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L’économiste Gilderic Adjovi au sujet de l'aide publique au développement: « Il faut faire des efforts de diversification des sources de financement »

Economie
Epiphane Gilderic Adjovi Epiphane Gilderic Adjovi

Depuis des décennies, l'Aide publique au développement (Apd) a été un pilier central des relations internationales, visant à réduire la pauvreté et à stimuler le développement économique dans les pays en voie de développement. Le Bénin, comme de nombreux autres pays africains, a été un bénéficiaire important de cette aide. Cependant, malgré les sommes considérables investies, les résultats escomptés tardent souvent à se matérialiser. Face à la situation, Epiphane Gilderic Adjovi, statisticien-économiste, spécialiste en gestion de la politique économique et ancien directeur général de l’Economie au ministère de l’Economie et des Finances, propose un nouveau paradigme pour maximiser les résultats des investissements.

Par   Babylas ATINKPAHOUN, le 02 sept. 2024 à 16h56 Durée 4 min.
#Aide publique au développement

La Nation : Quels sont, selon vous, les principaux objectifs de l'aide publique au développement ?

Gilderic Adjovi : Avant toutes choses, il convient de donner une définition de l’Aide publique au développement (Apd) afin de planter le décor. Il existe plusieurs définitions de l’Aide publique au développement, mais je me contente de celle-ci qui dit que l’aide au développement est composée de l’ensemble des apports financiers des Etats et des organismes publics des pays donateurs aux pays bénéficiaires. De manière plus précise, les financements proposés par les donateurs doivent être des dons ou des prêts concessionnels.

Lorsqu’on s’en tient aux principes, l’objectif poursuivi par l’aide publique au développement est de mettre à la disposition des pays bénéficiaires des ressources financières concessionnelles en vue de favoriser leur développement économique et l’amélioration du niveau de vie dans lesdits pays. Ces ressources peuvent être des aides projets, des aides programmes ou des financements pour renforcement de capacités. L’aide au développement finance des projets qui n’intéressent pas les investisseurs privés comme l’accès à l’eau, aux soins et à l’éducation pour les populations vulnérables.

Au vu de ces objectifs, on peut penser que l’aide publique au développement constitue un instrument salutaire pour le développement de nos pays. Mais, il ne faut pas oublier que cette source de financement dépend des décisions politiques des donateurs et des conditionnalités que ces derniers posent pour la mise à disposition des fonds.

Comment appréciez-vous l'impact global de l'aide au développement au Bénin depuis l'indépendance à ce jour ?

Ne pas reconnaître que l’aide publique au développement a eu un effet plus ou moins positif sur l’économie béninoise depuis l’indépendance ne serait pas juste. En effet, de 1960 au milieu des années 70, l’aide publique au développement a été une des principales sources de financement de l’économie compte tenu de la faible capacité de mobilisation des ressources intérieures et des ressources d'entreprises privées aussi bien intérieures qu’extérieures. Suite à la Conférence nationale et au retour au libéralisme économique, l’aide publique au développement a joué un rôle très important dans la sortie de la crise économique et la relance de l’économie nationale. C’était la période des primes à la démocratie qui a permis aux autorités de mobiliser des niveaux assez remarquables de fonds pour financer la réhabilitation des infrastructures économiques et sociales. Même ces dernières années au cours desquelles on a assisté à une véritable diversification des sources de financement, l’aide au développement bilatérale et multilatérale continue d’occuper une place non négligeable.

Mais, l’impact aurait pu être plus significatif si la gestion de l’Apd ne pose pas beaucoup de problèmes. En effet, l’évaluation de la mise en œuvre de la Politique nationale de l’aide au développement (Pnad) 2011-2020 a établi que certaines faiblesses expliquent l’évolution erratique préjudiciable à la prévisibilité de l’Apd et la position non confortable en matière de mobilisation de l’Apd. Il s’agit notamment de la faiblesse du niveau d’absorption de l’aide, la faiblesse du cadre institutionnel de mobilisation de l’aide et la faiblesse dans la coordination de l’aide et le dialogue avec les Partenaires techniques et financiers (Ptf).

L'aide au développement n’a-t-elle pas contribué à créer une forme de dépendance économique ou politique ?

Si on considère comme Riddell que la dépendance à l’aide au développement est le processus par lequel la fourniture continue d'aide ne semble pas apporter de contribution significative à la réalisation d'un développement autonome, on peut penser qu’il existe des éléments qui peuvent effectivement créer cette dépendance. Il s’agit de l’incapacité de certains pays à diversifier les sources de financement  de leurs projets et programmes, les conditionnalités de plus en plus nombreuses imposées par les donateurs et les insuffisances desdits pays en matière de conception et de mise en œuvre de politiques et programmes. 

Cette dépendance peut être progressivement réduite si les donateurs et les bénéficiaires s’engagent à respecter le principe de l’appropriation et de l’alignement contenu dans la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide.   

L'Apd n’a-t-elle pas peut-être aggravé certains problèmes, tels que la corruption ou la mauvaise gouvernance ?

La plupart des évaluations réalisées sur l’efficacité de l’aide et de la mise en œuvre des politiques et stratégies sur l’aide montrent qu’il existe bel et bien des problèmes de gouvernance. Au Bénin, les problèmes qui ont longtemps miné la gestion de l’aide ont été identifiés et portaient sur la faiblesse du cadre institutionnel du processus de mobilisation de l’aide, la faiblesse du dialogue intra gouvernemental et la faiblesse du dialogue gouvernement-Ptf en lien avec l’aide et sa gestion efficace.

Il ne reste qu’à espérer que le nouveau cadre institutionnel mis en place ces dernières années permette d’optimiser la gestion de l’aide au développement au Bénin et de renforcer sa mobilisation.

Quelles alternatives à l'aide au développement pourraient être envisagées pour un développement durable au Bénin ?

Pour son développement durable, le Bénin a besoin de mobiliser suffisamment de financements tant privés que publics et d’améliorer sa capacité d’absorption. Malgré son caractère très peu prévisible et les risques de raréfaction des montants proposés par les donateurs, l’aide publique au développement ne doit pas être totalement abandonnée. Les pays bénéficiaires comme le Bénin doivent chercher à faire une bonne utilisation des sommes mobilisées au titre de l’aide publique au développement. Dans ces conditions, il ne faut pas, selon moi, s’interroger sur les alternatives à l’aide publique au développement, mais plutôt travailler à la mise en place des conditions d’élargissement de la gamme des sources de financement du développement.

Comment appréciez-vous l’approche du gouvernement qui préfère compter désormais sur les ressources internes et aller par moments sur le marché des titres financiers ?

Je pense que cette approche correspond bien à ce qu’il faut faire, car les ressources les plus prévisibles et les plus durables sont les ressources publiques internes. Dans une certaine mesure, il en est de même dans le cas de la mobilisation des ressources du marché financier régional. De ce fait, l’Etat béninois doit poursuivre l’effort de mobilisation interne.

Dans la même logique, le Bénin a montré que lorsqu’un pays présente un cadre macroéconomique équilibré et une économie bien orientée, il est en mesure de mobiliser des ressources sur le marché financier international. Je veux parler des eurobonds et des ressources mobilisées sur le marché financier international en dollars. Le gouvernement du Bénin doit continuer de mettre l’accent sur cette catégorie de financement. L’effort de diversification doit aussi prendre en compte les financements innovants et la création des conditions favorables à l’afflux des investissements directs étrangers.

Voyez-vous un avenir où le Bénin pourrait se passer de l'aide au développement ?

A mon avis, la mobilisation des financements au titre de l’aide publique au développement n’est pas une mauvaise option pour les pays en développement. Les principaux problèmes qui constituent des limites à l’aide publique au développement sont, entre autres, les contraintes liées aux difficultés propres des pays donateurs, les défaillances dans la gouvernance publique et la découverte d’autres centres d’intérêt pour la coopération du pays donateur. Dans ces conditions, il est nécessaire de trouver une solution aux problèmes de gouvernance pour rendre la gestion de l’aide publique au développement plus optimale. Il faut en même temps, comme je l’ai déjà dit, faire des efforts de diversification des sources de financement en se tournant vers les marchés financiers régionaux et internationaux et vers les financements innovants■