La Nation Bénin...
C’est la fin, ce vendredi 20 octobre, du programme Millennium challenge account Bénin II (Mca-Bénin II). Joël Akowanou, directeur des opérations du Mca-Bénin II, fait le bilan du programme et jette un regard prospectif sur l’avenir du secteur de l’énergie au Bénin.
La Nation : Mca-Bénin II a mis en œuvre quatre projets ayant permis de moderniser le système énergétique béninois. Pour le projet Réformes politiques et renforcement institutionnel, quels étaient les constats et quels sont les changements induits par ce projet ?
Joël Akowanou : Les constats qui ont non seulement
contribué à la structuration du programme mais qui ont fait l’objet d’examen au
démarrage du projet au niveau des réformes, c’est essentiellement le tarif de
l’électricité qui ne reflétait pas réellement les coûts supportés par la Sbee.
Comme vous le savez, la définition d’un tarif prend en compte un certain nombre
de paramètres. Donc la première problématique était de s’assurer que le tarif
qui est pratiqué, prend en compte les coûts d’exploitation et permet à la Sbee
d’être viable. Nous avons également constaté que dans le secteur, la régulation
n’était pas au cœur du dispositif énergétique dans le sens où dans tout système
énergétique, il faut une autorité de régulation forte et opérationnelle. Un
autre constat était lié au cadre environnemental, c’est-à-dire qu’il fallait
que l’environnement soit propice pour l’introduction des investisseurs privés
dans le secteur. Donc, voilà autant de constats relevés au démarrage.
Quel bilan peut-on faire aujourd’hui du projet Production d’électricité ?
A ce niveau, les réalisations du programme s’orientent
essentiellement autour de l’accompagnement du gouvernement dans la dynamique
qui a permis de recruter un producteur indépendant d’électricité. Donc, nous
avons accompagné le gouvernement jusqu’à la phase de bouclage commercial et à
cette date, la phase de bouclage financier est en cours. Les activités qui
permettent de soutenir cette transaction que le programme a menée, c’est tout
ce qui est lié à la sécurisation des sites abritant les quatre centrales
solaires de Bohicon (15MWh), Parakou (15MWh), Djougou (10MWh) et Natitingou
(10MWh). Donc il était question de sécuriser le foncier au niveau des quatre
centrales solaires. Et quand on parle de sécurisation du foncier, il y a eu
beaucoup d’activités connexes comme l’indemnisation des personnes affectées par
le projet. Il y a également eu le soutien à la transaction, c’est-à-dire le
recrutement d’un conseiller en transaction pour conduire tout ce processus.
C’est également des études qui ont été réalisées pour permettre le lancement
des dossiers d’appel d’offres. Ce sont autant d’actions qui ont contribué au
succès de cette transaction.
Que retenir du volet Distribution d’électricité ?
Au Bénin, il n’y a pas eu jusqu’à cette période d’investissements
majeurs dans le sous-secteur de l’énergie électrique. C’est cela qui justifie
l’affirmation de l’ancien ministre qui disait que nous avons des musées en lieu
et place d’investissements dignes du nom. Le programme Mca-Bénin II s’inscrit
dans les priorités des actions du gouvernement dans la mesure où nous venons
renforcer le volet Distribution électrique au niveau du pays. Nous avons
construit ou réhabilité des sous-stations au niveau national, nous avons
construit des lignes électriques mais au-delà des lignes aériennes et
souterraines, nous avons réhabilité et changé les plans de tensions. Comme vous
le savez, dans le septentrion où les distances sont longues, il y a beaucoup de
déperditions donc il faut réajuster les niveaux de tensions pour que l’énergie
récupérée à la fin ne soit pas substantiellement très faible par rapport à ce
qu’on a injecté en amont. Nous avons réhabilité les lignes électriques mais en
plus de cela, il y a eu le projet majeur de construction du dispatching au
Bénin qui est une nouveauté. Quand on parle de dispatching, c’est une tour de
contrôle électrique donc, nous sommes dans les technologies innovantes. A
travers ce centre de dispatching qui est le Centre national de contrôle de la
distribution d’énergie, on peut faire de la télé conduite c’est-à-dire
intervenir en temps réel sur le réseau pour localiser des zones défaillantes,
reconfigurer le réseau et aller plus loin en faisant de la planification de la
demande au niveau de ce Centre à Abomey-Calavi. Il y a un centre de secours à
Bohicon parce que quand on a un système aussi important, il faut avoir un
backup, une solution de secours qui, au cas où le système important qui gère le
réseau électrique tombe en panne, prend le relais.
En plus du dispatching, il y a eu d’autres interventions au
niveau du réseau électrique, notamment l’élaboration de manuels, l'exécution
des études, etc. Par exemple, nous avons commandité une étude sur la protection
du réseau, que nous avons mise à la disposition des sociétés d’énergie de la place
en l’occurrence la Sbee mais également de la Ceb. Ces études permettront à ces
sociétés de s’en inspirer pour pouvoir élaborer un système ou un réseau
électrique plus performant contre les différentes intempéries parce que nous
avions hérité d’un réseau qui était mal conçu, mal dimensionné et mal protégé.
Quid de l’accès à l’électricité hors réseau ?
Pour ce qui est de ce projet, le programme s’est consacré
d’abord à élaborer un environnement propice pour l’électrification hors réseau,
c’est-à-dire mettre en place un cadre réglementaire qui permet aux
investisseurs étrangers de pouvoir faire de l’électrification rurale ; c’est
très important. On a vu en Afrique de l’Est où les promoteurs ont investi
beaucoup d’argent et par la suite, ils ont dû replier parce qu’il n’y avait pas
un cadre règlementaire qui protégeait autant l’Etat que les promoteurs privés.
Le Bénin n’avait pas envie de s’aventurer sur cette voie sans baliser le
terrain. Donc, nous avons mis en place un cadre réglementaire grâce à l’appui
du gouvernement. Nous avons ensuite mis en place un cofinancement afin
d’inciter le secteur privé à venir faire de l’électrification rurale et
investir également dans les zones périurbaines. A travers le programme, nous
avons lancé plusieurs appels à projets pour recenser des projets utilisant de
l’énergie renouvelable. Ceux qui ont été sélectionnés couvraient un certain
nombre de segments. Il y a eu d’abord des projets qui couvrent les
infrastructures publiques essentielles. Les promoteurs ont eu à installer des
pompes solaires, des lampadaires solaires pour que des communautés soient
alimentées. Il y a eu la catégorie des mini réseaux qui a connu une
effervescence, car beaucoup de promoteurs privés se sont intéressés à venir
vendre de l’électricité au Bénin, bien entendu, en signant une convention de
concession avec l’Etat représenté par l’Aberme. Ces promoteurs, aujourd’hui,
sont en train de construire des mini réseaux, à travers tout le territoire
béninois pour fournir de l’électricité à des Béninois pour la première fois de
leur vie et qui ont rêvé pendant longtemps d'avoir accès à l’électricité. Nous
avons des témoignages palpables où des gens nous ont dit : nous n’avons plus
besoin d’aller à Cotonou pour regarder la télévision.
Il y a deux autres catégories de projets. Nous avons celle
liée au système de vente de kits domestiques. Des promoteurs que nous avons
cofinancés ont vendu des kits aux ménages sur l’ensemble du territoire
national. C’est un appui aux ménages en matière d’accès à l’électricité. Et la
dernière catégorie qui est liée à l’efficacité énergétique est relative à
l’arrivée d’un investisseur privé qui a construit un gazogène pour alimenter
son usine de cajou afin de faire des gains en termes financiers mais aussi en
matière de bonnes pratiques pour la réduction de l’émission des gaz à effets de
serre. Voilà ce qui a été fait sur le projet Accès à l’énergie hors réseau.
Pour ce qui est de la maintenance et l’entretien des installations en matière
d’électrification hors réseau, cela revient aux promoteurs privés de le faire.
La population n’a pas à s’inquiéter de la maintenance et de l’entretien des
installations, vu que nous sommes dans un registre concessionnaire.
En gros, quels sont les bénéfices de toutes ces réalisations pour le pays ?
En termes de bénéfices, c’est déjà l’amélioration
substantielle de la qualité de l’énergie que les gens reçoivent chez eux.
Beaucoup de personnes dans les zones où nous avons installé des
transformateurs, notamment Vèdoko (Cotonou), témoignent que depuis que le
programme est intervenu dans leur zone, elles ont senti une nette amélioration
de la qualité de la tension électrique. Nous avons l’exemple du directeur
général d’une entreprise privée qui a témoigné d’une nette amélioration de la
qualité de l’énergie qu’il reçoit puisque nous avons eu à construire un poste
juxtaposé à son usine. Ce qui les a amenés à faire des gains de millions de
francs Cfa. Il y a aussi le volet relatif au social qui a permis de changer un
peu la vie de nos populations. Des gens qui n’avaient jamais imaginé avoir
accès à l’électricité avant 10, 20 ans, ont subitement accès à l’électricité
dans des zones rurales. Et quand on parle d’accès à l’électricité, on parle de
développement économique et social dans ces zones. Il y a l’énergie, donc on
peut installer un petit business, une petite usine, un moulin, une salle de
télé pour que les jeunes viennent regarder du foot, etc. On voit bien qu’il y a
une dynamique socioéconomique qui sera impulsée dans ces zones. Quand on prend
les dispensaires dans ces zones reculées comme Kalalé, où on n’arrivait jamais
à conserver les vaccins, l’installation des réfrigérateurs solaires aujourd’hui
va permettre à ces dispensaires de pouvoir conserver des vaccins et de sauver
des vies qui participeront à la richesse économique de ces zones. Donc on voit
bien l’impact de ce que le programme a réalisé pendant ses six années, sur les
populations.
Comment voyez-vous l’avenir du secteur au regard de ce que Mca-Bénin II a fait et de ce que fait également le gouvernement ?
Le secteur de l’énergie est un vaste chantier et il faut
mettre chaque segment au niveau : production, transport et distribution. Malgré
tout ce que le Mca-Bénin II a fait, il reste encore des perspectives dans le
sens où le gouvernement est en train de faire un certain nombre de choses, un
projet de Vinci/Sbee s’attaque au transport, un projet de l’Afd s’attaque au
renforcement de la capacité de transformation, un projet de la Banque mondiale
s’attaque à un volet de la distribution. Mais toujours est-il que quand on se
met dans une position où on regarde tous ces projets ensemble, il y a encore du
chemin à faire. C’est dans ce sens que je disais tantôt que Mca-Bénin II a
construit les autoroutes, il faut à présent construire toutes les dessertes et
amener notre système électrique à un système bien dimensionné, bien protégé et
qui permettra d’avoir une énergie à un prix raisonnable pour les populations.