisme et la transhumance ont permis la densification des économies des pays de la sous-région. Ceci avec toutes les mutations survenues ces dernières années.
La Nation : Quelles sont les mutations connues ces dernières années par le pastoralisme dans la région ouest-africaine ?
Bio Goura Soulé : Le pastoralisme est une très vieille tradition de système d’élevage mobile. On a constaté que ce système a connu une forme de recrudescence, d’intensification au cours des années 70 avec les crises de sécheresse qu’on a enregistrées au Sahel. C’est ainsi que beaucoup d’animaux sont descendus. D’autres se sont installés et ne sont plus partis. Ils se sont installés dans ce qu’on peut appeler le nord des pays côtiers. Au cours des cinq dernières années, ce phénomène s’est accentué avec le changement climatique et surtout l’insécurité des personnes et des biens qui sévit dans le Sahel avec le terrorisme.
Voulez-vous dire que les conflits enregistrés dans la zone sont partis de la transhumance et du pastoralisme?
Justement oui. Parce que tous les animaux ont continué à descendre et leur zone de concentration est ce qu’on appelle le couloir centre de l’Afrique de l’Ouest, c’est-à-dire entre le 7e et le 16e parallèle. C’est dans cette région que le cheptel est concentré. Ce cheptel, composé de bovins, ovins, camelins et autres, est estimé à plus de 400 millions de têtes. La population de cette région est de 350 millions d’habitants. Donc, vous avez presqu'autant de ressources animales que de ressources humaines concentrées dans une portion de la région. C’est ce qui donne lieu à beaucoup de conflits aujourd’hui. Il y a des conflits, que ce soit au centre du Nigeria, au nord du Bénin, du Ghana, du Togo, au sud du Mali, du Burkina Faso, etc. qui se sont mutés de conflits d’accès aux ressources naturelles aux conflits ethniques. Tout ceci veut dire qu’on est dans des mutations très dangereuses qui sont en train de s’opérer et qui ne sont pas liées nécessairement au pastoralisme. Aujourd’hui, quand il y a un braquage, on identifie facilement ce braquage à un groupe ethnique. Cette stigmatisation a renforcé l’esprit que le pastoralisme est aujourd’hui un facteur d’insécurité dans la région.
A côté de cette insécurité, quelles sont les autres conséquences de ces mutations ?
Il y a beaucoup d’autres conséquences, positives d’ailleurs! Le pastoralisme a permis la densification des économies de la région. On est passé aussi à des systèmes de mutations intensifs, à des systèmes de mutations agropastoraux qui sont plus enclins à développer l’élevage. Mais, on a également des mutations sur le plan économique avec la naissance de beaucoup de marchés à bétail qui apportent beaucoup d’argent aux communautés locales et aux populations pastorales. Ce sont là des conséquences positives qu’on ne met pas suffisamment en relief, parce qu’on ne s’est pas documenté. Ce qu’on voit, c’est les conflits et tous les autres problèmes.
Que faut-il faire, à votre avis, pour mettre fin à ces conflits ?
Aujourd’hui, ce que les programmes essaient de faire, c’est de minimiser ces conflits pour garantir une cohabitation pacifique entre les populations dites autochtones des pays d’accueil et les allogènes. Par rapport à tout cela, l’Uemoa et la Cedeao, à travers des programmes et des stratégies régionales et nationales ont essayé d’adresser ces questions de façon très efficace sous deux angles. Il s’agit de promouvoir le dialogue et de réaliser des investissements. Des investissements structurants, ce qui veut dire qu’il faut construire des barrages, des points d’eau, d’hydrauliques villageoises, puis mettre en place des cadres de concertation pour que les communautés puissent se parler, prévenir et gérer les conflits quand ils surviennent.
Quelles dispositions ont été prises au niveau du couloir central pour la construction des infrastructures dont vous parlez ?
En principe, il y a deux instruments de politique au niveau régional. Il y a une politique qui date de 1998 qu’on appelle la loi Adec qui réglemente le pastoralisme. Mais on a constaté que c'est beaucoup plus théorique. Par exemple, on a dit que pour un troupeau, il faut avoir deux bergers et que ces derniers doivent avoir leur carte d’identité. Ça ne suffisait pas. Il fallait réaliser en plus de ça des investissements. Et il y a eu un autre règlement qui a été pris en 2003 pour dire exactement aux pays ce qu’ils doivent faire. Et selon ce règlement, ces pays doivent tracer des couloirs, réaliser des aménagements, identifier où est-ce que cela existe et communiquer avec les autres pays. Malheureusement, vous connaissez nos pays ! Pour ces dimensions, personne ne s’en occupe.
Voulez-vous dire que les différents pays ne profitent pas de ces conséquences positives ?
Non, ils en profitent. Mais ils ne mettent pas en place les instruments pour régler et gérer convenablement les conflits. C’est ça le problème. Si les aménagements ne sont pas mis en place pour canaliser les gens, si les pôles ne sont pas mis en place pour faire vacciner les animaux en même temps, si les systèmes d’informations efficaces ne sont pas en place, pour dire comment les gens partent des pays de départ, par où ils vont passer et où est-ce qu’ils vont être accueillis, on ne peut pas contrôler ! Et c’est ce qui pose problème.
Comment pensez-vous qu’il faut gérer cette situation ?
L’élevage, comme tout bien propre à un individu, a besoin d’un certain nombre de secrets. Vous demandez à quelqu’un combien d’animaux il a cette année pour aller en transhumance, il va vous regarder seulement. S’il a cinquante qui vont aller, il va vous dire que c’est à peine une vingtaine qu’il va envoyer. C’est après qu’on voit dans les zones d’accueil, une trentaine, une quarantaine. Qu’est-ce qu’il faut faire dans ces cas ? La charge pastorale n’est pas suffisante. Les lieux où les animaux vont, il n’y a pas souvent assez de place, les gens n’ont pas fini de dégager les champs et les animaux rentrent dans ces champs et cela crée tous les problèmes. Et comme il y a aussi d’autres pratiques, les agriculteurs avides d’argent, tirent en l’air pour que les animaux se dispersent et rentrent dans leurs champs. C’est un problème d’éducation, de formation et de sensibilisation pour que les gens comprennent les enjeux qu’il y a derrière ce phénomène. Ce n’est pas seulement des enjeux économiques, c’est également des enjeux sécuritaires et politiques.
Quel est le rôle du Projet régional de dialogue et d’investissement pour le pastoralisme et la transhumance au Sahel et dans les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest (Predip) dans le cadre de ces enjeux ?
Le Predip est un projet financé par l’Union européenne à hauteur de 23 millions d’euros (15 milliards de francs Cfa environ) et qui est chargé de construire des aménagements pastoraux le long du couloir central. L’objectif est de développer un système d’information, de faire la surveillance épidémiologique et surtout de développer le dialogue entre les acteurs pour pacifier l’ensemble du système de pastoralisme dans la sous région.
Le Predip vient en complément à d’autres projets qui fonctionnent déjà. C’est ainsi qu’il y a un projet destiné typiquement aux pays du Sahel. Il s’agit d’un projet financé par la Banque mondiale et plus important que le Predip. C’est un financement de 248 millions de dollars plus un autre projet que les pays côtiers ont élaboré.
En réalité, notre vocation, ce n’est pas le pastoralisme. La vocation, c’est de développer les systèmes d’élevage de façon plus globale et d’avoir des aménagements comme le Bénin le dit très ouvertement aujourd’hui. Il faut sédentariser. Car, derrière le pastoralisme, il y a un mode de vie. C’est culturel et non seulement économique. Mais comment faut-il concilier tout cela ? La Cedeao propose qu’il faut engager une réflexion prospective. Autrement, voir les défis qui s’imposent aujourd’hui à la sous région, défis en termes de gestion des ressources naturelles, dans une perspective de changement climatique, défis de satisfaction de la demande en protéines animales. Car, dans la sous région actuellement, on ne satisfait que 54% des produits carnés. Le reste est importé sur le marché international alors que le potentiel qu’on peut exploiter est là et on ne le fait pas. Il y a aussi le défi en termes de cohabitation entre les populations et le défi de la croissance démographique et de la croissance du cheptel.
Pour relever ces défis, quels sont, selon vous, les chantiers à lancer par les gouvernants de la sous région?
Le premier chantier, c’est de faire des aménagements, comme le Predip le fait ainsi que d’autres projets et programmes; construire une vision partagée à travers une stratégie régionale de transformation des systèmes d’élevage. C’est une vision prospective et la Cedeao s’est donné trois années pour parvenir à cela. Il faut qu’on ait également une vision constructive. C’est-à-dire, où est-ce qu’on veut aller avec notre système d’élevage dans la région ? Est-ce qu’on est un système intensif, semi-intensif? Ou, est-ce qu’on est toujours dans le pastoralisme ? Les réflexions avec la construction des scénarii permettront de dire là où il faut aller pour minimiser les risques qu’on a aujourd’hui.