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Entretien avec la Révérende pasteure Fifamè Fidèle Houssou-Gandonou: « Le féminisme n’est ni en contradiction, ni incompatible avec la foi chrétienne »

Société
Par   Josué F. MEHOUENOU, le 26 juin 2018 à 07h55
[caption id="attachment_29696" align="alignnone" width="1024"]La Révérende Fifamè Fidèle Houssou-Gandonou[/caption]

Docteure en théologie, option Ethique féministe, enseignante et auteure, spécialiste en féminisme, genre et développement, la Révérende pasteure Fifamè Fidèle Houssou-Gandonou est connue pour ses prises de position sur le féminisme qui tranche avec l’ordinaire. Cette servante de Dieu qui mène des réflexions sur la condition féminine vue sous l’angle religieux, aborde dans cet entretien, ce qu’elle appelle « les fondements éthiques du féminisme ».

La Nation : Pour vous, c’est quoi le féminisme ?

Révérende Fifamè Fidèle Houssou-Gandonou : Malgré son apparence révolutionnaire, le discours féministe exprime à sa manière une exigence éthique universelle. Au-delà des femmes, il s’adresse à toute personne soucieuse de voir triompher l’égalité pour tous, la justice pour tous, la dignité pour tous. Le féminisme est l’attitude de ceux et celles qui souhaitent que les femmes aient les mêmes droits que les hommes et soient traitées comme des êtres créés à l’image de Dieu. Morgane Merteuil le dit très simplement quand elle écrit que le féminisme vise à l'extension des droits des femmes, à leur émancipation, la liberté de ces dernières ayant tendance à être définie en fonction des attentes et des besoins des hommes.

Qu’est-ce qui a motivé votre intérêt pour un tel sujet ?

Tout est parti de l’observation de la condition féminine en Afrique en général et au Bénin en particulier. La condition féminine en Afrique et au Bénin en particulier n’est pas reluisante. Dans un contexte où des femmes sont victimes de l’exclusion et de la maltraitance, le combat féministe prend tout son sens. Il faut reconnaître les avancées réelles qui se sont produites dans notre pays comme ailleurs, et l’amélioration sensible de la condition féminine. Mais il reste, notamment, à changer radicalement l’image dévalorisante de la femme qui continue d’être perçue, à des degrés divers, comme une citoyenne de seconde zone. La religion joue ici un rôle que l’on ne saurait négliger. Une certaine lecture de la Bible par exemple, la plus répandue partout dans le monde et singulièrement en Afrique, accrédite l’idée de l’infériorité congénitale de la femme par rapport à l’homme. Il faudra interroger cette lecture en montrant que d’autres lectures sont possibles, en distinguant soigneusement, dans le texte biblique, l’essentiel et l’accessoire : le noyau substantiel du message chrétien, d’une part, et d’autre part l’enveloppe culturelle dans laquelle il s’exprime, et qui est en effet fortement marquée par un système de préjugés que l’on retrouve, hélas, dans toutes les cultures de l’époque et même d’aujourd’hui : le chauvinisme mâle.

Quels regards porte-t-on sur la femme en Afrique ?

Du point de vue littéraire, et de concert avec les œuvres étudiées, nous retenons que la condition de la femme en Afrique est très peu enviable. Le regard de la société confine la femme dans ces lieux traditionnels que sont la cuisine, la maternité et le marché. Le regard sur la femme est souvent à la base des formes d’assujettissement que sont la polygamie, le mutisme, les mutilations génitales, l’initiation sexuelle, les rites d'initiation qui marquent le passage de la puberté à l'âge adulte, le rite de naissance, le veuvage, le lévirat, etc. Le système mis en place par la société semble privilégier la loi du mâle qui veut que la femme soit au service de l'homme et de la société.
Dans la société africaine et béninoise en particulier, le regard des hommes sur les femmes est d’une étrange ambivalence. D’un autre côté, les hommes regardent la femme comme un délice pour les pères et pour l’homme en général (le mari). Dans ce sens, on dit que celui qui a fait des filles est potentiellement riche ; la femme est donc vue comme une propriété et une richesse.
D’un côté, les hommes perçoivent les femmes comme psychologiquement, moralement et intellectuellement faibles. La femme est perçue comme un objet esthétique, à la limite décoratif et ayant pour but d’agrémenter ou d’embellir l’existence de l’homme. Elle est également vue comme la source des malheurs et parfois un obstacle. Comme cela, la femme est sous la surveillance de son père jusqu’à son mariage où cette surveillance se transfère à son époux. Ce qui fait d’elle une perpétuelle mineure et l'expose à l’exclusion de la vie sociopolitique, à l’exploitation et à la violence sous toutes ses formes.

Que dire alors du regard de la femme sur elle-même ?

Les femmes intériorisent généralement la situation qui leur est faite par la société. Ainsi, le plus grand souhait d’une jeune fille est le foyer, oui le foyer, un mari et des enfants. Elle se voit à travers son rôle et jamais dans son être et sa nature d’être humain créé à l’image de Dieu au même titre que l’homme devant être dans un rôle de partenariat et de vis-à-vis avec ce dernier dans la gestion de la cité.
Je dirais aussi que notre problème, c’est d’abord d’être femmes et de vivre dans un monde dirigé par les hommes. Les hommes eux-mêmes le disent, ce sont eux qui dirigent le monde dans lequel nous sommes, nous femmes, pour paraphraser Hélène Yinda.

Alors, le féminisme est-il la meilleure réponse ?

Oui le féminisme comme réponse, parce qu’il persuade que la condition des femmes et les injustices criardes auxquelles elles sont soumises appellent de toute nécessité une réplique. Cette réponse est à la fois une action et un discours : un discours qui rétablit la femme dans sa dignité d’être humain et une action destinée à imposer dans les faits cette dignité bafouée. Le féminisme n’est ni en contradiction, ni incompatible avec la foi chrétienne, encore moins avec la volonté de Dieu pour ses créatures. Il vise plutôt à rétablir l'équilibre en théologie et dans la société. En cela, il est la meilleure réponse visant à réduire les influences du système patriarcal de la société et permettant une vie plus humaine pour l’homme et la femme. Le féminisme ambitionne l'intégration de la femme à la vie sociopolitique. Mariama Bâ l’exprime en ces mots : « La femme ne doit plus être l’accessoire qui orne. L'objet que l'on déplace, la compagne qu’on flatte ou calme avec des promesses. La femme est la racine première, fondamentale de la nation où se greffe tout apport, d'où part aussi toute floraison. Il faut inciter la femme à s’intéresser davantage au sort de son pays ».

En quoi le féminisme est une question éthique et théologique ?

S’il y a lieu de rechercher les fondements éthiques et théologiques du féminisme, c’est que cette doctrine est souvent décriée pour ses exagérations et ses abus. Le féminisme apparaît à première vue, pour l’observateur superficiel ou pressé, comme un discours subversif qui remet en cause les rapports naturels entre l’homme et la femme. Il apparaît ainsi, à la limite, comme une doctrine immorale.
De plus, il est souvent perçu en Afrique, comme « une affaire de Blancs » ou plus exactement, dans le cas d’espèce, comme une « affaire de Blanches », et donc liée à la culture occidentale et totalement dépourvue de sens dans le contexte africain.
La base du féminisme étant le mal-être du vécu féminin, son discours est orienté vers une éthique de l'égalité, de la liberté, de la dignité et de la responsabilité. Le féminisme fait donc appel à des valeurs éthiques qui apportent le changement du mieux-être. Il s’agit pour la femme d’être reconnue et traitée comme sujet et comme personne créée à l'image de Dieu et rachetée par la grâce de Dieu.

Vous prônez finalement l’égalité homme-femme, on dirait !

En Jésus, Dieu dit la dignité et revalorise la condition. L'aliénation de la femme comme celle de l'homme est une forme d'insulte au Dieu de Jésus-Christ. Construire une société sans une disposition égalitaire et digne entre l'homme et la femme, c'est renoncer à l’évangile libérateur. Le féminisme veut amener les femmes à être sujet, c'est-à-dire savoir ce qu'on est et ce qu'on doit devenir. Ce dynamisme du savoir-être et du devenir est une décision d'orientation de vie. C'est être une personne, penser par soi-même et s'accomplir soi-même, c'est dire : je suis. C’est décider de se donner ou de suivre une ligne de conduite conforme au bien, à la vertu. Letty Russell le dira clairement en ces termes : « Les êtres humains ont besoin d’être acceptés comme sujets et non pas comme des choses ou des objets que quelqu’un d’autre manipulerait. Ils ne peuvent être réduits à de simples fonctions ou de simples rôles dans la société et les organisations ». Ce refus de se laisser manipuler et traiter comme objet passe nécessairement par une prise de conscience de son état. Cette prise de conscience est éthique et conduit à la volonté d'être sujet.

Quel sera votre mot de fin pour conclure cet échange ?

C'est une bataille, une lutte, un voyage et une vie. Compris de cette manière, le féminisme est un rappel à l’ordre de la création telle que rapportée par les Écritures Saintes avec pour ancrage homme et femme créés à l’image de Dieu et ayant reçu la même responsabilité de protection et la gestion de la création. Plusieurs versets bibliques dans les évangiles mettent l'accent sur ces valeurs éthiques que soulève la lutte féministe : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Toutes les choses donc que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-les-leur, vous aussi, de même ; car c’est là la loi et les prophètes.