La Nation Bénin...
Ils ont noms Toudonou Armand Ahouansou et Manzourou Zèguè. 39 et 35 ans. Mis en détention le 30 janvier 2012 et bénéficiant d’une mise en liberté provisoire, ils sont poursuivis pour association de malfaiteurs, crime prévu et puni par les articles 265 à 267 du Code pénal. Mais comment de simples «indicateurs de douaniers», communément appelés «Klébé», peuvent-ils avoir basculé dans la délinquance alors qu’ils pouvaient se targuer de gagner leur vie ? C’est l’écheveau à démêler dans cette 3è affaire du rôle de la 2è session 2015 de la Cour d’assises de la Cour d’appel de Cotonou. Leurs avocats, Mes Yves A. Kossou et Moustapha Waïdi croient à la thèse du complot, comme eux-mêmes. Qui d’ailleurs se sont présentés volontairement à la barre, ayant appris par leur avocat parti à leur recherche, que l’affaire est enrôlée, alors que les diligences effectuées par le parquet général ont été infructueuses.
Pour connaître de la 3e affaire de la 2e session de la Cour d’assises de Cotonou, la Cour de céans est présidée par Michel Romaric Azalou. A ses côtés, les assesseurs Gyslaine Zodéhougan Batcho, Virgile Kpomalègni et les jurés Ambroisine C. L. Agbossaga, Louis Gbogbanou, Comlan Léon Chinkoun et Thomas Honoré Emmanuel Alogou. Le procureur général Gilles Modeste Sodonon est l’avocat général et, pour transcrire les débats, Me Christophe Chéou, le greffier d’audience.
Le résumé des faits
Présenté par la Cour, le résumé des faits renseigne que courant janvier 2012, plusieurs personnes dont notamment des contrebandiers de produits pétroliers auraient été attaqués, de jour comme de nuit, sur la lagune de Cotonou et dépouillés de leurs biens par les nommés Toudonou Armand Ahouansou et Manzourou Zèguè. Interpellés, ceux-ci n’ont pas reconnu les faits. Ils affirment être des indicateurs des douaniers, et soutiennent s’être régulièrement rendus sur la lagune dans le but d’informer la Douane des trafics frauduleux de produits pétroliers. L’enquête de moralité leur est défavorable mais le bulletin n°1 de leur casier judiciaire ne porte mention d’aucune condamnation.
A la barre, Toudonou Armand Ahouansou et Manzourou Zèguè, bien habillés, ne reconnaissent pas les faits ainsi exposés. Le second qui a déposé en premier, raconte que leur travail d’indicateur consiste à filer les contrebandiers sur le Cours d’eau et à les dénoncer aux douaniers qui pourront les appréhender. Mains croisées sur les fesses, il parle avec énergie, agite vigoureusement la tête en répondant à certaines questions de la cour, parlant presqu’en même temps que le président. Il assure ne pas connaître les quatre personnes qui se présentent en victimes et estime que c’est par jalousie pour son travail avec les douaniers, lui-même ayant travaillé par le passé comme conducteur de barques motorisées. Michel Romaric Azalou lui suggère qu’il a le droit d’user de dénégation absolue mais qu’il gagnerait à dire la vérité pour aider à sa manifestation, tant il est curieux qu’il soutienne ne connaître personne parmi les parties civiles alors qu’elles disent le connaître. Il soutient fermement sa thèse, raconte qu’ils étaient rétribués par d’anciens et actuels responsables des douanes, à raison de 60 000FCFA par mois. Version confirmée par son compère Toudonou, isolé entre-temps du prétoire. Il se tient curieusement aussi mains croisées sur les fesses quand il dépose à la barre. Pour lui, cette activité d’auxiliaire de douanier est préférable au transport fluvial des passagers, car elle rapporte mieux. La Cour veut savoir si, durant les 27 mois passés en détention préventive, ils ont reçu la visite des douaniers dont ils seraient les indicateurs. Non ! Surprise de la Cour, qui s’étonne par ailleurs que les accusés n’aient pas entrepris d’appeler lesdits douaniers en témoignage. Mes Waïdi et Kossou viennent en renfort à leurs clients, et attirent l’attention de la Cour sur le fait que personne, ni même les parties civiles, ne dénient aux accusés d’être des indicateurs de douaniers. Cette Cour, elle est perplexe quand Toudonou soutient avoir identifié les contrebandiers, quatre hommes en compagnie de trois femmes (qui seraient des prostituées) qu’ils conduisaient aux marins, du pont où il se situait, en pleine nuit (vers 22h), et affirme qu’ils fumaient du chanvre indien et manipulaient des portables… De cela, Manzourou dit avoir été informé par Toudonou, lequel lui a indiqué de qui il s’agit. Invité par la Cour à identifier les intéressés parmi les parties civiles, il se retourne, les dévisage et doigte deux d’entre elles. Stupéfaction de la Cour devant qui il avait soutenu un peu plus tôt qu’il ne connaissait personne dans le lot…
Des parties civiles qui accablent
Quand elles défilent à la barre, les parties civiles, ne reconnaissent pas les accusés comme indicateurs de douaniers. S’assumant comme contrebandier, le premier, Edmond Goudjèmèdji, qui dépose laborieusement parce que bègue, raconte avoir été arraisonné par les accusés, avec 8 bidons de 50 litres, qui lui réclament 500 000 FCFA mais obtiennent finalement de lui 50 000 FCFA.
Pour sa part, Pierre Padonou se présente comme un voisin de Toudonou et affirme qu’ils se connaissent bien. La première fois, expose-t-il, ce sont ses agents qui conduisaient la barque avec, à bord, dix sacs de riz. S’il n’a rien déboursé ce jour-là, Manzourou serait allé le voir après et il l’a volontairement gratifié de 10 000 FCFA. Une autre fois, ce sont 20 sacs que ses barques transportaient quand une dispute a éclaté entre ses agents et Manzourou. La Cour lui fait observer qu’il n’a pas soutenu la même version devant le magistrat instructeur, et la défense relève qu’il déclarait à l’enquête préliminaire que les accusés avaient exigé 15 000 FCFA et qu’il a dû leur donner
10 000 FCFA. Tout ceci paraît curieux à la défense qui demande aux parties civiles pourquoi elles n’ont jamais dénoncé des gens supposées les importuner, et même pas aux marins qui interviennent sur les lieux.
Mathieu Gbèhon se dit aussi victime des accusés qu’il affirme bien connaître comme eux aussi le connaîtraient, notamment Manzourou qui se rendrait même chez lui. Pour ses barques arraisonnées, il aurait payé jusqu’à
70 000 FCFA par deux fois… Mais comment se fait-il que lui, qui dit avoir été victime de plusieurs braquages et avoir reconnu Toudonou et d’autres, n’ait jamais entrepris de le dénoncer et d’organiser son arrestation ? Pour Mathieu, les accusés sont trop dangereux. Pis, ils auraient même repris du service et continueraient à arnaquer les contrebandiers, les derniers cas étant tout récents, que les victimes Gilles, Zonon, Jean, peuvent venir confirmer devant la Cour. Pourtant, à l’enquête préliminaire, c’est lui qui aurait tendu un guet-apens aux accusés pour les faire prendre sur le fait par la police. Questionné par la Cour, il reconnaît que les accusés l’ont arraisonné parfois et conduit aux douaniers. Manzourou confirme l’avoir conduit aux douaniers, mais nie formellement avoir reçu de l’argent de lui. Tout comme il nie, son compère Toudonou avec, avoir repris du service. Mais Mathieu Gbèhon persiste et donne le numéro de téléphone de l’une des victimes supposées, Gilles. Les accusés maintiennent leur position mais disent connaître les susnommés comme contrebandiers. Et s’ils sont prêts à reprendre du service, c’est qu’ils auraient déjà de nouveaux contacts à la Douane. Toudonou s’avance d’ailleurs, sur invitation de la Cour, à donner un numéro de téléphone, mais dans la discrétion, censé être celui d’un chef de brigade avec qui ils ont déjà discuté de cette possibilité. Michel Romaric Azalou entreprend alors de joindre ce numéro en direct et de mettre la communication en mode «mains libres». En vain, puisque le numéro sonnera longuement sans réponse. Pas plus avancé donc. Par contre, s’agissant de Gilles Hounkpèvi que Manzourou disait n’avoir jamais appelé, son portable consulté par la Cour renseigne bien qu’il l’a récemment contacté et ce, à quatre reprises.
Dernier des quatre ‘’victimes’’ à déposer, Benoît Hounkpèvi soutient également que les accusés ont repris du service, font à nouveau des victimes. Pour son compte personnel, ils lui auraient pris à l’époque 3000 dollars et 1000 nairas, sous la menace de bâtons et de coupe-coupe. Et si Toudonou dit qu’il ne le connaît pas, il promet de faire venir 200 personnes devant la Cour pour témoigner qu’ils se connaissent de vieille date puisque l’accusé leur achetait des crevettes. Une salve de rires traverse le prétoire... suivie d’une dénégation absolue de Toudonou. Idem de la part de Manzourou qui ne reconnaît avoir jamais reçu de l’argent de lui, ni en tant que donateur, ni en tant qu’intermédiaire… suspension de l’audience qui reprendra une heure plus tard.
A la reprise, le président Michel Romaric Azalou informe avoir réussi à joindre le douanier dont la Cour avait reçu le numéro, et que celui-ci devrait être dans le prétoire. Mais point de douanier jusqu’à la fin des débats.
De vulgaires délinquants ?
Les accusés sont-ils des malfaiteurs ? Ou plutôt de vulgaires délinquants ? L’avocat général croit fermement qu’ils ne sont pas des enfants de chœur. Et qu’ils ont choisi comme moyen de défense la dénégation systématique, qui ne résiste heureusement pas aux éléments pertinents qui découlent de l’analyse des faits. Car, le crime d’association de malfaiteurs résulte de la simple existence d’une bande, caractérisée par la préparation ou la commission d’un ou plusieurs crimes. Pour Gilles Sodonon, suivant les dépositions des parties civiles à la barre, plusieurs personnes les ont reconnus comme des habitués des faits, autant que les témoignages de nombreuses victimes de braquages sur les berges de Cotonou. En tout cas le caractère illicite de l’activité des victimes ne doit pas justifier leurs forfaits, estime l’avocat général ; qui requiert de la Cour qu’elle déclare les accusés coupables des faits d’association de malfaiteurs et les condamne à cinq ans de travaux forcés.
Pas de cet avis, Me Yves A. Kossou, qui n’a pas le sentiment d’avoir suivi les mêmes débats que l’avocat général, s’étonne qu’il soutienne cette thèse alors qu’aucune preuve ne soutient ses propos. Pour l’avocat, ceux qui devraient se retrouver à la barre, ce sont les parties civiles, dont l’illicéité des activités (trafic d’hydrocarbures, de chair, de drogue…) ne fait l’ombre d’aucun doute, elles-mêmes le reconnaissant. Ce sont des trafiquants, qui quoique constitués en association comme ils le prétendent, ne paient pas d’impôts. Les victimes, ce sont donc les accusés qui n’ont de tort que d’avoir fait le choix de prêter main forte aux douaniers pour mettre en déroute les contrebandiers. Aussi invite-t-il la Cour à ne pas se faire complice des vrais coupables en condamnant les accusés. Soutenant particulièrement qu’il est bien constant au dossier ainsi que les débats l’ont démontré, que les accusés sont bien des collaborateurs de douaniers. Lesquels, hélas, ne pourraient pas venir témoigner formellement à la barre dans un dossier pareil. En conséquence, Toudonou et Manzourou doivent être purement et simplement relaxés car, les personnes dangereuses, ce sont ces parties civiles qui écument les eaux pour leur activité de contrebande, lesquelles exposent nos vies.
Même logique de la part de son confrère Moustapha Waïdi, qui met en relief la puissance du consortium des trafiquants d’hydrocarbures et appelle la Cour à prendre garde à ne pas tomber dans leur piège. «Ce sont eux» qui doivent comparaître clame-t-il, doigtant les parties civiles qui ne comprennent sans doute rien, sinon pas grand-chose de ses propos, toutes s’exprimant plutôt en langue nationale goun. En tout cas, pour Moustapha Waïdi, aucun élément constitutif du crime n’est visible dans le dossier. Et ses clients n’ont manifestement aucun moyen de défense face à ces trafiquants qui sont souvent bien armés pour affronter, le cas échéant, les douaniers ou forces de l’ordre qui osent les traquer.
Mes Yves A. Kossou et Moustapha Waïdi ne sont, par ailleurs, pas surpris de la teneur de l’enquête de moralité, tant elle se sera déroulée essentiellement au milieu de ces contrebandiers qui ne sauraient donc parler en bien de ceux qui les traquent. On ne peut donc pas, foi de la parole de ces faussaires, condamner les deux jeunes gens. Et Me Waïdi de conclure sa plaidoirie par une exhortation à l’acquittement pur et simple sinon, en cas de condamnation, à se limiter au temps passé en détention préventive par les accusés. Lesquels, appelés à s'exprimer, bredouillent quelques mots, préoccupés sans doute de savoir s’ils rentrent libres comme ils sont arrivés à la Cour d’appel le matin, ou s’ils retourneront en prison après l’avoir quittée.
Arrivés libres au procès, ils en sortent prisonniers
La Cour, revenue de ses délibérations, disqualifie les faits en crime et délit de vol avec violence et extorsion de fonds. Déclare les accusés coupables de ces crimes et délits. En conséquence, elle les condamne à cinq ans de travaux forcés chacun et aux frais de justice. C’est dire que Toudonou Armand Ahouansou et Manzourou Zèguè, devront retourner en prison pour 33 mois. En attendant, ils devront affronter le procès civil en vue du dédommagement de leurs victimes.
Sur ce plan, si Pierre Padonou avait indiqué ne pas se constituer partie civile, au moment du procès civil, il est rejoint par Edmond Gougjèmèdji qui renonce à sa constitution de partie civile. Quant à Mathieu Gbèhon, il réclame 2 millions FCFA tandis que Benoît Hounkpèvi réclame 2 100 000 FCFA.
Ces demandes, le ministère public demande de les apprécier. Mais la défense ne l’entend pas de cette oreille, martelant qu’aucune preuve de préjudices subis n’apparaît au dossier. Arbitrant ces demandes, la Cour fixe le montant des préjudices respectivement à 800 000 FCFA et 600 000 FCFA pour Mathieu Gbèhon et Benoît Hounkpèvi.
Les parties civiles ressortent du prétoire la tête relevée, un tantinet satisfaites. Toudonou Armand Ahouansou et Manzourou Zèguè eux, se font expliquer la sentence par leurs avocats, dont la déception est perceptible. Les avocats sont déçus. Le visage défait, les condamnés passent des coups de fil, entourés de quelques proches. Des gendarmes attendent pour les ramener dans l’univers carcéral… Ils leur passent les menottes, les conduisent au minibus éreinté loué pour la circonstance. Ils s’y engouffrent. C’est le voyage retour pour la prison civile…