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Condamné à sept ans de réclusion pour coups mortels (14è dossier): Le soldat Issrahilou Ibrahim retourne en prison pour sept mois

Société
Par   Claude Urbain PLAGBETO, le 19 juil. 2015 à 18h05

Issrahilou Ibrahim, 31 ans, soldat de 2e classe, est condamné à sept ans de réclusion criminelle pour une affaire de coups mortels à Bassila. C’est la décision de la Cour d’assises de la Cour d’appel de Parakou qui a connu hier jeudi 16 juillet du dossier n°032/PG-09 l’opposant au ministère public. L’inculpé en liberté provisoire depuis avril 2013 retourne en prison pour y passer encore sept mois.

Après avoir passé plus de six ans en détention pour l’infraction de coups mortels qu’il a toujours niée, le militaire Issrahilou Ibrahim est mis en liberté provisoire le 19 avril 2013. Il s’est présenté délibérément pour le rapport d’expertise psychiatrique et médico-psychologique, il y a quelques semaines, avant de se constituer volontiers prisonnier à la veille de l’audience du jeudi 16 juillet dernier, pour être jugé devant la Cour d’assises de la Cour d’appel de Parakou. Il a continué de nier les faits mis à sa charge, mais la Cour présidée par Alexis Mètahou l’a déclaré coupable et condamné à sept ans de réclusion criminelle alors que le ministère public fort de son «comportement exemplaire» n’avait requis que six ans contre lui.

Les faits

«Le 26 mars 2006, au quartier Camp pionnier de Bassila, le nommé Issrahilou Ibrahim, militaire en service au 3e Bataillon inter-armes de Ouidah, de passage au village, fut sollicité par madame Rissikatou Adou pour l’accompagner au domicile du sieur Mathias N’kouei afin d’obtenir de celui-ci un sac de maïs qu’il lui devait. La réclamation insistante dudit sac de maïs entraîna une altercation au cours de laquelle le militaire Issrahilou Ibrahim porta à l’aide de son ceinturon, des coups à Mathias N’kouei. Transporté à l’hôpital de Bassila, il rendit l’âme quelques heures plus tard malgré les soins d’urgence reçus. Appréhendé et inculpé de coups mortels, le militaire Issrahilou Ibrahim n’a pas reconnu les faits ».
Tels sont, exposés, les faits qui ont fondé le renvoi de l’accusé Issrahilou Ibrahim devant la Cour. L’expertise psychiatrique ou médico-psychologique révèle que l’accusé n’était pas en état de démence au moment des faits aux termes de l’article 64 du Code pénal, donc accessible à la sanction pénale.
Présidée par Alexis Mètahou, la Cour qui a examiné le dossier est également composée des assesseurs Malick Nourou Dine Bakary et Arlen A. G. Dossa-Avocè et des jurés Mêmounatou Bio Tchané, François K. Gbaguidi, Jean Yoro Sotima et Justin Franck Kanchémey. Pour la mémoire de l’audience, le greffe est tenu par Me François Nou-gbodohoué. Robert G. Tito est l’avocat général. Me Mohamed Toko est le conseil de l’accusé.

Le prévenu dépose

A la barre, l’accusé n’a pas varié. «Monsieur le président, je ne reconnais pas les faits. Je ne lui ai jamais porté de coups. Je n’ai pas un problème personnel avec lui. On ne s’est pas engueulé. Il ne m’a pas insulté et moi non plus, je ne l’ai insulté», dépose Issrahilou Ibrahim à la barre. « Le monsieur se disputait avec la femme de mon frère, Rissikatou Adou, à qui il devait un sac de maïs. Je m’habillais afin de reprendre la route pour Ouidah quand je suis sorti et leur a demandé ce qui n’allait pas. Ils m’ont expliqué le problème... Puis, il a été décidé de le conduire chez l’adjudant-chef Imorou Ibrahim. On dépassait le domicile de ce dernier, quand il a sauté de la moto et est tombé sur le dos. Je me suis arrêté. Il était assis. Je l’ai aidé à se relever. Je lui ai demandé pourquoi il a fait ça. Et il m’a répondu qu’il pensait que c’est au domicile de l’adjudant qu’on allait et qu’arrivé au camp, on pourrait l’enfermer. Je lui ai dit qu’on n’allait pas l’enfermer parce qu’au camp, on n’enferme pas un civil. Il est remonté sur la moto et je l’ai amené chez l’adjudant-chef avant de repartir... », raconte l’accusé.
« Si je suis coupable, j’aurais pu me dédire ou quand j’ai bénéficié d’une mise en liberté provisoire, j’aurais pu fuir », dit-il. Pour aller où ?, demande le président de la Cour, Alexis Mètahou. Et à l’accusé de répondre : « Sans vous mentir, pour aller au Nigeria ».

Deux témoins à la barre

Georges Yao Assogba et Sikirou Moussa Zakari, respectivement patron et apprenti mécanicien à Bassila au moment des faits, ont déposé hier à la barre à titre de témoins. Le second avait vécu avec l’inculpé dans une même maison.
Georges Yao Assogba raconte qu’il n’était pas présent mais dit avoir appris qu’il y aurait eu «bagarre sur la route» entre le mis en cause Issrahilou Ibrahim et Mathias N’kouei, après quoi ce dernier a rendu l’âme. Cette déclaration n’est pas conforme avec ce que le témoin avait déclaré à l’enquête préliminaire, relève le président de la Cour. Il avait plutôt signifié qu’il a appris que la victime a sauté de la moto et que par la suite, le drame est survenu. «Ça fait un temps. Je ne me rappelle pas de tout ce que j’avais dit», s’est-il excusé avant de maintenir ses déclarations à la gendarmerie. Contrairement à ce que l’accusé a allégué, sa maison est ailleurs et non dans la cour où l’altercation entre la victime et la dame à qui elle doit un sac de maïs, a eu lieu.
Sikirou Moussa Zakari confirme que la maison du militaire était ailleurs et qu’il lui a rendu visite ce jour-là vers 6 heures, quand il était prêt à repartir à Ouidah. «Dame Rissikatou Adou a sollicité le concours du frère IB (entendez Issrahilou Ibrahim) pour faire peur à Mathias N’kouei afin d’avoir son sac de maïs. «Ce matin, le ton est monté entre Mathias et Rissikatou. Le militaire est intervenu. Mathias a voulu fuir et le soldat l’a tiré par la ceinture. Puis, Mathias est allé ramasser un morceau de brique pour lui lancer. C’est là qu’IB a desserré son ceinturon mais il ne l’a pas frappé, en tout cas pas devant nous avec ça. On a supplié Mathias et il a laissé tomber le morceau de brique et le militaire a remis son ceinturon. Après, le militaire a dit qu’il va l’amener à la gendarmerie. Mathias lui a dit qu’au camp, il a des amis là-bas. Il l’a pris sur moto et ils sont partis. Après, le frère soldat est venu nous dire qu’il a sauté de la moto et il est tombé...Je suis allé avec le militaire au camp et on a vu Mathias sous un arbre. Je n’ai pas remarqué des blessures sur lui ; il avait l’air bien portant », dépose le témoin.
Le prévenu a déclaré qu’il n’avait ni son ceinturon ni son béret sur lui. Ce que dément le témoin Sikirou Moussa Zakari.

Autres témoignages

Dame Rissikatou Adou ne vit plus, à en croire Sikirou Moussa Zakari. Dans ses déclarations aux étapes précédentes de la procédure, elle avait déclaré que c’est elle qui a sollicité Issrahilou Ibrahim pour intimider Mathias N’kouei afin que ce dernier lui rembourse son sac de maïs. « Je ne suis pas sollicité pour régler le problème. Ce n’est pas mon problème. C’est moi-même qui ai décidé d’intervenir pour éviter la bagarre entre les deux», soutient pour sa part, l’accusé interpellé pour réagir face à de telles déclarations.
A la lecture des pièces, le seul témoin qui indique clairement qu’Issrahilou Ibrahim a porté des coups, est un certain Datié N’tcha. Ce dernier affirme de façon péremptoire que le soldat a porté plusieurs coups à Mathias N’kouei et fait des blessures à la tête avec la boucle en fer de la bande d’étoffe. Ce témoignage accablant pour l’accusé semble être corroboré par le rapport d’examen médical du cadavre qui mentionne, entre autres, que la victime est décédée des suites de traumatismes sévères, qu’elle avait du caillot de sang dans le crâne. Le certificat médical indique aussi que la victime a reçu des coups d’un objet contondant, ce qui laisse penser au ceinturon du militaire.
Le bulletin n°1 du casier judiciaire de l’inculpé est vierge. L’enquête de moralité lui est favorable. Issrahilou Ibrahim est reconnu comme «un homme très calme, créatif, respectueux». Les personnes interrogées ont souligné que c’est un choc d’entendre qu’il a battu quelqu’un jusqu’à ce que mort s’en est suivie.

Six ans de réclusion, requiert l’avocat général

Pour le ministère public représenté par Robert G. Tito, il n’y a pas de doute que l’accusé n’ait pas porté de coups à la victime qui a perdu connaissance et a rendu l’âme par la suite. Les éléments, à savoir l’acte positif à travers les coups portés, le décès survenu, le lien de causalité entre les coups donnés par l’accusé et la mort de la victime sont réunis, selon l’avocat général qui s’appuie sur les témoignages et le rapport médical. «Il subira de ce fait le châtiment et la rigueur de la loi», insiste-t-il, après avoir rappelé les dispositions de l’article 309 alinéa 4 qui prévoit et punit l’infraction de coups mortels. Il signale qu’un mandat d’arrêt a été décerné contre l’accusé depuis juin 2006 mais n’a été exécuté qu’en novembre 2006, parce que l’inculpé est resté introuvable pendant plus de cinq mois. Un rapport de désertion de l’armée par Issrahilou Ibrahim a été produit et versé au dossier, poursuit-il.
«Je n’ai jamais déserté les rangs. J’étais à la disposition de mes patrons qui m’ont commandé des travaux...Le jour où la brigade de Ouidah est venue m’arrêter, j’étais dans les rangs», réfute le mis en cause.
Dans la suite de ses réquisitions, le représentant du Parquet général s’attarde sur la personnalité de l’accusé, sa bonne moralité et relève le «comportement exemplaire» de l’accusé qui, après sa mise en liberté provisoire, a accepté volontairement de subir l’expertise psychiatrique et médico-psychologique puis de se constituer librement prisonnier à la veille du procès. «Ça ne court pas les rues», fait observer Robert G. Tito. Au bénéfice de ses observations, il requiert qu’il plaise à la Cour de déclarer Issrahilou Ibrahim coupable de coups mortels et de le condamner à six ans de réclusion criminelle.

Du mépris, dénonce la défense

C’est un dossier de «grande méprise», réplique le conseil de l’accusé. Pour la défense, le ministère public est loin de convaincre. «Dans sa narration des faits, j’ai relevé que l’accusé aurait administré une sévère correction à la victime. Ce n’est pas juste», s’insurge Me Mohamed A. Toko. «L’analyse tirée par les cheveux et la conclusion ne m’ont pas du tout convaincu. Il n’y a qu’un témoin unique dans le dossier qui dit que l’accusé a porté des coups à la victime. Or, on m’a appris que tout témoignage unique est un témoignage inique, donc qu’on doit rejeter», développe-t-il. L’avocat-conseil s’attaque aussi au rapport d’expertise médicale sur la victime qu’il juge «parcellaire et tendancieux». «Ne vous laissez pas abuser par ce genre de rapport», lance-t-il aux juges et aux jurés. Pour Me Mohamed Toko, l’acte matériel : les coups portés et d’autres éléments constitutifs du chef d’accusation n’existent pas dans ce dossier. Il déplore que le ministère public n’ait pas lié la mort de la victime au fait qu’elle a sauté par peur et par imprudence de la moto. «L’infraction n’est pas constituée contre cet accusé...Il nie à juste droit parce qu’il ne se sent pas auteur», insiste-t-il. Au principal, l’avocat plaide l’acquittement purement et simplement. Au subsidiaire, le conseil demande à la Cour un acquittement au bénéfice du doute et de tout faire pour que ce fonctionnaire de l’Etat ne perde pas son job, sa source de revenus et ce, pour lui assurer une sérénité familiale et professionnelle.

Une sanction lourde ?

A la pause avant les réquisitions du ministère public et la plaidoirie de l’avocat, l’accusé s’est fondu en larmes, suite au passage des deux témoins à la barre. Conduit de la barre au box des accusés, comme s’il entrevoyait déjà sa condamnation, il a pleuré pendant plusieurs minutes à chaudes larmes. Ses frères d’armes qui le gardaient et son avocat ont essayé de le calmer.
A la reprise de l’audience, en dépit des démonstrations et des insuffisances relevées par ce dernier, la juridiction statuant publiquement en matière criminelle non seulement retient le chef d’accusation de coups mortels contre Issrahilou Ibrahim, mais surtout corse la sanction suggérée par l’avocat général en portant la peine à sept ans de réclusion criminelle. Ainsi, le jeune militaire retourne en prison pour y passer encore sept mois avant de recouvrer sa liberté.
Cette sentence a surpris plus d’un. Au regard des débats, beaucoup s’attendaient à ce qu’il soit condamné tout au plus au temps déjà passé en prison, soit les six ans passés en détention avant sa mise en liberté provisoire le 19 avril 2013.