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Joël Akowanou, directeur des opérations du Mca-Bénin II: « Nous avons amélioré la qualité de l’énergie… »

Société
Joël Akowanou Joël Akowanou

C’est la fin, ce vendredi 20 octobre, du programme Millennium challenge account Bénin II (Mca-Bénin II). Joël Akowanou, directeur des opérations du Mca-Bénin II, fait le bilan du programme et jette un regard prospectif sur l’avenir du secteur de l’énergie au Bénin.

Par   Ariel GBAGUIDI, le 20 oct. 2023 à 00h10 Durée 8 min.
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La Nation : Mca-Bénin II a mis en œuvre quatre projets ayant permis de moderniser le système énergétique béninois. Pour le projet Réformes politiques et renforcement institutionnel, quels étaient les constats et quels sont les changements induits par ce projet ?

Joël Akowanou : Les constats qui ont non seulement contribué à la structuration du programme mais qui ont fait l’objet d’examen au démarrage du projet au niveau des réformes, c’est essentiellement le tarif de l’électricité qui ne reflétait pas réellement les coûts supportés par la Sbee. Comme vous le savez, la définition d’un tarif prend en compte un certain nombre de paramètres. Donc la première problématique était de s’assurer que le tarif qui est pratiqué, prend en compte les coûts d’exploitation et permet à la Sbee d’être viable. Nous avons également constaté que dans le secteur, la régulation n’était pas au cœur du dispositif énergétique dans le sens où dans tout système énergétique, il faut une autorité de régulation forte et opérationnelle. Un autre constat était lié au cadre environnemental, c’est-à-dire qu’il fallait que l’environnement soit propice pour l’introduction des investisseurs privés dans le secteur. Donc, voilà autant de constats relevés au démarrage.

A tout cela, nous avons apporté des réponses en termes de réforme des politiques. Nous avons mis en place un certain nombre de cadres, que cela soit le cadre réglementaire pour l’introduction des producteurs indépendants d’électricité, la mise en place d’un tarif qui reflète les coûts réels. Il y a eu une réforme tarifaire que le gouvernement a adoptée et qui a donné lieu à une augmentation des tarifs d’électricité. Il y a l’Autorité de régulation que nous avons renforcée sur plusieurs plans, et qui est devenue forte. Nous l’avons renforcée de façon opérationnelle en mettant à sa disposition des outils, des procédures, en l’accompagnant dans la mise en œuvre de ses activités mais également une Autorité qui joue son rôle de façon indépendante dans le secteur de l’électricité. Pour finir au niveau des réformes, il y a les activités d’information et de communication au terme desquelles, nous avons accompagné le gouvernement à faire la vulgarisation des normes d’efficacité, des mesures d’étiquetage, etc. Voilà autant de chantiers que le programme a entrepris pendant ses six années.

Quel bilan peut-on faire aujourd’hui du projet Production d’électricité ?

A ce niveau, les réalisations du programme s’orientent essentiellement autour de l’accompagnement du gouvernement dans la dynamique qui a permis de recruter un producteur indépendant d’électricité. Donc, nous avons accompagné le gouvernement jusqu’à la phase de bouclage commercial et à cette date, la phase de bouclage financier est en cours. Les activités qui permettent de soutenir cette transaction que le programme a menée, c’est tout ce qui est lié à la sécurisation des sites abritant les quatre centrales solaires de Bohicon (15MWh), Parakou (15MWh), Djougou (10MWh) et Natitingou (10MWh). Donc il était question de sécuriser le foncier au niveau des quatre centrales solaires. Et quand on parle de sécurisation du foncier, il y a eu beaucoup d’activités connexes comme l’indemnisation des personnes affectées par le projet. Il y a également eu le soutien à la transaction, c’est-à-dire le recrutement d’un conseiller en transaction pour conduire tout ce processus. C’est également des études qui ont été réalisées pour permettre le lancement des dossiers d’appel d’offres. Ce sont autant d’actions qui ont contribué au succès de cette transaction. 

Que retenir du volet Distribution d’électricité ?

Au Bénin, il n’y a pas eu jusqu’à cette période d’investissements majeurs dans le sous-secteur de l’énergie électrique. C’est cela qui justifie l’affirmation de l’ancien ministre qui disait que nous avons des musées en lieu et place d’investissements dignes du nom. Le programme Mca-Bénin II s’inscrit dans les priorités des actions du gouvernement dans la mesure où nous venons renforcer le volet Distribution électrique au niveau du pays. Nous avons construit ou réhabilité des sous-stations au niveau national, nous avons construit des lignes électriques mais au-delà des lignes aériennes et souterraines, nous avons réhabilité et changé les plans de tensions. Comme vous le savez, dans le septentrion où les distances sont longues, il y a beaucoup de déperditions donc il faut réajuster les niveaux de tensions pour que l’énergie récupérée à la fin ne soit pas substantiellement très faible par rapport à ce qu’on a injecté en amont. Nous avons réhabilité les lignes électriques mais en plus de cela, il y a eu le projet majeur de construction du dispatching au Bénin qui est une nouveauté. Quand on parle de dispatching, c’est une tour de contrôle électrique donc, nous sommes dans les technologies innovantes. A travers ce centre de dispatching qui est le Centre national de contrôle de la distribution d’énergie, on peut faire de la télé conduite c’est-à-dire intervenir en temps réel sur le réseau pour localiser des zones défaillantes, reconfigurer le réseau et aller plus loin en faisant de la planification de la demande au niveau de ce Centre à Abomey-Calavi. Il y a un centre de secours à Bohicon parce que quand on a un système aussi important, il faut avoir un backup, une solution de secours qui, au cas où le système important qui gère le réseau électrique tombe en panne, prend le relais.

En plus du dispatching, il y a eu d’autres interventions au niveau du réseau électrique, notamment l’élaboration de manuels, l'exécution des études, etc. Par exemple, nous avons commandité une étude sur la protection du réseau, que nous avons mise à la disposition des sociétés d’énergie de la place en l’occurrence la Sbee mais également de la Ceb. Ces études permettront à ces sociétés de s’en inspirer pour pouvoir élaborer un système ou un réseau électrique plus performant contre les différentes intempéries parce que nous avions hérité d’un réseau qui était mal conçu, mal dimensionné et mal protégé.

Quid de l’accès à l’électricité hors réseau ?

Pour ce qui est de ce projet, le programme s’est consacré d’abord à élaborer un environnement propice pour l’électrification hors réseau, c’est-à-dire mettre en place un cadre réglementaire qui permet aux investisseurs étrangers de pouvoir faire de l’électrification rurale ; c’est très important. On a vu en Afrique de l’Est où les promoteurs ont investi beaucoup d’argent et par la suite, ils ont dû replier parce qu’il n’y avait pas un cadre règlementaire qui protégeait autant l’Etat que les promoteurs privés. Le Bénin n’avait pas envie de s’aventurer sur cette voie sans baliser le terrain. Donc, nous avons mis en place un cadre réglementaire grâce à l’appui du gouvernement. Nous avons ensuite mis en place un cofinancement afin d’inciter le secteur privé à venir faire de l’électrification rurale et investir également dans les zones périurbaines. A travers le programme, nous avons lancé plusieurs appels à projets pour recenser des projets utilisant de l’énergie renouvelable. Ceux qui ont été sélectionnés couvraient un certain nombre de segments. Il y a eu d’abord des projets qui couvrent les infrastructures publiques essentielles. Les promoteurs ont eu à installer des pompes solaires, des lampadaires solaires pour que des communautés soient alimentées. Il y a eu la catégorie des mini réseaux qui a connu une effervescence, car beaucoup de promoteurs privés se sont intéressés à venir vendre de l’électricité au Bénin, bien entendu, en signant une convention de concession avec l’Etat représenté par l’Aberme. Ces promoteurs, aujourd’hui, sont en train de construire des mini réseaux, à travers tout le territoire béninois pour fournir de l’électricité à des Béninois pour la première fois de leur vie et qui ont rêvé pendant longtemps d'avoir accès à l’électricité. Nous avons des témoignages palpables où des gens nous ont dit : nous n’avons plus besoin d’aller à Cotonou pour regarder la télévision.

Il y a deux autres catégories de projets. Nous avons celle liée au système de vente de kits domestiques. Des promoteurs que nous avons cofinancés ont vendu des kits aux ménages sur l’ensemble du territoire national. C’est un appui aux ménages en matière d’accès à l’électricité. Et la dernière catégorie qui est liée à l’efficacité énergétique est relative à l’arrivée d’un investisseur privé qui a construit un gazogène pour alimenter son usine de cajou afin de faire des gains en termes financiers mais aussi en matière de bonnes pratiques pour la réduction de l’émission des gaz à effets de serre. Voilà ce qui a été fait sur le projet Accès à l’énergie hors réseau. Pour ce qui est de la maintenance et l’entretien des installations en matière d’électrification hors réseau, cela revient aux promoteurs privés de le faire. La population n’a pas à s’inquiéter de la maintenance et de l’entretien des installations, vu que nous sommes dans un registre concessionnaire.

En gros, quels sont les bénéfices de toutes ces réalisations pour le pays ?

En termes de bénéfices, c’est déjà l’amélioration substantielle de la qualité de l’énergie que les gens reçoivent chez eux. Beaucoup de personnes dans les zones où nous avons installé des transformateurs, notamment Vèdoko (Cotonou), témoignent que depuis que le programme est intervenu dans leur zone, elles ont senti une nette amélioration de la qualité de la tension électrique. Nous avons l’exemple du directeur général d’une entreprise privée qui a témoigné d’une nette amélioration de la qualité de l’énergie qu’il reçoit puisque nous avons eu à construire un poste juxtaposé à son usine. Ce qui les a amenés à faire des gains de millions de francs Cfa. Il y a aussi le volet relatif au social qui a permis de changer un peu la vie de nos populations. Des gens qui n’avaient jamais imaginé avoir accès à l’électricité avant 10, 20 ans, ont subitement accès à l’électricité dans des zones rurales. Et quand on parle d’accès à l’électricité, on parle de développement économique et social dans ces zones. Il y a l’énergie, donc on peut installer un petit business, une petite usine, un moulin, une salle de télé pour que les jeunes viennent regarder du foot, etc. On voit bien qu’il y a une dynamique socioéconomique qui sera impulsée dans ces zones. Quand on prend les dispensaires dans ces zones reculées comme Kalalé, où on n’arrivait jamais à conserver les vaccins, l’installation des réfrigérateurs solaires aujourd’hui va permettre à ces dispensaires de pouvoir conserver des vaccins et de sauver des vies qui participeront à la richesse économique de ces zones. Donc on voit bien l’impact de ce que le programme a réalisé pendant ses six années, sur les populations.

Comment voyez-vous l’avenir du secteur au regard de ce que Mca-Bénin II a fait et de ce que fait également le gouvernement ?

Le secteur de l’énergie est un vaste chantier et il faut mettre chaque segment au niveau : production, transport et distribution. Malgré tout ce que le Mca-Bénin II a fait, il reste encore des perspectives dans le sens où le gouvernement est en train de faire un certain nombre de choses, un projet de Vinci/Sbee s’attaque au transport, un projet de l’Afd s’attaque au renforcement de la capacité de transformation, un projet de la Banque mondiale s’attaque à un volet de la distribution. Mais toujours est-il que quand on se met dans une position où on regarde tous ces projets ensemble, il y a encore du chemin à faire. C’est dans ce sens que je disais tantôt que Mca-Bénin II a construit les autoroutes, il faut à présent construire toutes les dessertes et amener notre système électrique à un système bien dimensionné, bien protégé et qui permettra d’avoir une énergie à un prix raisonnable pour les populations.