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Huguette Bokpè Gnacadja, présidente de l’Inf: « L’angoisse quotidienne dans le cas du harcèlement sexuel tue »

Société
Huguette Bokpè Gnacadja Huguette Bokpè Gnacadja

Aujourd’hui mieux qu’hier, les langues se délient quant aux dénonciations des cas de harcèlement sexuel. L’Institut national de la femme, principal dispositif de lutte au Bénin, est déterminé à frapper fort contre les auteurs et complices. Assurance donnée par Me Huguette Bokpè Gnacadja, présidente de l’Institut national de la femme (Inf) qui apporte dans cette interview, des clarifications par rapport au phénomène et aux sanctions auxquelles les fautifs sont exposés.

Par   Maryse ASSOGBADJO, le 30 mai 2024 à 06h46 Durée 3 min.
#Inf

Quand parle-t-on de harcèlement sexuel et quelle démarcation faut-il faire lorsqu’il s’agit de l’environnement professionnel?

 Le harcèlement sexuel peut intervenir en milieu professionnel à plusieurs niveaux, comme c’est le cas à la zone industrielle de Glo-Djigbé. Le harcèlement sexuel peut intervenir comme une condition d’accès au processus de l’embauche. Il provient aussi du fait que durant la vie professionnelle, selon les postes, des supérieurs hiérarchiques ou parfois même un collègue, peuvent soumettre la femme qui cherche l’emploi au harcèlement sexuel, surtout quand le harceleur sait que la promotion de celle-ci ou son avancement dans sa carrière dépend de lui. Généralement, le lien hiérarchique est la circonstance favorable dominante qui permet de commettre ce genre d’acte. Pour justifier le harcèlement sexuel en milieu professionnel, la loi fait référence au lien de subordination. Il est question ici de la vulnérabilité liée au fait que quelqu’un soit à la recherche d’un emploi et peut-être même depuis des années et se trouve heurté au ‘’droit de cuissage’’ comme condition principale pour y accéder.

 Comment sait-on qu’il s’agit du harcèlement ?

 Cela se manifeste sous plusieurs formes. Le harcèlement peut se faire par des messages écrits ou vocaux, ça peut être dans l’attitude (exemple d’un patron qui fait venir sa secrétaire dans son bureau juste pour son plaisir et lorsque la secrétaire se trouve en face de ce dernier, il l’invite à contourner le bureau pour se mettre à ses côtés parce qu’il estime qu’il a un document à lui montrer et que la position dans laquelle elle est ne l’arrange pas).

En principe, dans toutes les administrations publiques ou privées, il doit y avoir un mécanisme qui permet à une personne en proie au harcèlement sexuel de pouvoir se confier, de pouvoir dénoncer, de pouvoir voir des mesures disciplinaires qui n’empêchent pas d’exercer des poursuites pénales contre les harceleurs.

 Que fait l’Inf dans ce sens ?

 L’Institut national de la femme est en train d’installer progressivement ses points focaux dans toutes les administrations publiques et privées du Bénin. Pour le moment, nous en avons dans les ministères et institutions de la République. Nous encourageons les responsables des différentes structures à mettre en place un mécanisme d’accueil, d’écoute et de règlement des cas de harcèlement sexuel dans les règles de l’art. L’Inf est totalement disposé à les accompagner dans la mise en place de ces mécanismes institutionnels qui garderont des contacts très étroits avec nos points focaux.

 Avec la crainte d’être stigmatisées, beaucoup de femmes et de filles se résignent à garder le silence. Les dénonciations, semble-t-il, ont du plomb dans l’aile.

 Il faut saluer le courage des jeunes filles qui ont dénoncé les exactions sexuelles qu’elles subissaient à la zone industrielle de Glo-Djigbé. Dans le cas du harcèlement sexuel, soit vous dénoncez, soit vous faites le choix d’exercer votre emploi dans un environ tel que vous êtes remplies d’angoisse à chaque fois que vous quittez votre maison pour aller travailler. Cette angoisse quotidienne est celle qui tue et il vaut mieux le signaler devant ces genres de situations pour que les dispositions soient prises. Autrement, vous n’allez pas pouvoir durer dans cet environnement professionnel. En matière de harcèlement sexuel, le silence équivaut à la complicité. Si quelqu’un a peur de déposer une plainte dans son lieu de travail, la personne peut directement venir la déposer à l’Institut national de la femme, sous anonymat, si elle le désire. Les décisions de justice qui sont rendues en matière de harcèlement sexuel ne portent que le nom de l’auteur et non le nom de la victime. Les mesures disciplinaires requises dans les cas que nous indexons doivent être strictement appliquées, parallèlement aux poursuites pénales. L’Inf est joignable au numéro 51 07 88 88. C’est un lieu qui vous accueille, vous écoute et qui respecte votre confidentialité par rapport à votre identité.  

Que prévoit la loi en matière de harcèlement sexuel en milieu professionnel ?

 La loi N°2021-11 portant dispositions spéciales de répression des infractions commises à raison du sexe des personnes et de protection de la femme en République du Bénin en son article 548 nouveau qualifie de harcèlement sexuel « le fait pour une personne de donner des ordres, d’user de paroles, de gestes, d’écrits, de messages et ce, de façon répétée, de proférer des menaces, d’imposer des contraintes, d’exercer des pressions ou d’utiliser tout autre moyen aux fins d’obtenir d’une autre personne en situation de vulnérabilité, de subordination ou en situation de demande d’un emploi ou d’un service public, des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers, sans le consentement de la personne harcelée ».

Les circonstances liées à la situation de vulnérabilité, de subordination, de demande d’un emploi ou d’un service public, combinées avec l’âge, le statut social et /ou économique, l’état physique ou mental, ou toute autre situation connexe, sont autant d’éléments qui seront pris en compte dans la peine applicable fixée par la loi, qui se situe entre 1 an et 2 ans, 500 000 F à un million d’amende. Et l’auteur ne pourra plus, durant ce temps prescrit par la loi, exercer les fonctions dans lesquelles il a commis son forfait.

Au regard du droit du travail, la nouvelle loi qui en modifie certaines dispositions stipule (article 27 alinéa 6 nouveau) ceci: « Est réputé licenciement la démission ou l’accord des parties ayant pour cause un harcèlement sexuel ou un viol ». Donc si une employée démissionne ou conclut un accord pour une rupture du contrat de travail et que la vraie cause est un harcèlement sexuel ou un viol, la loi considère qu’elle a été licenciée et l’employeur sera condamné à ce titre.

Et la loi précise que « tout licenciement consécutif à un harcèlement sexuel ou à un viol est toujours abusif », je dis bien toujours abusif, lorsque ces infractions sont établies par la juridiction pénale.