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Constant Agbidinoukoun Glèlè, prince et personnalité d’Abomey: « J’aurais aimé que ce ne soit pas de la fiction »

Société
Par   Josué F. MEHOUENOU, le 06 déc. 2022 à 11h08
Au-delà de l’émotion et de la satisfaction, la production hollywoodienne « The Woman king » a également essuyé de nombreuses critiques. L’une des voix les plus entendues est celle du journaliste à la retraite Constant Agbidinoukoun, prince et personnalité de la localité d’Abomey pour qui, le film a péché par endroits.

Quand on parle des amazones, de qui parle-t-on ?

Il ne s’agit pas de l’épopée grecque. L’histoire des amazones, ce n’est pas de l’imagination, mais une réalité que nous avons connue dans le royaume du Danxomè. Les amazones, quand on veut en parler, il faut rappeler qu’on doit leur avènement à Tassi Hangbé, seule reine du royaume d’Abomey de 1708 à 1711 et sœur jumelle du roi Akaba, qui a pris le pouvoir quand son frère jumeau est décédé. Elle estimait avoir la carrure de régner. Dans le royaume de Danxomè, ce n’est pas accepté, mais elle était d’un caractère fougueux, très digne et rude. Pour contrer les velléités des hommes qui ne voulaient pas en entendre parler, elle a créé le tout premier peloton des Agodjié pour défendre le royaume, sa reine, les institutions, les dignitaires… C’est le roi Ghézo qui a régné de 1818 à 1858 sur le Danxomè qui a révolutionné cette armée de femmes qui reçoit un entrainement acharné. Elles ont leur camp d’entrainement, leurs dignitaires et vous ne pouvez même pas facilement les approcher. Avant d’aller au front, elles prêtent serment. Les Agodjié, ou si vous voulez les amazones, sont des femmes engagées et déterminées qui ne reculent devant aucun obstacle. Elles ramènent toujours des trophées de leurs combats et c’était la preuve de leur bravoure.

On vous a maintes fois entendu porter des critiques sur la production. Que lui reprochez-vous ?

Je dois féliciter ceux qui ont pensé faire ce film parce que dans notre propre pays, il se fait que nous n’avons jamais pensé nous-mêmes faire un film sur ces héroïnes. Nous laissons notre culture et nous ne devons pas en vouloir à ceux qui font l’effort de faire revivre notre histoire. Quand on veut faire un film sur les amazones, on doit faire attention. Ce que je reproche à ce film, c’est qu’il a été fait sous forme de fiction. Certes, la production en a la liberté parce qu’il s’agit de leur initiative et surtout c’est eux qui l’ont financé. Mais ceux qui ont vu le film ne se transportent pas vraiment dans la réalité du Danxomè et cela me gêne. J’aurais aimé que ce ne soit pas de la fiction parce qu’on a été obligé de rajouter des choses pour rendre l’histoire plus intéressante. Les Américains aiment la fiction, ils en ont fait un spectacle à la méthode hollywoodienne. Certains accoutrements ne sont pas ceux des Agodjié. Je ne veux pas trop critiquer pour paraître le seul qui pense que c’est mauvais. Ceux qui connaissent l’histoire des amazones ne peuvent pas être très heureux en regardant le film. Les amazones ne se sont jamais opposées à l’esclavage et à la traite négrière par exemple. Elles étaient soumises et devaient obéissance. On n’est pas amazone pour faire ce qu’on veut, mais c’est la soumission totale et la défense de Danxomè. C’est parce que je connais l’histoire, qu’il s’agit de mon histoire, de ma culture que je suis un peu gêné par rapport au contenu. Sur la prononciation des mots par exemple, on fulmine. Je suis un peu gêné parce qu’il s’agit de ma culture. La tonation du fongbé que j’entends dans le film n’est pas la réalité parce que c’est ma culture.

Que devrait-on faire selon vous pour parfaire ce film ?

D’abord, il faut féliciter ceux qui se sont dérangés pour faire ce film. C’est un travail de longue haleine sur plusieurs années. Les Américains sont perfectionnistes et le film le montre. C’est le moment de rendre hommage pour le courage qu’ils ont eu de faire le film. Ce film valorise les amazones pour ceux qui ne connaissent pas leur histoire. Hollywood a l’art du film, mais j’aurais aimé par exemple que le film soit tourné au Bénin. Le cadre est là encore et il y a des acteurs importants au Bénin. Je n’ai pas besoin d’être un grand acteur pour prendre des rôles dans ce film par exemple parce que je vis là-dedans, je connais l’histoire, mes parents me l’ont contée sur des décennies et je connais une bonne partie de leur histoire, car c’est aussi une histoire complexe. S’il y a un autre tournage à faire, qu’ils pensent venir au Bénin. Mais j’en profite pour poser la question de savoir pourquoi nous ne pouvons pas le faire nous-mêmes. J’apprends déjà qu’il y a un film grandiose à venir pour reprendre un pan de l’histoire de notre pays. L’une des faiblesses que j’ai notées, c’est que nous ne produisons pas des films, j’aurais aimé voir le Bénin produire de longs métrages sur les sujets en lien avec notre histoire et notre culture. Nous n’allons pas tout apprendre dans les livres. L’esclavage a duré trois cents ans, ces sujets-là sont très intéressants pour nous.