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Carbone contre feu de bois: Le pari vert du Bénin

Région
Une femme rurale, en train d’allumer son foyer Wanrou Une femme rurale, en train d’allumer son foyer Wanrou

Depuis 2012, plus de 13 800 foyers améliorés « Wanrou » ont été distribués dans le nord du Bénin, permettant à 5 600 ménages d’économiser 145 000 tonnes de bois et d’éviter plus de 218 000 tonnes de CO2. Soutenu par le marché du carbone, ce projet local démontre que la lutte contre la déforestation peut générer des revenus, protéger la santé et créer de l’emploi.

 

Par   Didier Hubert MADAFIME (Coll. ext.), avec le soutien du Pulitzer Center, le 24 juil. 2025 à 08h27 Durée 2 min.
#feu de bois

A Natitingou, dans le nord-ouest du Bénin, Esther Tankouté ne jure plus que par son foyer Wanrou. « Je cuisine plus vite, je tombe moins malade, et je consomme beaucoup moins de bois », confie-t-elle, sourire aux lèvres, dans sa cour encore imprégnée des parfums du déjeuner. Comme elle, des milliers de familles ont vu leur quotidien s’améliorer grâce à un petit dispositif en métal et argile: un foyer amélioré, sobrement baptisé Wanrou, « la vie » en langue locale.

Ce projet, lancé en 2012 par l’Ong Éco-Bénin avec l’appui de l’Agence Wallonne de l’Air et du Climat, visait à offrir une alternative à la cuisson traditionnelle au bois, très polluante et destructrice pour les forêts. 13 832 foyers ont été gratuitement distribués dans 10 communes du nord du Bénin, touchant plus de 5 600 ménages.

Des tests en laboratoire publiés le 30 janvier 2020 indiquent qu’un ménage utilisant exclusivement un foyer Wanrou permet d’éviter trois tonnes de CO2 par an, économise entre 50 et 60 % de bois, soit environ deux tonnes de bois par an, et préserve ainsi jusqu’à 0,84 hectare de forêt par ménage. Ces foyers permettent également une réduction significative des maladies respiratoires liées à l’inhalation de fumée.

Du côté du secteur agricole, un autre projet voit grand : le programme « Toho », également appelé « agriculture régénératrice », piloté par le ministère de l’Agriculture avec l’appui du projet Transition Agroécologique dans les Zones Cotonnières (Tazco). Ce projet vise à transformer les pratiques culturales dans les principales filières du pays (coton, maïs, anacarde), en favorisant le retour du carbone dans les sols, par des techniques respectueuses de l’environnement.

« Un sol pauvre est un sol qui a perdu son carbone », rappelle Sèna Lègbagah, chef de la cellule environnement du ministère de l’Agriculture. L’ambition est de générer à terme 2,5 millions de crédits carbone, une première en Afrique de l’Ouest. Mieux encore, le projet prévoit une redistribution des bénéfices au profit des agriculteurs.

Ainsi, les projets « Toho » et « Wanrou » ne se limitent pas à une amélioration domestique. Ce sont aussi des tremplins vers le marché international du carbone, un mécanisme qui permet de financer des projets verts en vendant des crédits carbones à des pays ou entreprises polluantes. Ce marché complexe et encore largement contrôlé par les pays industrialisés.

Un marché porteur, mais inégal

Le marché du carbone s’impose progressivement comme un mécanisme financier innovant pour lutter contre les changements climatiques tout en générant des revenus. Pour des pays africains comme le Bénin, en quête de solutions à la fois écologiques et économiques, il représente un pari audacieux, encore semé d’incertitudes. S’il permet de financer des projets de reboisement, d’agriculture durable ou encore de foyers améliorés, il n’en reste pas moins un marché complexe, volatil, et surtout, dominé par des logiques commerciales qui échappent souvent aux pays du Sud.

L’idée de base du marché carbone est simple en théorie : faire payer les plus gros pollueurs (industries, pays riches, compagnies aériennes...) pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre, en finançant des projets dits « de séquestration carbone » dans les pays en développement. Ces projets, en capturant ou en évitant des émissions de CO2, permettent ensuite de générer des crédits carbones échangeables sur des plateformes internationales.

Comme dans toute activité marchande, le marché du carbone n’échappe pas aux contradictions. « Il y a du bon, mais aussi du mauvais », prévient Gauthier Amoussou, coordonnateur national de l’Ong Éco-Bénin. Le principal point noir reste la volatilité du prix du carbone, directement lié à la loi de l’offre et de la demande. « En dessous d’un euro la tonne, c’est la catastrophe. On peut perdre tout l’investissement », avertit-il. Et c’est bien là que le bât blesse : les projets peuvent coûter des centaines de millions de F Cfa pour être certifiés, entre études de faisabilité, validation technique, suivi et audit. Difficile donc pour des communautés rurales, souvent peu alphabétisées et sans accès au financement, de tirer profit de ce système.

De plus, le marché est dominé par des plateformes de vente sophistiquées, des normes fluctuantes et des traders à l'affût. Cela en fait un univers hautement capitalistique, où les pays du Sud ont du mal à s’imposer sans accompagnement technique et institutionnel solide.

Michel Boko : « Le Bénin doit d’abord mieux gérer ses forêts »

Michel Boko, climatologue béninois, ancien membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) et actuel membre de l’Académie des Sciences du Bénin, reste prudent : « Le Bénin doit d’abord mieux gérer ses écosystèmes forestiers avant de prétendre bénéficier de ce marché. »

Une remarque que le gouvernement semble avoir prise au sérieux. Il a lancé un programme ambitieux de reboisement entre 2023 et 2030, avec pour objectif de planter 15 000 hectares par an, soit 150 000 hectares sur 10 ans, dans le cadre de sa Contribution Déterminée au niveau National (Cdn).

Selon Issiaka Gomina, adjoint au chef d’inspection forestière dans le nord, « la Direction des Eaux, Forêts et Chasse est vigilante. Nous écartons systématiquement les activités à risque et misons sur le reboisement encadré ».

Michel Boko rappelle enfin que le marché du carbone n’est pas une solution définitive. « C’est un outil transitoire qui doit accompagner la mutation vers des technologies plus propres, notamment dans les pays industrialisés. » En d’autres termes, les pays africains ne doivent pas fonder leur stratégie climatique uniquement sur la vente de crédits carbone, au risque de s’enfermer dans une dépendance structurelle à un mécanisme soumis aux aléas du marché mondial.