La Nation Bénin...

Insertion professionnelle des personnes handicapées: Des béquilles, facteurs de chômage au Bénin

Société
Par   Maryse ASSOGBADJO, le 05 juil. 2018 à 08h19
[caption id="attachment_29860" align="alignnone" width="1024"]Illustration d'une personne se déplaçant avec des béquilles[/caption]

L’accès à l’emploi des personnes handicapées relève d'un ‘’miracle’’ au Bénin. Ces individus font le parcours du combattant, sans pour autant obtenir gain de cause. Pourtant, l’arsenal juridique visant à favoriser leur insertion professionnelle est souvent brandi par les pouvoirs publics.

Etre handicapé et avoir une vie professionnelle stable dans l’administration béninoise relève de l’extraordinaire. L’accès au travail pour cette catégorie de personnes semble peu préoccuper les décideurs. En attendant l’heure de délivrance, elles frappent à toutes les portes susceptibles de leur favoriser ce privilège. Hélas ! Le désespoir s’installe très tôt. C’est une course sans issue.

Mira Hountondji, handicapée visuelle, vice-présidente du Réseau des associations des personnes handicapées de
l’Atlantique et du Littoral
(Raphal), pourrait passer des heures à raconter sa mésaventure. Bientôt, elle va rentrer dans la limite d’âge pour l’accès à la Fonction publique après avoir usé le fond de ses robes et jupes à chercher de l’emploi dans l’Administration publique depuis dix ans environ.
En plus d’une licence en anglais et en communication sociale, elle s’est également fait former en ‘’décoration d’intérieur ‘’et en prospection d’entreprise. Le sourire et le charme qu’affiche cette dame joviale et intelligente pourraient bien constituer un avantage certain pour des entreprises en quête de personnel qualifié dans son domaine. Mais son problème, c’est le fait de porter un handicap.
« Ce qui m’a le plus marquée dans ma recherche d’emploi, c’est le fait d’avoir été exclue deux fois successivement aux concours de recrutement à la Fonction publique ; encore que la seconde fois, c’était après la rencontre d’échange qu’ont eue les personnes handicapées avec l’ancien président de la République, Thomas Boni Yayi qui nous avait rassurées. Soixante-douze heures après, j’ai été purement et simplement expulsée d’une salle de composition pour l’accès à la Fonction publique », raconte-t-elle.
Le motif, explique-t-elle, est lié au manque de dispositions pour faire composer en braille. Mira garde ce souvenir, pleine d’amertume et de frustration. «Pourtant, mon dossier et ma demande de composition en braille ont été acceptés en amont et j’ai même eu mon numéro de table», s’offusque-t-elle.
Malgré ces coups durs, elle se donne toutes les chances d’aller de l’avant. Mais l’horizon ne semble pas pour autant dégagé. « Malheureusement aujourd’hui, l’exclusion des personnes handicapées se fait au niveau de la sélection des dossiers aux concours d’entrée à la Fonction publique », se désole-t-elle.
Pour surmonter ces obstacles, elle multiplie des descentes spontanées vers les chefs d’entreprises privées et visite des sites des sociétés pour les offres d’emplois, espérant de toutes ses forces son ‘’grand jour’’. En attendant, elle intervient en tant que personne ressource auprès des partenaires extérieurs sur des thématiques liées aux personnes vulnérables afin de subvenir à ses besoins.

Un cas non isolé

Le cas de Mira traduit le lot quotidien des personnes handicapées en quête d’emploi. Titulaire d’une maîtrise en anglais, Prisca Tossou, une autre handicapée de la vue, n’a pas échappé, elle aussi, à ces difficultés. « Après ma licence, j’ai postulé pour le volontariat, ça n’a pas abouti. J’ai également tenté ma chance à Média Contact, en vain», se souvient-elle. Elle estime que c’est dû à son handicap non adapté aux matériels de la structure. Heureusement, une bonne volonté est allée à son chevet: l’Ong Bartimée qui s’occupe des personnes handicapées de vue pour leur épanouissement et autonomisation dans les domaines culturels, agricoles et de la transformation.
De la potentialité, du dynamisme, de la réactivité, les personnes handicapées en ont suffisamment à revendre. Mais derrière ces valeurs, se cachent bien de difficultés et la misère. Le manque d’accès à l’emploi est un deuxième handicap qui leur est imposé. Abdoul-
Wahab Yèkini Salahou, ancien président de l’Association des scolaires et étudiants et actuel vice-président du Mouvement panafricain pour la défense des droits des personnes handicapées, est une autre victime. « Nous vivons dans la précarité quand les privés ne nous sollicitent pas pour une activité ponctuelle », explique ce handicapé moteur.
Entre les discours officiels visant à promouvoir les droits des personnes handicapées et la réalité, le fossé est grand. « En dépit de notre engagement à défendre nos droits, nous nous sommes rendu compte que notre pays fait toujours une politique de deux poids deux mesures. Les actes n’accompagnent pas les beaux discours des dirigeants », se désole-t-il. Il raconte avoir forcé la main à ses parents avant de pouvoir fréquenter. Pour lui, la difficile insertion professionnelle des handicapés traduit le manque de volonté politique.
Là-dessus, il évoque l’expérience de la Côte d’Ivoire dont le Bénin pourrait s’inspirer pour des emplois directs aux handicapés. En réalité, la promotion du handicap doit partir de la compréhension que les gens en ont. Très souvent, des têtes bien pleines et bien faites, elles sont souvent limitées dans leur volonté d’accéder à l’emploi. « Les gens ne nous font pas confiance. Il y en a parmi nous qui ont déjà 60 ans, mais qui rêvent toujours de travailler un jour », soutient Abdoul-Wahab Yèkini Salahou.
En dehors des rares qui ont pu se trouver une place dans la Fonction publique et dans les sociétés privées, l’insertion professionnelle de la grande frange reste un défi permanent que la couche peine à relever au prix de nombreux sacrifices.
Marcel Candide Hinvi, handicapé moteur, journaliste, animateur d’une émission intitulée ‘’Mon handicap et moi’’, a connu lui aussi les affres de l’insertion professionnelle. Selon lui, la marginalisation des personnes handicapées est quasi-permanente. Sa licence en communication n’a pas suffi pour convaincre les responsables d’un organe de presse de la place pour lui accorder un stage professionnel en journalisme au sein de la structure. Il sera envoyé plutôt dans un autre service en raison de ses béquilles, avant d’être repêché plus tard par un organe de presse privé de la place. « J’ai été contraint durant ce stage à faire autre chose que ce que j’ai appris », relate-t-il. « Nous essayons de surmonter notre handicap, mais le refus de certains responsables de nous insérer professionnellement nous en impose davantage», se désole-t-il.

Cris de cœur

Par rapport à l’insertion professionnelle des personnes handicapées, l’Etat semble démissionner. Leur sort est laissé aux soins des Ong privées, notamment Handicap International qui s’emploie tant soit peu à corriger l’injustice sociale. Le projet Insertion professionnelle qu’il vient de lancer pour la période 2018-2021 gage sur les besoins et des difficultés des personnes handicapées en matière d’accès au travail, notamment dans les départements de l’Atlantique et du Littoral.
« L’accès à l’emploi des personnes handicapées reste préoccupant », explique Calixte Capo, le chef projet. Faisant référence à une récente étude de son institution, il évalue à 80% le nombre de personnes handicapées diplômées sans-emplois.
Celles qui sont insérées dans l’auto-emploi éprouvent des difficultés à trouver un financement pour développer leurs activités et la diversifier. D’autres sont confrontées aux problèmes d’approvisionnement et d’écoulement sur le marché, relève l’étude de Handicap International.
Selon le chef projet, « Les mécanismes visant à promouvoir leur employabilité ne tiennent pas compte dès la base de leurs difficultés ». Reste aux pouvoirs publics de corriger le tir pour favoriser l’accès à l’emploi de la couche, car les compétences ne leur font pas défaut.
D’où ces cris de cœur que lance Mira Hountondji : « Je voudrais demander aux cadres de cesser de se cacher derrière les documents. Les lois sont votées et promulguées, le reste leur revient. Nous avons besoin de subvenir aux besoins vitaux comme toute personne ».
« Il est temps de finir avec les préjugés sociaux sur les personnes handicapées et de leur offrir des chances de travail afin d’apprécier leurs compétences», plaide Abdoul-Wahab Yèkini Salahou. Leur plus grand bonheur serait de trouver un jour un emploi définitif dans l’administration publique ou privée?
Contexte juridique
favorable

Le Bénin dispose d’un arsenal juridique qui milite en faveur de l’insertion professionnelle des personnes handicapées. Au nombre de ces instruments, la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par le pays en 2012 et qui l’oblige à respecter les droits des personnes en situation de handicap et à agir pour amener la société à changer de comportements envers elles. A cela s’ajoute la loi 2017-06 du 29 septembre 2017, portant protection et promotion des droits des personnes handicapées en République du Bénin et la loi n°98-004 du 27 janvier 1998 portant Code du Travail en République du Bénin dont l’article 31 évoque le principe de non-discrimination et l’article 33 souligne l’avantage fiscal incitatif pour les employeurs qui embauchent des personnes handicapées.
Les lois oui, mais il en faut plus pour favoriser l’insertion professionnelle des personnes handicapées.