La Nation Bénin...

Avortement médicalisé: Eviter la périlleuse option de la clandestinité

Santé
Thierry Lawalé, directeur de la santé de la mère et de l’enfant, Thierry Lawalé, directeur de la santé de la mère et de l’enfant,

L’avortement sécurisé est une option salvatrice pour la gestante qui choisit de mettre un terme à sa grossesse. Face aux conséquences qu’engendrent les avortements clandestins, les spécialistes de la santé recommandent le choix éclairé de l’avortement médicalisé afin de sauver la vie de la femme. 

Par   Maryse ASSOGBADJO, le 15 oct. 2024 à 08h26 Durée 3 min.
#Santé #avortement sécurisé

L’avortement médicalisé ne se pratique jamais sur un coup de tête du spécialiste de la santé. Il y a toujours une raison derrière l’acte. Si certains le condamnent, les spécialistes de la santé le considèrent comme un recours salvateur. Celui qui permet de sauver la vie de la gestante à défaut d’en sauver la sienne et celle du bébé qu’elle porte. L’évidence avec ce type d’interruption de grossesse, c’est qu’il comporte moins de risques que l’option de la clandestinité.

« L’avortement médicalisé sauve la vie de la femme. Il lui garantit de meilleures chances de contracter une autre grossesse. Or certaines complications liées à l’avortement clandestin nous ont amenés à enlever l’utérus de la femme », se désole Thierry Lawalé, médecin de santé publique, spécialiste en santé sexuelle et reproductive, directeur de la santé de la mère et de l’enfant, des soins infirmiers et obstétricaux au ministère de la Santé.

Selon la loi n°2021-12 modifiant et complétant la loi n°2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin, l’avortement est légal jusqu’à douze semaines d’aménorrhée. La légalisation de l’avortement libère donc la femme béninoise, contrairement aux opinions qui considèrent le choix du Bénin comme un « suivisme des pays occidentaux ».

Autrefois, le sujet était tabou. La loi de 1920 avait formellement interdit la « publicité des moyens de contraception et de provocation à l’avortement ».  Les femmes contournaient donc les voies légales (puisque quasi inexistantes) pour se faire avorter clandestinement, aux dépens de leur vie. En plus de la détresse que leur décès pouvait causer à leurs proches, l’Etat aussi perdait des ressources humaines.  Et les cas n’étaient pas rares. Entre deux maux, il fallait alors choisir le moindre: perdre le couple mère-enfant ou sauver au moins une vie. Cette prise de conscience a ouvert aujourd’hui la voie à l’avortement, ce qui résout par la même occasion plusieurs autres équations. 

« La jeune fille qui ne veut pas garder sa grossesse, du fait de ses études, est autorisée à avorter. En cas de viol ou d’inceste, l’avortement est autorisé. Dans tous les cas, les raisons fondant la décision de l’avortement reviennent uniquement à la femme. Si un gynécologue lui refuse ce service, elle passera par des méthodes clandestines avec leurs corollaires que sont les complications et le décès », explique Séto Simon Bidossèssi, chirurgien des hôpitaux à la retraite, directeur exécutif de l’Ong Bidossèssi, centre de référence en matière de santé sexuelle et reproductive des adolescents et des jeunes.

En plus des cas sus cités, Thierry Lawalé ajoute que lorsque la femme en état de grossesse présente une affection particulièrement grave où la poursuite de la grossesse peut mettre sa vie en jeu, elle peut recourir à l’avortement. Lorsqu’on se rend compte que l’enfant à naître est aussi porteur d’une affection particulièrement grave, au-delà de tout recours thérapeutique, la femme peut se faire avorter. Idem lorsqu’il s’agit des raisons d’étude, d’exigences professionnelles et de pauvreté.

« Certains hommes pensent que la femme est une machine à fabriquer d'enfants alors qu’ils n’ont aucune situation financière stable pour subvenir aux besoins de leurs familles. En ce moment, il est difficile d’espérer une volonté d’eux pour protéger la santé de leurs femmes », poursuit-il. Dans ces situations, les spécialistes sont bien obligés d’écouter le cri de détresse des gestantes. 

A vrai dire, l’avortement et les questions de santé sexuelle et reproductive ne sont pas nouveaux. Ils existaient depuis la nuit des temps, mais sous d’autres formes. « Depuis que la femme existe, il y a l'avortement. Nos grands-parents connaissaient très bien les plantes à utiliser dans ce cas, y compris les recettes de la contraception », souligne Séto Simon Bidossèssi.

La loi 2003-04 du 03 mars 2003 relative à la santé sexuelle et reproductive complétée par celle de 2021, n’a fait qu’encadrer l’avortement et l’élargir à l’interruption volontaire de grossesse (Ivg). « L’avortement est autorisé lorsque la grossesse est issue d’un viol. Ensuite, lorsqu’elle intervient dans le cas d’un inceste ou lorsque l’état de santé de la maman ne lui permet pas de garder une grossesse à terme. L’avortement est autorisé dans le cas d’une cardiopathie chez la femme. Lorsque le fœtus porte une malformation incompatible à la vie (crâne ouvert, ventre non fermé, pieds et bras tordus) », développe-t-il. 

Osc et religieux s’invitent au débat

Au lendemain du vote de la loi 2021 sur l’avortement, le 21 octobre 2021, plusieurs organisations s’étaient invitées au débat, les unes pour dénoncer, les autres pour exprimer leur satisfaction. On retrouve dans la deuxième catégorie, les acteurs de la société civile, défenseurs de la santé sexuelle et reproductive. Selon eux, la loi sur l’avortement est une avancée au Bénin et résulte d’une longue lutte des organisations de la société civile puis de la volonté politique. Elle permet de réduire les décès maternels. Les chiffres en la matière ne les contredisent pas : près de deux cents femmes meurent chaque année des suites des complications liées à des avortements non sécurisés.

Du côté des religieux, difficile d’affirmer s’ils ont fini par avaler la pilule. Pour eux, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une dérive. L’Eglise catholique le caractérise « d’un acte immoral et inhumain qui détruit la vie du fœtus et de la mère à plusieurs égards » ou encore d’une « banalisation de la vie humaine ». Prise de position à laquelle répond le chirurgien des hôpitaux Séto Simon Bidossèssi en ces termes : « La vie est sacrée et une femme ne peut perdre la sienne en voulant en donner. S’il s’avérait qu’au sein d’une église, des femmes commencent par mourir de façon répétée du fait d’avortements clandestins, le prêtre ou le pasteur ne serait-il pas encore le premier à s’interroger sur cette situation en cherchant à exorciser le mal ? », s’interroge-t-il.

Il pense que les dénonciations contre l’avortement médicalisé sont hypocrites. Il faut que les femmes s’adressent aux bonnes personnes pour avoir la bonne information au bon moment. « Les gens se cachent hypocritement derrière les religions pour aller contre l’avortement médicalisé. Les mêmes personnes qui font des dénonciations dans ce sens, savent le chemin à emprunter lorsque ça arrive à l’un de leurs proches. C’est une malhonnêteté intellectuelle qui perd les gens qui croient bêtement en eux », rétorque-t-il. 

Cela n’arrive pas qu’aux autres. Que l’on soit religieux ou non, tout le monde a des parents qui peuvent mourir d’un avortement clandestin. Il signe et persiste que l’avortement et la planification familiale devraient être des décisions individuelles et que la logique de l’avortement se trouve en chaque femme qui en prend la décision. 

L’encadrement de l’avortement tient des cas graves liés à l’avortement clandestin dans notre pays. « On ne peut pas continuer à rester sourd et muet aux drames que nous voyons dans les hôpitaux. Il nous faut regarder la réalité en face et accepter de sauver une vie entre celle de la femme enceinte et celle du bébé qu’elle porte. Lorsqu’une grossesse non désirée est conduite à terme et que le bébé naît, il n’est pas évident que cet enfant ait tout le temps de bonnes relations psychologiques et affectives avec ses géniteurs », prévient Thierry Lawalé■