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Lutte contre l’extrémisme violent: Le Bénin appelé à répondre à l’urgence

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Par   Arnaud DOUMANHOUN, le 20 août 2021 à 06h36
Des actes de violences se succèdent et font craindre le pire. Les plus récents sont perpétrés courant fin juillet et début août à la lisière de la frontière nigériane, dans la commune de Savè, arrondissement de Bèssè. Tout en suscitant indignation, ils ont remis au goût du jour, le débat sur l’extrémisme violent qui étend ses tentacules sur le sol béninois. Pourtant, le Plan d’action national peine à être une réalité, en dépit des alertes données par plusieurs chercheurs. Le rapport de l’Institut néerlandais des Relations internationales Clingendael, qui date de juin 2021, relève que les régions septentrionales du Bénin sont confrontées à de sérieux risques d’exploitation idéologique et communautaire orchestrée par différentes organisations extrémistes actives de l’autre côté des frontières. « Djougou mérite une grande attention sur la question de l’extrémisme religieux. Il n’y a pas que le chômage qui menace les jeunes. Le radicalisme violent pourrait venir recruter dans leurs rangs », a prévenu en fin de semaine dernière, Malick Gomina, maire de la commune. « Ceux qui ne nous veulent pas du bien partagent la même religion avec la très grande majorité de la population. Le niveau de misère est si élevé que je crains que ce ne soit un terreau fertile pour entraîner les esprits fragiles dans le radicalisme », s’inquiète-t-il. Djougou est située dans le département de la Donga, l’un des plus menacés dans la partie septentrionale par le risque de débordement de la violence du Sahel vers les États dits côtiers. Dans le département des Collines, trois personnes ont été égorgées les 06 et 07 août derniers, par des individus non identifiés. Quelques jours auparavant, soit le 28 juillet, une autre a été tuée dans un braquage. Ces actes criminels commis à Bessè, un arrondissement de la commune de Savè, renvoient aux conflits entre agriculteurs et éleveurs peuls. Depuis quelques années, ces incidents meurtriers sont récurrents. « Ça fait près d’une dizaine d’années qu’il y a toujours des affrontements suivis de mort d’hommes dans cet arrondissement… », confie le maire de la commune de Savè, Denis Oba Chabi, qui préconise l’installation d’une base militaire dans cette localité. L’enlèvement de deux touristes suivi de l’assassinat de leur guide béninois dans le parc national de la Pendjari en 2019, ainsi que l’attaque du poste de police de Kérémou sont autant d’éléments qui appellent à des actions urgentes. Le directeur général des Services de renseignements extérieurs français (Dgse), Bernard Émié, a d’ailleurs désigné le Bénin et la Côte d’Ivoire comme étant en danger imminent. Des causes gérables Le rapport Clingendael évoque trois raisons qui expliqueraient le niveau élevé de violence communautaire. D’une part, les conflits entre agriculteurs et éleveurs (50 % des incidents signalés). D’autre part, la gestion de la propriété foncière (environ 10 % des incidents signalés) avec les fréquents changements de régimes fonciers qui ont créé un flou juridique quant à la propriété des terres. Selon Epiphane Dossou, juriste-sociologue, au-delà du foncier et de la transhumance, il y a aussi en cause certaines pratiques religieuses. Il explique que pour parler d’extrémisme violent, il faudra une idéologie extrémiste, accompagnée d’une logique d’action violente. Excluant donc les mouvements religieux extrémistes qui ne commettent pas des actes de violence. Pour le juriste-sociologue, les cumuls de frustrations peuvent également conduire certaines personnes à s’organiser pour exécuter des actes violents. « Nous parlons beaucoup du Sahel alors que les extrémistes sont en train de recruter des communautés et ils recherchent les communautés qui ont des griefs contre le gouvernement, qui sont des proies faciles », souligne Théonas Moussou, coordonnateur pays de l’Institut républicain international (Iri) pour le projet de la prévention de l’extrémisme violent en Afrique de l’Ouest. En effet, les zones de prédilection de ces extrémistes sont celles frontalières où les institutions et services de l’Etat sont quasi inexistants, notamment l’école, l’hôpital, la télévision, les centres de loisirs ou de promotion sociale. A ces endroits, les populations sont facilement phagocytées. « Nos dirigeants, depuis des années, ne se sont véritablement pas occupés de la question de nos frontières, de sorte que n’importe qui peut entrer dans notre pays par n’importe quelle frontière », fait observer le président de l’Ong Alcrer, Martin Assogba. Il relève que des Béninois s’identifient aux citoyens des autres pays, et ont la monnaie du Nigeria comme leur monnaie principale, en raison de l’absence de l’Etat, et en déduit que c’est chose normale qu’ils soient cooptés par ces extrémistes. Enclencher la stratégie nationale de prévention Le gouvernement a répondu aux récents actes de violence posés à Savè par un déploiement des forces de défense dans cette zone devenue rouge. Une action d’éclat qui ne résout que de façon ponctuelle un mal qui prend de l’ampleur. Pourtant, le Bénin a mis en place une Commission nationale de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent qui a reçu l’onction des partenaires techniques et financiers. « Le Pnud a commandité une étude sur l’extrémisme violent au Bénin. Le problème est qu’on veut anticiper mais on prend trop de temps. Il y a des partenaires qui sont prêts à accompagner le pays dans ce sens mais jusqu’à présent, le plan d’action national que le Pnud a aidé à mettre en place n’est pas encore entériné. L’institutionnalisation des solutions reste un problème à notre niveau… », souligne Théonas Moussou, coordonnateur pays de l’Institut républicain international (Iri). Les actions posées par l’Organisation internationale pour la migration (Oim) et l’Agence béninoise de gestion intégrée des frontières (Abegief) ne suffisent pas pour endiguer le mal. Il faut noter qu’une séance de travail technique initiée par le Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud) a réuni les chefs de coopération et des conseillers en sécurité des ambassades accréditées au Bénin, qui se sont penchés, à Cotonou le 11 juin dernier, sur le contenu de la Stratégie nationale de prévention de l’extrémisme violent, son plan d’action global 2021-2030 et son plan d’action prioritaire 2021-2025. La rencontre visait à mobiliser les partenaires autour de cette stratégie dans la perspective de sa mise en œuvre. C’est dire combien l’Etat béninois est attendu dans la prise de décision aux fins de déclencher la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention. A l’occasion de ces assises, plusieurs causes sous-jacentes du phénomène de radicalisation ont été relevées. Il s’agit, entre autres, de la pauvreté (25 % des enquêtés), du chômage (25 % des enquêtés), de la marginalisation socio-économique, de l’analphabétisme et de la mauvaise connaissance des textes religieux, de la mauvaise gouvernance, etc. Et cinq défis majeurs ont été identifiés pour la prévention de l’extrémisme violent. Il s’agit notamment de l’amélioration des perspectives socioéconomiques pour réduire les vulnérabilités des espaces précaires ; la lutte contre la marginalisation et la discrimination; la lutte contre la mauvaise gouvernance et les violations des droits de l’homme; l’éducation et la sensibilisation pour le renforcement des capacités de résilience et la promotion de la paix pour une coexistence pacifique. Au dire du président de l’Ong Alcrer, Martin Assogba, il faut poursuivre la sensibilisation, implanter le drapeau national sur l’ensemble du territoire, et voler au secours des populations laissées pour compte pour satisfaire leurs besoins sociaux de base. « Il faut faire connaitre aux gens que leur nation, c’est le Benin, et qu’il ne faudrait pas qu’ils servent de couloirs pour ceux qui veulent nuire à cette nation», insiste-t-il. Pour le maire de Djougou, Malick Gomina, il ne faut pas attendre le pire avant d’agir. « Le Burkina Faso se croyait épargné avant de se retrouver dans la situation chaotique qu’on connait aujourd’hui. La meilleure façon de prévenir la violence est de combattre la pauvreté sous toutes ses formes, au risque de pousser notre jeunesse à commettre l’irréparable », fait-il savoir. Les défis sont nombreux mais pas insurmontables.