La Nation Bénin...
Dans
un monde en proie aux effets néfastes des changements climatiques, plusieurs
options de lutte s’offrent aux pays pour ne pas subir les conséquences
drastiques de ce fléau. De l’adaptation à la résilience, l’économie circulaire
se positionne également comme une stratégie efficace pouvant contribuer à la
transition écologique des pays. Précieux Christian Béhanzin, chercheur en
sciences socio-environnementales et praticien engagé sur les questions de
durabilité, expose dans cet entretien comment l’économie circulaire contribue à
la lutte contre le réchauffement climatique.
La Nation : En quoi l’économie circulaire constitue aujourd’hui une approche stratégique dans la lutte mondiale contre les changements climatiques?
Précieux
Béhanzin : L’économie circulaire n’est pas qu’un « nouveau vocabulaire », c’est
un changement de système qui s’attaque aux émissions à la racine : dans
l’extraction des ressources, la fabrication, la logistique, l’usage et la fin
de vie des produits. Elle remplace le modèle linéaire (extraire, produire,
consommer et jeter) par des boucles de valeur : écoconception, allongement de
la durée de vie, réparation, réemploi, reconditionnement, recyclage matière et
valorisation organique. En réduisant la pression sur les ressources et les
déchets, on réduit mécaniquement l’énergie nécessaire et donc l’empreinte
carbone, tout en préservant les écosystèmes et les services environnementaux.
Sur
le plan climatique, cette approche a un double impact. D’une part, elle
contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre en diminuant la
dépendance aux matières premières vierges, dont l’extraction et la
transformation sont, selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement
(Pnue) responsables d’environ
70
% des émissions mondiales. D’autre part, elle renforce la résilience des
sociétés face aux aléas climatiques, en favorisant des circuits courts, une
diversification économique locale et une meilleure gestion des ressources.
Autrement dit, elle agit à la fois sur l’atténuation des changements
climatiques et sur l’adaptation des territoires aux impacts déjà inévitables.
Des exemples internationaux illustrent clairement cette trajectoire. L’Union européenne estime que la mise en œuvre intégrale de sa stratégie d’économie circulaire pourrait réduire ses émissions de CO2 de 450 millions de tonnes par an d’ici 2050, soit une réduction équivalente à retirer environ 100 millions de voitures de la circulation. De même, la Chine intègre la circularité dans ses plans climatiques nationaux pour réduire la pression sur ses ressources et maîtriser ses émissions, notamment dans les secteurs du bâtiment, de l’énergie et des déchets. Ces exemples montrent que l’économie circulaire n’est pas un concept périphérique ou marginal: c’est un levier central dans la transition climatique mondiale, au même titre que la promotion des énergies renouvelables ou de l’efficacité énergétique.
Quid du continent africain ?
Sur le continent africain, la dynamique est également en marche. Cette année, l’Union africaine a adopté un Plan d’action continental pour l’économie circulaire, une première à cette échelle. Ce plan vise à intégrer la circularité dans les stratégies de développement et de climat des Etats membres, en ciblant des secteurs clés tels que les déchets, l’agriculture, l’énergie, les matériaux de construction et les chaînes de valeur industrielles émergentes. Il offre un cadre stratégique pour faire de la circularité un moteur de résilience climatique, de création d’emplois verts et de souveraineté économique. Dans ce contexte, des pays comme le Rwanda, le Tchad et notre beau Bénin ont déjà assuré l’élaboration de feuilles de route nationales, illustrant que la circularité peut être un pilier structurant des politiques climatiques africaines.
Quels sont les principaux leviers par lesquels l’économie circulaire contribue à atténuer les émissions de gaz à effet de serre et à renforcer l’adaptation climatique ?
Les
leviers par lesquels l’économie circulaire agit sur le climat sont multiples et
complémentaires. Sur le plan de l’atténuation, elle intervient d’abord en
amont, à la source des émissions. En réduisant la production de matières
premières vierges et en optimisant leur usage, on diminue la consommation
d’énergie nécessaire à leur extraction, transformation et transport, des étapes
extrêmement intensives en carbone. Un deuxième levier majeur est la
valorisation matière et énergétique des flux résiduels. Les déchets organiques
peuvent être transformés en compost ou en biogaz, réduisant ainsi les émissions
de méthane issues des décharges, tout en fournissant des alternatives locales
et renouvelables aux engrais chimiques ou aux combustibles fossiles.
Au
Rwanda, par exemple, plusieurs établissements publics notamment des prisons
utilisent des biodigesteurs pour produire du biogaz à partir de déchets organiques,
réduisant simultanément les émissions et la pression sur les forêts. Au Bénin,
dans l’agglomération du Grand Nokoué, des programmes de collecte séparée sont
portés par la Société de gestion des déchets et de salubrité, des initiatives
de compostage des biodéchets urbains sont également en cours, et ce, à diverses
échelles. Ils permettent d’éviter le dégagement de méthane dans les décharges à
ciel ouvert, tout en fournissant un compost utilisé par les maraîchers
périurbains, une double contribution à la réduction des émissions et à la
restauration des sols.
L’économie circulaire agit également à travers l’écoconception et l’allongement de la durée de vie des produits, en réduisant la quantité de nouveaux biens à fabriquer et donc l’énergie consommée pour leur production. Dans le bâtiment, par exemple, la rénovation d’un immeuble existant peut émettre jusqu’à 50 % de CO2 en moins que sa démolition-reconstruction. De plus en plus d’entreprises développent des modèles “produit en service” comme la location, la maintenance ou le reconditionnement, qui prolongent l’usage et réduisent la production de biens neufs. Ce type de modèle, encore peu répandu en Afrique, représente une opportunité importante dans des secteurs comme l’électroménager, la mobilité ou l’électronique.
Comment réussir l'adaptation climatique au Bénin ?
Sur
le plan de l’adaptation, les solutions circulaires renforcent la capacité des
territoires à faire face aux impacts climatiques. La régénération des sols
grâce au compostage et à l’agroécologie améliore leur capacité de rétention
d’eau, ce qui est crucial face aux sécheresses récurrentes dans plusieurs
régions africaines. La réutilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation
aide à sécuriser la production agricole en période de stress hydrique. Les
bâtiments écoconçus, utilisant des matériaux locaux comme la terre stabilisée
ou le bambou, offrent une meilleure résistance thermique et permettent aux
populations de mieux faire face aux vagues de chaleur, tout en réduisant les
besoins énergétiques pour la climatisation. Ces solutions sont adaptées aux
réalités locales, souvent peu coûteuses, et s’appuient sur des savoir-faire
existants.
En combinant ces leviers (réduction des émissions en amont, valorisation des flux, allongement de la durée de vie, adaptation territoriale), l’économie circulaire devient un outil transversal de lutte climatique, capable d’agir simultanément sur les causes et les effets du dérèglement. C’est précisément cette double capacité qui en fait un levier stratégique pour l’Afrique et le Bénin, où la lutte contre le changement climatique doit impérativement s’accompagner de développement économique, de création d’emplois et de renforcement de la résilience communautaire. Au Bénin, que ce soit à l’échelle du Grand Nokoué ou sur le reste du territoire national, des coopératives et entreprises (toutes tailles confondues) jouent un rôle clé dans le ramassage et la valorisation des déchets (plastiques, organiques, etc.) dans les quartiers. Plutôt que de marginaliser ces acteurs, l’économie circulaire propose de les intégrer dans des chaînes de valeur structurées, en améliorant leurs conditions de travail, leur accès au financement et leur reconnaissance légale.
Spécifiquement au Bénin, quels sont les secteurs dans lesquels l’économie circulaire pourrait jouer un rôle déterminant dans la lutte contre les changements climatiques ?
Au
Bénin, l’économie circulaire n’est plus une simple idée. Elle s’est désormais
inscrite dans une trajectoire structurée, avec la validation technique récente
du Plan d’action national pour l’économie circulaire (Panec), élaboré avec
l’appui de la Banque africaine de développement. J’ai eu l’opportunité de
contribuer activement à ce processus stratégique qui marque une étape décisive
pour le pays, en tant qu’expert mobilisé par Africa Circular. Ce plan, l’un des
premiers du genre en Afrique francophone, constitue une feuille de route
opérationnelle pour articuler développement durable, compétitivité économique
et lutte contre les changements climatiques autour de la circularité.
Il
identifie cinq secteurs prioritaires d’intervention, sur la base de leur
potentiel d’impact environnemental, économique et social. Il s’agit de
l’agriculture et la foresterie, les déchets solides ménagers et assimilés, les
plastiques, les transports et la mobilité, ainsi que la construction et le
bâtiment. Certains de ces secteurs disposent déjà de dynamiques solides. C’est
le cas, par exemple, de la gestion des déchets et des plastiques qui, avec les
réformes structurantes engagées par l’Etat et opérationnalisées par la Société
de gestion des déchets et de salubrité (Sgds Sa) et ses partenaires locaux,
ouvre la voie à des pratiques circulaires à grande échelle et des initiatives
privées de transformation et de valorisation matière.
L’impact
climatique potentiel de ces secteurs est majeur. Dans les déchets et les
plastiques, la valorisation organique (compostage, biodigesteurs) et le
recyclage permettent de réduire les émissions de méthane issues des décharges à
ciel ouvert, tout en diminuant la dépendance aux matières premières importées à
forte empreinte carbone. Dans l’agriculture, la circularité s’exprime par le
retour au sol de la matière organique, la régénération des écosystèmes
agricoles et forestiers, la réutilisation des eaux usées traitées pour
l’irrigation ou encore l’agroforesterie ; autant de pratiques qui renforcent la
résilience climatique des territoires ruraux. Le secteur de la construction, en
promouvant l’usage de matériaux locaux tels que la terre stabilisée, le bambou
ou encore la jacinthe d’eau valorisée, permet de réduire drastiquement
l’empreinte carbone du bâti tout en stimulant les filières locales de
production et de savoir-faire. Enfin, dans les transports, l’optimisation
logistique, la mobilité douce et la modernisation progressive des flottes
peuvent contribuer significativement à la décarbonation urbaine.
En
somme, l’économie circulaire offre au Bénin une opportunité unique de concilier
résilience climatique, compétitivité économique et inclusion sociale. En
s’appuyant sur le Plan d’action élaboré, le pays se dote d’un cadre stratégique
cohérent pour transformer ses secteurs clés, encourager l’innovation, valoriser
ses ressources locales et renforcer sa souveraineté économique tout en réduisant
ses émissions. C’est une transformation systémique, à la fois ambitieuse et
réaliste, qui repose sur une vision partagée entre acteurs publics, privés et
communautaires.
Précieux Christian Béhanzin