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De Hollywood à Cotonou: La nouvelle vie des amazones

Société
Par   Josué F. MEHOUENOU, le 06 déc. 2022 à 11h15
Le gouvernement béninois, voulant faire de l’amazone un personnage à succès dans le monde, la nouvelle identité visuelle du pays, a érigé une géante statue de bronze en hommage. Hollywood vient en remettre une couche en redonnant vie aux féroces guerrières du Danxomè à travers une superproduction : The Woman King. Autant le film est adulé, autant il est soumis à de nombreuses critiques. De Cotonou à Hollywood, l’amazone se réveille à nouveau. Et pour l’histoire !Les derniers combats des amazones remontent à plus d'un siècle et pourtant leurs souvenirs restent vivaces. Abomey fut le lieu de résidence principale des amazones, même si, pour des raisons stratégiques et diplomatiques, quelques-unes vécurent à Zagnanado à partir du roi Glèlè (1858-1889). Lors de la première campagne contre la France, les 3 et 4 mars 1890, elles réaliseront un nombre impressionnant d'exploits. « Les amazones au front ne faisaient pas cas de leur vie, en n'ayant pas hésité à se jeter sur les canons en action, saisir les tireurs dans une célérité fulgurante et leur trancher la gorge, à l'aide de leurs dents, tout en étant déjà mortellement blessées ». Amélie Dégbèlo‚ historienne ayant soutenu sa thèse sur les amazones, ces fameuses « Agoojié », rappelle leur parcours avec brio et fierté. Son récit fait voyager dans le temps. « La guerre n'était pas pour elles un simple métier, mais plutôt un genre de vie. Elles pratiquaient la culture de l'excellence dans tous les domaines », appuie-t-elle. Maîtrise optimale de la formation, respect de l'ordre établi, esprit de solidarité, souci du travail bien fait, abnégation, endurance, obligation de résultat, quête permanente de l'intérêt supérieur… Pour ces braves guerrières d’antan, le Danxomê passait avant tout, y compris leur vie. L’historienne soutient en effet que « pour le royaume du Danxomè, la guerre n'était pas un luxe, mais une planche de salut, à cause de la permanence du rêve hégémonique de puissants voisins qui l'entouraient… Ce défi fait ressortir l’importance du corps d’armée des amazones ». C’est pourquoi, illustre-t-elle, le 17 novembre 1892, le colonel Alfred Dodds, en annonçant à Abomey la fin du Danxomè, a mentionné aussi celle des amazones, cauchemar de la colonne expéditionnaire. Cette déclaration n’aurait pas tenu compte du dévouement indéfectible des guerrières qui suivirent le monarque jusqu’à sa reddition volontaire le 25 janvier 1894. Aussi, rappelle-t-elle que les conditions particulières d'accès au trône du roi Guézo (1818-1858) l’ont obligé à baptiser l’armée féminine d'un extrait d'une phrase incantatoire signifiant qu'il est protégé par un rempart humain inexpugnable « Agododjié ». [caption id="attachment_90772" align="alignnone" width="240"] King Women[/caption] Selon Gabin Djimassè, historien chercheur, collectionneur d’art, culture et vodun, l’origine des femmes Agodjié, des femmes militaires du Danxomè, remonte aux difficultés qu’a connues la reine Tassi Hangbé, sœur jumelle du roi Akaba au pouvoir. Arrivée au pouvoir dans des conditions particulières, étant sœur jumelle du roi Akaba, comme la tradition l’exige à l’époque, elle a subi tous les rituels comme son frère jumeau Akaba. Et quand bien même elle a quitté le pouvoir, indique-t-il, ses différents successeurs ont compris l’importance de faire des femmes des guerrières, et progressivement ont amélioré cet embryon qui est né de la reine Tassi Hangbé et ont fini par en faire la seule armée régulière du Danxomè. On leur fait appel et après les campagnes militaires, elles retournent au champ travailler la terre, l’agriculture étant la première source de revenus du royaume. « Ces femmes ont été très utiles et très importantes dans le royaume de Danxomè. Ces femmes ont joué un rôle très important et occupé une place primordiale dans le royaume », assure Gabin Djimassè.

Superproduction hollywoodienne

Les Agodjié au cinéma ! L’unité d'élite de l'armée du royaume du Dahomey aux 18e et 19e siècles composée de redoutables guerrières prêtes à tout écraser sur leur passage est importée par le septième art à travers une méga production signée Hollywood. L’actrice oscarisée Viola Davis y joue en tête d’affiche. Elle incarne du haut de ses 57 ans, Nanisca, une guerrière passionnée et déterminée, une générale de troupe chargée non seulement de faire la guerre aux royaumes voisins, notamment celui d’Oyo, mais aussi de recruter et de former la relève. La réalisatrice Gina Prince-Bythewood s’est permis quelques libertés. Elle a recousu le film à sa manière en y ajoutant un chapitre esclavagiste sans grand lien avec les amazones, reprocheront certains. Applaudi au Bénin, en Afrique et un peu partout aux États-Unis depuis sa sortie en salle, le film au budget de 100 millions de dollars a également essuyé des critiques jugées parfois sévères. Les intonations de la langue locale Fongbé, le costume des actrices, certains pans de l’histoire, l’accent des acteurs, le décor et quelques détails ont fait l’objet de contestations de la part du public et des critiques. « Le film n’est pas exempt d’une touche hollywoodienne de bons sentiments, parfois un peu anachroniques. C’est un parti pris de la réalisatrice. Un parti pris artistique, car, il semble nécessaire de le rappeler, il ne s’agit pas d’un documentaire, mais d’une fiction. Il y a un souci visible de coller aux valeurs des spectateurs d’aujourd’hui, et c’est habilement fait, car cela permet aussi d’éviter d’indexer un pays, le Bénin, pour sa participation passée à la traite négrière », souligne dans un article l’historienne Sylvia Serbin, auteure de Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire. À Cotonou, cette visibilité de l’histoire africaine encore peu représentée à l’écran est partagée entre mille sentiments. Chacun y va de son émotion. « The woman King était très attendu depuis la bande-annonce. Nous étions déjà dans l’impatience. Avec The Woman King, il n’y a que de l’émotion, beaucoup d’émotions et de fierté… Un film spécialement dédié au seul peuple guerrier de femmes de toute l’Afrique c’est une fierté pour tous les Béninois », confie Aurélio Laine, Béninois de la diaspora. Pour ne pas se faire conter la super production hollywoodienne, la plupart des cinéphiles sont venus à l’heure, bien avant que la grande salle noire de Canal Olympia à Wologuèdè en plein cœur de la ville de Cotonou n’ouvre ses portes pour les accueillir. La cour est noire de monde, le parking bondé.

Un film habité par l’esprit des amazones

L’ambiance d’avant projection pour la première du film est habitée par l’esprit des amazones. Un bodypinter est présent sur les lieux pour des coups de pinceau au visage de ceux qui le désirent. La plupart des invités se sont soumis à l’exercice. Un sabre et une flèche décorés et ornés à l’identique de ceux utilisés dans le film et quelques autres ornements sont posés à quelques mètres de la salle de projection pour les séances photo devant une grande bâche reprenant l’affiche du film. Parés aux couleurs des amazones et sous les flashs des photographes, tous ont voulu immortaliser cette grande première. Le silence dans la salle était absolu et le public très concentré. Seuls quelques rires venaient perturber le calme et s’ensuivaient souvent des applaudissements. « Hollywood nous ramène les amazones en grand format et en toute fierté », souffle une cinéphile, jambes croisées, tenant la main de son mari assis juste à côté d’elle. « J’ai beaucoup aimé ce film. J’ai été agréablement surprise de voir, pour la première fois, une page de l’histoire africaine traitée ainsi par le cinéma occidental à gros budget. Gina Prince-Bythewood et ses équipes ont fait preuve de beaucoup de respect pour coller le plus près possible à la réalité » ajoutera à ses commentaires l’historienne Sylvia Serbin. Contrairement à elle, d’autres critiques ont reproché au film « de présenter le roi Ghézo comme favorable au discours anti-esclavagiste tenu par l’héroïne, la générale Nanisca, alors que le royaume du Danxomè a justement fondé sa puissance sur le commerce d’esclaves ». Pour la plupart des spectateurs du film en projection, « les 157 minutes passent très vite et on ne s’en rend même pas compte ». Kassirath Aboladé, 51 ans, responsable d’une entreprise privée, est venue voir le film avec ses deux filles. Elle en repart plus que satisfaite. « Notre histoire très riche se révèle au monde entier à travers ce film qui est inspiré de la vérité sur les amazones, ce corps d’élite singulier et emblématique, dévoilé et raconté. Ce n’est pas un documentaire, mais c’est inspiré de la belle épopée de nos amazones, c’est une fierté de voir à l’écran cette histoire avec ces personnages et cette production de qualité avec les grands moments de ce royaume », confesse-t-elle, tout émue. « Je veux surtout qu’à partir de ce film, la visibilité de notre patrimoine soit davantage une réalité », espère pour sa part Remy Yélouassi, opérateur privé du secteur du tourisme. Il perçoit ce film comme une aubaine qui permettra aux personnes qui ne connaissaient pas le Bénin, ni le Dahomey (qui est bien cité dans le film) de s’intéresser à notre pays et ce sera des opportunités pour le développement de notre tourisme. Pour lui, ce genre de support permet de mieux indexer le Bénin sur la carte et c’est un élément sur lequel on peut s’appuyer tout comme la place de l’amazone pour emmener l’histoire du pays sur la place mondiale.

Renaitre à travers 150 tonnes de bronze !

Bien avant la sortie en salle de la superproduction hollywoodienne, le Bénin avait déjà donné le ton de la nouvelle de l’amazone. Le 30 juillet dernier, le chef de l’État béninois, Patrice Talon, a inauguré une statue en hommage à l’amazone. Celle-ci est fabriquée en structure métallique, avec une enveloppe en bronze, d’une hauteur de 30 m et pesant 150 tonnes avec le pied posé sur un tertre. Elle a été réalisée par le sculpteur chinois Li Xiangqun. « Le projet de conception et de construction de ce monument répond à l’objectif de réappropriation du symbole de l’identité béninoise en hommage aux Agoodjié, aux Amazones », selon le gouvernement béninois qui se propose ainsi de « célébrer, valoriser et faire adhérer la femme béninoise dans sa splendeur ». La statue de l'Amazone symbolise des valeurs comme le courage, la bravoure et le patriotisme pour inspirer les femmes et les hommes du Bénin. On y découvre le figuratif d'une jeune femme guerrière armée d'un fusil et d'une épée avec sa tête pointée vers le haut, signe de la victoire. Elle est considérée comme l’une des plus grandes en Afrique. Ce qu’il faut retenir de cette statue, selon le président de la République Patrice Talon, «c’est le serment, la combativité et le sacrifice suprême dont ces femmes ont été capables pour défendre la patrie ». « Ce qui importe, c’est que sur la terre du Bénin, les mots courage, bravoure, force, combativité et honneur ne sont pas exclusifs au genre masculin. Au Bénin, autant que les hommes, des femmes se sont distinguées par ces valeurs et ont brisé le mythe du sexe faible. Par leur existence sur la terre du Bénin, elles ont imprégné de ces valeurs, toutes les femmes ayant une descendance béninoise », avait aussi indiqué le président à l’inauguration. « En hommage à elles, à ces femmes, à ces amazones, cette statue sera à nos yeux et à ceux de nos visiteurs, le symbole de la femme béninoise, celle d’aujourd’hui et celle de demain », a réitéré le président du Bénin. « Il est temps de nous découvrir nous-mêmes, de découvrir et de valoriser ce qui est grand en nous ». Pour le Chef de l’État, il est nécessaire de « nous débarrasser du faux complexe qui nous isole, nous divise » pour enfin « nous révéler à nous-mêmes, puis de révéler aux autres ce que nous avons de bien et de grand ». La zone d’implantation présente un intérêt touristique avec beaucoup d’aménagements. Elle offre des possibilités de détente, d’activité de plein air pour les résidents et visiteurs. L'Amazone représente une force féminine historique qui doit servir de repère aux générations actuelles et futures du Bénin, un symbole de l’histoire du Bénin et de l’épopée des illustres personnages, une source de fierté et un élan patriotique auprès de tous les Béninois, un intérêt pour la réappropriation du symbole identitaire fort de la femme béninoise, une perpétuation dans le contexte national moderne du rôle déterminant de la femme dans la culture et dans l’histoire du peuple béninois, résume une note du gouvernement béninois sur la statue qui trône désormais au coeur de Cotonou.

Faire rêver les petites filles

La nouvelle vie des amazones ne passe pas inaperçue auprès de la jeune génération de femmes béninoises. Leur histoire passionne autant qu’elle inspire. Sènami Tonoukouin, activiste des droits de la femme, veut prendre exemple sur ces guerrières d’antan. De leur épopée, elle dit « puiser des valeurs comme fidélité, humilité, confiance en soi, courage, vaillance, inhibition de la peur… pour aller loin ». Dans une société très patriarcale comme celle du Bénin, il faut beaucoup de courage et de détermination pour mener le combat pour l’émancipation de la femme. « C’est en cela que l’exemple des amazones qui ne reculaient devant rien pour aller au bout du combat et en finir avec l’adversaire nous inspire dans nos luttes », explique la jeune féministe de trente ans. « Nous n’avons pas de lances ou des flèches ou même des couteaux comme en leur temps, mais nous avons le verbe, les actions, l’engagement, la sensibilisation et le plaidoyer comme moyens d’action ». La juriste Miguel Houéto ne partage pas pour autant cette analyse. Lui arrive-t-elle de se mirer à travers leur histoire pour certaines, des luttes qu’elle porte dans le cadre de l’émancipation de la jeune fille et de la femme ? « À dire vrai, non. J’ai toujours entendu parler des amazones du royaume de Danxomè, de leur bravoure, leur ténacité et surtout de ce qu’elles étaient de précieuses armes contre l’ennemi envahisseur d’alors », répond-elle sans ambages. « Je n’ai jamais fait l’exercice de me mirer à travers l’histoire de ces femmes héroïnes d’entre-temps. Mais je me dis qu’elles sont l’exemple de ce qu’une femme est capable d’accomplir de grandes choses. Ma modeste singularité m’a forgé à travailler à être moi dans toutes mes actions », poursuit-elle. Reconnaissante, elle l’est tout de même d’avoir été instruite à ce sujet, car cela lui permet de voir la vie sous des angles que d’autres femmes ne verront peut-être pas. Pour ce qui est de la statue de l’amazone, elle y voit la construction d’une image. « Celle-ci veut appeler et inculquer dans la mémoire collective, l’histoire de cette femme. Il me semble donc que c’est un hommage rendu », précise-t-elle. Par ailleurs, rappelle-t-elle, «nous sommes dans un contexte où chaque pays recherche son identité sur divers plans tels que le culturel. Raviver la flamme de l’amazone au travers de cette statue qui impressionne de par sa taille n’est pas mauvais en soi. Cela invite à aller à sa rencontre via l’histoire », soutient-elle. Plus particulièrement, ajoute Miguel Houéto, cela peut contribuer à faire rêver les petites filles au-delà de ce qui pour elles apparaît comme instable ou entrave à leur évolution. Selon elle, cet édifice pour le combat de l’émancipation de la femme béninoise peut être une passerelle pour éduquer, sensibiliser et inciter les filles et jeunes femmes à rêver grand et surtout à se donner les moyens de leurs rêves.