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Production et transformation du manioc en gari et dérivés: Une activité à fort impact social et économique

Economie
Par   Alexis METON  A/R Atacora-Donga, le 12 mars 2019 à 05h39

 La région des Collines est réputée pour sa forte capacité de production de gari et de tapioca. Cette activité fait la fierté des populations qui en tirent l’essentiel de leurs ressources en dépit des difficultés et des déséquilibres climatiques. Au premier rang des acteurs de ce secteur d’activité génératrice de revenus, des femmes aidées pour la plupart du temps par leur entourage, moyennant rémunération. Hélas, la culture du manioc, matière première sans laquelle l’on ne peut produire du gari, aliment de base des populations du bassin du Bénin, est en régression depuis quelques années.

Quand bien même elle s’assimile à une véritable industrie, la production du gari, farine obtenue après la transformation du manioc, reste encore artisanale au Bénin. Une réalité qui, à en croire les femmes transformatrices rencontrées dans le département des Collines, s’explique par le caractère rudimentaire de la production ajouté aux difficultés d’écoulement du produit. Celles-ci travaillent individuellement ou généralement en association. Mais, ces trois dernières années, l’écoulement du gari sur le marché reste problématique. Dans la commune de Dassa-Zoumè, carrefour par excellence du commerce du gari et du tapioca mais aussi région réputée pour sa production du manioc, comme le renseigne une géante plaque à l’entrée de la ville (Achetez de bon gari et tapioca de chez nous), plusieurs personnes tirent l’essentiel de leurs revenus de cette activité très rentable selon les témoignages. Mais en amont, les femmes transformatrices doivent faire face à une série de difficultés.
A Gankpétin, un village de l’arrondissement de Paouignan, la transformation de manioc en gari est l’activité principale de la plupart des femmes. La production de gari ainsi que son commerce occupent le quotidien des habitants de ce village situé aux abords de la route inter-états Cotonou-Parakou, à quinze kilomètres environ de la ville de Dassa-Zoumè, chef-lieu du département des Collines. Le manioc provient souvent des champs des cultivateurs de Paouignan, Gankpétin, Chaounka, et d’autres fermes de la commune de Dassa-Zoumè, pour échouer dans les domiciles des transformatrices, grâce aux conducteurs de tricycle et de bâchée généralement sollicités pour le transport. Le gari produit dans ce village est vendu dans les marchés environnants, ainsi que Paouignan et Dassa-Zoumè, où de nombreuses femmes commercialisent ce dérivé du manioc. Chacun en tire sa fortune.

Chaîne de production, diverses fortunes

La fraîcheur matinale de ce mercredi 23 janvier n’a pas empêché dame Bertille Atchèdo, mère d’un garçon d’un mois d’âge, de se rendre dans un champ situé à une dizaine de kilomètres du village Gankpétin, pour s’approvisionner en manioc. Depuis la veille, elle a sollicité les services de Jérémie Koutangni, propriétaire du tricycle marqué Uurpa/Z-C/Adf n°4599-Ben-TCn°10/2018 pour transporter le manioc qu’elle a commandé. Selon ses explications, le principe consiste à commander le manioc auprès des cultivateurs en leur envoyant les conducteurs de tricycle ou de bâchée dans les champs, en cas d’indisponibilité. C’est ce qu’elle s’attèle à faire depuis qu’elle a accouché, confie-t-elle. « Généralement, nous achetons le manioc par hectare chez les cultivateurs, mais le risque est que souvent, nous ne trouvons pas la quantité idéale. Ainsi, nous roulons à perte. Pour éviter cet état de choses, nous préférons acheter le manioc par tricycle à vingt-cinq mille francs», a expliqué Bertille Atchèdo.
Dans un tricycle, il y a trente-cinq petites bassines si l’engin est bien chargé. « Pour un voyage, je prends vingt-cinq mille francs y compris les frais d’achat du manioc »,
a indiqué Jérémie Koutangni, conducteur de tricycle. Depuis qu’il a commencé cette activité, il ne s’en plaint pas. « Je prends dix mille par voyage. Je peux faire jusqu’à trois voyages par jour », confie-t-il.
Selon dame Bertille A., après le convoi des tubercules à la maison, il faut faire recours à d’autres personnes. Cela a l’avantage du gain du temps dans la transformation de manioc qui doit suivre plusieurs étapes avant de devenir du gari. « On fait appel à certaines personnes pour éplucher le manioc. Celles-ci se partagent le contenu du tricycle, soit les trente-cinq petites bassines à raison de cent francs la bassine », confie-t-elle. Chacun y trouve son compte en fonction du nombre de bassines épluchés. Ainsi, note-t-on une affluence monstre au domicile de dame Bertille. Le même spectacle s’observe selon les témoignages dans les ménages où on fabrique le gari.
A peine le tricycle franchit le seuil du village qu’un groupe de femmes accourt de part et d’autre pour accueillir l’engin. Dans un mouvement d’ensemble, chacune s’affaire à former un tas de manioc, quitte à mesurer ensuite le nombre de bassines. Dans les champs, pour déterrer le manioc, l’acheteur doit débourser deux mille francs. Pour le chargement du tricycle dans le champ, Albertine O., 11 ans déscolarisée, et dame Nicole Aniwanou se contentent de 1500 francs. Le meunier perçoit par tricycle 1500 f pour écraser le manioc. La pâte obtenue est destinée au pressoir. Cela coûte 1500 f. Le dispositif mécanique qui sert à presser le manioc écrasé, selon les explications de Damase Boco, sollicitée par Valérie Atchèdo, coûte 1000f.
« Ce n’est pas mauvais comme activité. Je gagne entre deux mille et trois mille francs par jour, en fonction de la tâche exécutée», souligne Damase.
Valérie Atchèdo s’adonne à la production du gari après le vol, par des individus non identifiés, à la faveur de la nuit, de tout son stock de gari et autres matériels au bord de la voie où elle commercialisait le gari comme la plupart des femmes de la localité. Ce mauvais souvenir, dit-elle, l’a amenée à opter pour la production et la transformation de manioc en gari, au lieu de l’achat-vente qu’elle faisait.
« Par semaine, je peux produire jusqu’à dix sacs de cent kilogrammes », informe-t-elle. Pour Dame Valérie Atchèdo, l’activité est plutôt rentable. Elle fait savoir que c’est grâce aux recettes issues de son activité qu’elle entretient sa famille et assure ses besoins. C’est également ces revenus qui lui ont permis d’inscrire ses quatre enfants à l’école. Elle confie aussi qu’elle dispose de quelques biens acquis grâce aux bénéfices tirés de son activité.
D’autres personnes interviennent également dans le processus de la fabrication du gari. Par exemple, avant d’écraser le manioc, il faut le laver moyennant cinq cents francs, le tricycle. La cuisson du gari nécessite de la main-d’œuvre. Compte tenu de la quantité du manioc à transformer pour satisfaire la demande, Dame Valérie Atchèdo sollicite les services de Larissa Ayèna et de Hortence Sèdèkon. Ces deux dames expertes dans la cuisson du gari sont aidées dans leur tâche par d’autres femmes.
Exposées à la flamme sous une paillote où la fumée, par moments dicte sa loi aux occupants, les premières perçoivent après un travail ardu 500 francs par bassine. Les autres sont fixées à 500 francs chacune selon qu’elles servent deux personnes pendant la cuisson du gari. Leur travail consiste à un émiettement de la pâte du manioc obtenue après la presse au moyen d’un tamis de fibre végétale.
Le bois utilisé pour la cuisson du gari est spécifique. Un tricycle de bois de chauffe, selon Gratien Alidjinou, vendeur, coûte 10000 francs. Le bois de teck n’est pas utilisé, informe Assiba Julienne Gbaguidi, rencontrée à Missè à Savalo. Une information confirmée par Philomène Assouan, une habitante de la ferme Batoko Doho ; située à plus de vingt-cinq kilomètres de Savalou. Dans cette ferme, les productrices de gari n’éprouvent pas les mêmes difficultés pour accéder au bois de chauffe.

Batoko-Doho, Adjahounta-Doho… siège de la production

Dans la commune de Savalou, diverses qualités de gari sont produites, « Mais la meilleure qualité de gari reconnue et admise par les uns et les autres est celle de Missè », a affirmé Euphrasie Ahoga. Toujours est-il que les grossistes et les petits détaillants y vont pour s’approvisionner à l’instar d’autres fermes à Sohèdji, Monkpa, Gouka, Agon, Djagbalo, Covèdji, Doïssa… et autres localités situées dans la zone de Bantè, d’après les explications de Brice Dègbèdji, conducteur de camion rencontré au marché de gari à Savalou. Il s’agit d’un domaine de la famille Ahoga qui fait office de marché où tous les grossistes peuvent faire le conditionnement de leurs produits avant l’exportation.
« Ce petit marché, selon les vœux du chef de la collectivité Ahoga, s’anime », fait savoir Thérèse Ahoga, l’une des filles du propriétaire des lieux, décédé il y a quelques années. Commerçante de gari depuis vingt-cinq ans, elle garde de bons souvenirs de cette activité qu’elle raconte dans les moindres détails. Selon ses explications, nombreuses sont les femmes qui s’adonnent au commerce du gari. Elles exportent des sacs de gari vers Malanville, lesquels sont par la suite convoyés vers les pays frontaliers, notamment le Niger et le Burkina Faso. « Elles font fortune dans cette activité », témoigne Thérèse Ahoga. Ces commerçantes disposent dans leur patrimoine, selon ses dires, de camions, d’immeubles… et autres. La plupart, plus ou moins épanouies, ne se plaignent pas.
Brigitte Kpatindé, l’une des commerçantes, confie qu’elle s’emploie à exporter des sacs de gari vers Malanville. « Parfois, le camion charge trois cents voire trois cent cinquante sacs de cent kilogrammes », a-t-elle détaillé. Elle peut importer cette même quantité deux fois au moins par semaine. Toutefois, quelques difficultés subsistent par rapport à l’écoulement du gari. Celles-ci interpellent les autorités. « Cette année, nous ne vendons pas comme auparavant. Nous n’écoulons plus bien nos stocks. Même nos clients de Malanville se plaignent de la mévente, parce que les produits ne traversent plus la frontière comme auparavent », confie Marcelline Dodékon, exportatrice depuis trente ans environ.
« Si rien n’est fait, les paysans et nous commerçantes, allons en souffrir », poursuit Marcelline Dodékon. Ces paysans se retrouvent à Batoko Doho (entendu la ferme de Batoko) et à Djahounta Doho, distante de dix kilomètres l’une de l’autre. A en croire Elisabeth Dédji, la production de gari est l’activité principale dans ces fermes. « La quantité de gari qui sort des deux fermes par semaine est impressionnante ». Elle l’estime à environ cent sacs de cent kilogrammes. C’est ce que soutient aussi Philomène Assouan. Cette dernière évoque également la mévente et les difficultés liées à l’écoulement du gari cette année. « La production et la transformation du manioc étaient rentables. Nous souffrons actuellement parce que le gari n’est plus exporté », confie-t-elle, soulignant que les voisins du Togo qui venaient en acheter ont cessé de s’approvisionner chez elles après quelques déboires à la frontière, à l’entrée de Tchètti.
Yao Agbowakounou, chef du village Batoko Doho et secrétaire général du groupement villageois, préfère quant à lui tourner dos à la production du manioc et jeter désormais son dévolu sur le coton, au motif que cette filière est mieux organisée. Il ne doute pas de l’importance du manioc pour le paysan, mais le coton rapporte mieux, confie-t-il. « Cette année, j’ai emblavé plus de quatre hectares de manioc, mais le coton domine parmi mes cultures », a affirmé Yao A. Il se contente, avec ses recettes, de payer les frais de scolarité de deux de ses enfants inscrits à l’Université d’Abomey-Calavi et de quelques biens qu’il a réalisés. « Je ne suis pas salarié, mais je ne me plains pas », rassure-t-il.

Des défis pour cette filière à fort potentiel

Le gouvernement, dans son Plan stratégique de développement agricole, a inscrit le manioc au titre des cultures prioritaires. Le manioc compte beaucoup dans l’alimentation de la population. Selon les données du ministère de l’Agriculture de l’Elevage et de la Pêche, le Bénin a produit 3.445 000 tonnes de manioc en 2010. Ce produit occupe la première place dans la culture des racines et tubercules avec 54% de la superficie emblavée et 59% de la production totale. La superficie nationale cultivée en manioc est passée de 186.150 hectares en 1998 à 279.513 hectares en 2014. Quant à la production, elle a suivi les mêmes tendances passant de 1.949.943 tonnes en 1998 à 4.066.711 tonnes en 2014. Le rendement moyen à l’hectare est estimé à 15,5 tonnes en 2009 puis 17 tonnes en 2011. Le manioc représente 2,8% du Produit intérieur brut et 8,3% du Pib agricole. Cette filière constitue une composante importante de l’économie agricole du Bénin. Les dérivés du manioc, notamment le gari et le tapioca, autrefois exportés vers le Nigeria, le Burkina Faso, le Niger, le Mali, le Gabon…, peuvent positionner le pays sur les marchés régionaux et internationaux. Toutes choses qui soulageraient les producteurs qui n’ont de cesse d’implorer la clémence du gouvernement à cette fin. Il importe alors qu’une attention particulière soit accordée à ces doléances, vu que le manioc est classé comme culture à prendre en compte dans les pôles de développement. Néanmoins, la filière reste encore à structurer.

Des femmes reconverties

La commercialisation du gari et du tapioca se développe dans la commune de Dassa-Zoumè et occupe plusieurs femmes issues de divers corps de métiers. Celles-ci, pour la plupart couturières, coiffeuses, tisserandes,… préfèrent commercialiser le gari et tapioca produits avec soin non seulement dans les contrées de la commune mais également dans tout le département des collines. En provenance de Cotonou, les stands de gari et du tapioca vous accueillent déjà à l’entrée de la ville de Dassa-Zoumè. Chaque stand porte une identification, généralement le nom de la propriétaire ou celui de l’un de ses enfants. Ainsi, peut-on lire sur de petite plaques disposées dans les étalages, ‘’Maman Tobi’’, ‘’Maman Pascaline’’…. Ces diverses appellations, à en croire Delphine Adjagboré, permettent d’identifier son stand et d’orienter les clients lorsqu’ils reviennent pour payer les produits. Couturière de formation, elle a fait un détour dans ce commerce et ne compte pas pour l’instant s’en détourner sous aucun prétexte, même si elle ne vend pas correctement comme à ses débuts. A côté,
Delphine Adjagboré a développé la vente d’autres produits dont le piment sec, l’arachide, les galettes d’arachide, des épices… tout comme la plupart des femmes vendeuses de gari. Madame O. A, enseignante dans une école fait du commerce de gari son activité secondaire pour subvenir aux besoins de ses enfants orphelins de père depuis plus de dix ans. La vente de gari paraît visiblement florissante, à en croire les témoignages des actrices. Elles réalisent grâce à leur activité, confient-elle, leur rêve.
Le gari et le tapioca, tous des dérivés du manioc connaissent la même procédure pour la transformation. Mais le tapioca présente plus d’exigence, et se fait à base de l’amidon du manioc écrasé.