Projet carbone au Bénin: La Bouche du Roy brûle d’impatience
Environnement
Par
Fulbert Adjimehossou, le 05 avr. 2023
à
08h15
Au cours des trois dernières décennies, le Bénin a perdu des centaines d'hectares de mangroves le long de la côte en raison des coupes illicites. Cependant, les choses changent, grâce à la répression, la sacralisation et le reboisement. Des projets attendus pourraient rapporter des millions de dollars au pays et aux communautés.Grand-Popo est la porte d'entrée de l'Aire communautaire de conservation de la biodiversité (Accb) de la Bouche du Roy. Ce sanctuaire paisible et inspirant de près de 10 000 hectares, situé au sud-ouest du Bénin, voit les mangroves reprendre du terrain et recouvrir la lagune côtière. Avec les actions de conservation en place, il est désormais fabuleux de parcourir le cœur de cette réserve, reconnue par le Programme sur l'homme et la biosphère de l'Unesco, en se délectant du gazouillement d'oiseaux migrateurs.
Des circuits touristiques sont en développement pour valoriser l'estuaire où la lagune de Grand-Popo se jette dans l'océan Atlantique. Mais les populations locales brûlent d'impatience de monétiser leurs efforts de conservation grâce à un projet carbone. « Nous attendons des retombées qui pourraient encourager les communautés. Elles sauront que les mangroves doivent être protégées car elles génèrent des ressources financières », confie Bertin Amadjezo, l'un des responsables de l'Accb de la Bouche du Roy.
Soif de projet carbone
Le mécanisme évoqué par Bertin Amadjezo est une forme d'échange de carbone, inspiré du Protocole de Kyoto. Tout d'abord, une partie de la forêt ou des mangroves doit être conservée pour stocker une certaine quantité de dioxyde de carbone. Par exemple, un projet de reboisement capable de séquestrer 1000 tonnes de Co2 se verrait attribuer 1000 crédits carbone, en fonction de critères précis. Le potentiel est énorme avec les efforts de restauration des mangroves dans le sud du Bénin.
Selon Dr Valère Salako, coordonnateur scientifique du Laboratoire de Biomathématique et d'Estimations forestières (Labef), un écosystème de mangrove qui est bien conservé peut stocker jusqu'à 220 tonnes de carbone par hectare. En revanche, lorsque l'écosystème est dégradé et perturbé par des activités anthropiques telles que la récolte de bois, il stocke au maximum 130 tonnes à l'hectare, soit 90 tonnes de moins, précise le chercheur.
Alors, tout comme ses administrés, Jocelyn Ayicoué Ahyi, maire de la commune de Grand-Popo, est impatient de voir se concrétiser un projet carbone sur son territoire. « Si c’est bien planifié, il y aura une valeur ajoutée, mais aussi des profits pour assurer le développement local. Avec le changement climatique, nous demandons aux populations de mettre en place des instruments de résilience. En contrepartie, le projet carbone est l'une des pièces de rechange que nous pouvons expérimenter», déclare-t-il.
Pas un jackpot
Cependant, il ne suffit pas d'avoir une idée du potentiel pour se lancer dans le développement d'un projet carbone. Selon le décret 2022-698 du 7 décembre 2022, qui fixe les modalités d'enregistrement des projets carbone, plusieurs étapes doivent être franchies. Ainsi, tout promoteur doit enregistrer son projet dans le registre des projets carbone. Le dossier doit comporter entre autres, une copie certifiée d’un document officiel attestant du statut juridique des terres ou des forêts concernées par le projet.
La copie des contrats passés avec les communautés est aussi requise dans le dossier, de même que la démonstration de la cohérence du projet avec les objectifs de l’Accord de Paris, les Contributions déterminées nationales (Cdn) et les objectifs de développement durable. « Les projets carbones ne sont pas faciles. Ce n’est pas un jackpot tel que brandi », commente Gauthier Amoussou, coordonnateur national de Eco Bénin.
Cette Ong a eu à mener une étude sur le bilan du carbone en 2014. Le stock réel de carbone dans les zones de mangrove non dégradée avait été estimé à 219 tonnes de carbone par hectare. Pour soutenir l’investissement et la durabilité des actions dans les zones humides du Sud Bénin, une seconde étude de faisabilité pour un projet de financement du carbone a été menée par CO2logic en 2019. Le processus suit son cours. « Nous souhaitons que les communautés reçoivent davantage les bénéfices du sacrifice qu’elles font aujourd’hui pour sauvegarder les mangroves», précise Gauthier Amoussou.
Défis de transparence
La mise en œuvre d’un projet carbone n’est donc pas un long fleuve tranquille. Dans le monde entier, les projets liés au carbone sont souvent confrontés à des soupçons dans différents domaines. Au Bénin, la question de la sécurité foncière est susceptible de surgir lors des discussions. Jocelyn Ayicoué Ahyi, maire de Grand-Popo, prévoit cette problématique et s'implique pour éviter des conflits futurs.
Une implication des communautés est nécessaire pour que, dit-il, la mise à disposition des espaces se fasse dans un climat apaisé. « Si cette étape n'est pas bien exécutée, le projet risque de s'enliser. Ce serait bien que les populations installées autour de la Bouche du Roy soient suffisamment informées des implications », ajoute l’autorité locale.
L'autre préoccupation dans ce secteur concerne les méthodes de comptabilité des compensations. "Pour que les marchés carbones puissent réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre, il est essentiel que ces émissions soient correctement comptabilisées et que les données soient vérifiées et sécurisées", a souligné la Banque mondiale en mai 2022.
Au Bénin, le décret 2022-698 du 7 décembre 2022 encourage la transparence. Les informations fournies pour une demande d'enregistrement seront rendues publiques, à l'exception de celles qui sont confidentielles ou protégées par le secret des affaires. Le même décret prévoit l'annulation du certificat d'enregistrement du projet carbone en cas de fausses informations ou de non-respect du plan de partage des bénéfices■