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Meurtre et complicité de meurtre (26e dossier): Abdouramane Abdoulaye écope de 12 ans et Lazare Akouèdègnon acquitté

Société
Par   Site par défaut, le 14 mai 2018 à 05h26

Dans le cadre de sa première session de 2018, la cour d’assises de la cour d’appel de Cotonou a examiné, ce vendredi 11 mai, le vingt-sixième dossier inscrit à son rôle. Une affaire de meurtre et de complicité de meurtre mettant en cause Abdouramane Abdoulaye et Lazare
Akouèdègnon. Au terme des débats, la cour a acquitté puremement et simplement Lazare Akouèdègnon et a condamné Abdouramane Abdoulaye à 12 ans de travaux forcés.

Si Lazare Akouèdègnon pouvait sourire pour avoir été acquitté du chef d’accusation de complicité de meurtre, après presque six ans et demi de détention préventive, Abdouramane Abdoulaye, n’a pas eu cette chance. Il a été plutôt reconnu coupable de meurtre et condamné à 12 ans de travaux forcés et doit retourner en prison pour plus de cinq ans encore. C’est le verdict prononcé par la cour d’assises de la cour d’appel de Cotonou à l’issue de son audience du vendredi 11 mai dernier relative à la vingt-sixième affaire inscrite au rôle de sa première session.
Après un préalable soulevé sans succès par les défenses aux fins de la libération immédiate au motif que leurs clients ont été retenus au-delà de cinq ans avant de comparaître devant la cour d’assises, l’audience a pu se dérouler. A la barre, aucun des deux accusés n’a reconnu être l’auteur des faits qui leur sont reprochés. Pour eux, le meurtre, dont a été victime Mathias Kpatindé Ada dit Tagba dans la nuit du 21 au 22 novembre 2011, serait le résultat de la vindicte populaire. Pour soutenir leur version des faits, chacun a usé de ses moyens.
Selon Abdouramane Abdoulaye, né vers 1980 et de nationalité nigérienne, après avoir surpris trois personnes en train de voler des veaux dans son troupeau, il a crié au secours. Il n’aurait pas eu le temps de rattraper les voleurs avant de retrouver l’un d’eux à terre se débattant sans savoir comment. Cet état du présumé voleur serait l’œuvre de la population réveillée par son appel au secours : « Olé ! Olé ! » dans la nuit profonde. Pourtant, lui fait comprendre la cour, il portait un long couteau au moment des faits. « A quoi aurait servi ce couteau que vous portiez sur vous dans la nuit du drame ? », lui demande le président Marie A. Soudé-Godonou. « Cette machette, je la porte partout. Je suis Peul et je ne m’en sépare presque jamais. C’est une pratique culturelle en milieu peul », répond-il pour se justifier.

Tenace

Pour l’amener à reconnaître les faits, le président et le ministère public le confondent sur certaines déclarations de témoins à qui il a parlé en compagnie de son complice à leur sortie du buisson où la victime a été abattue. « N’as-tu pas dit à Léon Johnson qui allait vers le buisson : ‘’ Il n’y a plus rien là’’ ? », lui demande Marie A. Soudé-Godonou. Et d’ajouter sa déclaration rapportée par Expédit, un autre témoin : « Il est déjà tué dans le buisson du bas-fond ». Malgré toutes ces questions, il est resté sur sa position de ne pas reconnaître les faits. « Mais qui a tué Tagba ? » a insisté l’avocat général et Abdouramane Abdoulaye de répondre : « C’est la population ». « Qui sont ceux qui constituent la population ? » poursuit le ministère public. Toujours dans sa stratégie, l’accusé répond : « Je n’ai vu personne.» Cette réponse relance l’avocat général Christian Atayi pour mieux le traquer : « Pourtant, tu as dit tout à l’heure qu’il y avait une foule de gens quittant le buisson ? » Silence de l’accusé qui a permis au ministère public d’enchaîner : « Fais-tu partie de la population? ». « Oui », répond Abdouramane Abdoulaye. Très décidé à lui arracher un aveu, le ministère public enchaîne à nouveau: « Et où étais-tu quand la population l’a tué ? » Embarrassé à nouveau, le prévenu choisit le silence et refuse même de regarder la photo de la victime à lui présentée par le président, mais contraint, il finit par le faire malgré lui.
Une fois encore, l’accusé sera pris à défaut sur un autre détail concernant l’état de la victime dans le buisson. Selon lui, comme c’était la nuit, il ne voyait pas si la victime était blessée ou non. Ce qui contredit la déclaration du présumé complice Lazare Akouèdègnon, menuisier de la cinquantaine. «Quand on était dans le buisson du bas-fond, on a vu Tagba couché et son corps était couvert de sang», révèle Lazare Akouèdègnon. Il soutient néanmoins n’avoir pas vu Abdouramane Abdoulaye faire usage de sa machette mais qu’il l’a juste suivi dans l’intention de lui porter secours. Il était d’abord alerté par des cris avant qu’Abdouramane vienne le solliciter. Pour lui, la victime aurait été abattue par des gens qui sortaient du buisson pendant qu’eux s’y rendaient.
Convaincu de la culpabilité du bouvier Abdouramane
Abdoulaye, le ministère public requiert contre lui la perpétuité. Dans son réquisitoire, Christian Atayi montre que le meurtre s’est produit dans un contexte de vindicte populaire. Mais l’auteur reste et demeure, selon lui, Abdouramane
Abdoulaye. Mentionnant les éléments constitutifs du crime, il démontre que l’élément matériel réside dans le port de machette et la mort de la victime ; l’élément légal réside dans les articles 295 et 304 du Code pénal qui punissent l’homicide volontaire; et l’élément intentionnel réside dans le fait de viser des parties sensibles du corps de la victime pour donner les coups de manchette. Ainsi, sur la base de l’article 304 du Code pénal, il requiert que la cour le déclare coupable du crime de meurtre et le condamne à la perpétuité.
Quant à Lazare Akouèdègnon, il émet des doutes sur sa complicité et requiert que la cour l’acquitte au bénéfice du doute.

Il y a doute, selon les avocats

Les conseils des deux prévenus cherchent à tirer d’affaire leurs clients en plaidant l’acquittement pur et simple.
Pour Me Alexis Déguénon, son client Lazare Akouèdègnon n’est pas coupable. Soutenant cette thèse, il montre qu’à la lumière des débats, son client s’est révélé plutôt comme témoin du meurtre que comme complice contrairement à ce que tente de faire croire le ministère public. Selon lui, Lazare
Akouèdègnon ne portait pas d’arme et était juste sorti pour porter secours au gardien de bœufs victime de vol. Mieux, son domicile est riverain du buisson où le drame a eu lieu, indique-t-il. « Je vous demande de laver son honneur, de le réhabiliter entièrement. Acquittez-le ! », sollicite-t-il avant d’embrayer sur le cas d’Abdouramane Abdoulaye en faveur de qui il sollicite aussi un acquittement sans être son conseil. A l’en croire, « On ne poursuit pas sur la base des suppositions mais plutôt en se fondant sur des évidences». Rien dans le dossier, dit-il, ne prouve que le client de son confrère est vraiment l’auteur du meurtre.
A son tour, Me Maxime Codo, conseil d’Abdouramane
Abdoulaye, dit d’abord qu’il est surpris des réquisitions du ministère public. Pour lui, en allant sur le terrain de la vindicte populaire, le ministère public ne doit plus trouver de coupable en la personne de son client. Après avoir fait cette mise au point, il tente de présenter une version des faits où son client apparaît comme victime de vol et innocent. Pour ce faire, il exploite certains détails tels que la foule qui aurait commis le meurtre. Il table aussi sur la machette pour soutenir que le port en milieu peul est une pratique ancestrale, donc culturelle. «Abdouramane Abdoulaye n’a pas porté sa machette pour tuer quelqu’un. Il l’a portée comme il est exigé du jeune de l’ethnie fon de s’initier au fâ », démontre-t-il avant de relever des insuffisances relatives au manque de professionnalisme de la police. A ce propos, il se désole qu’après avoir saisi la machette de son client, le jour même du drame, la police n’ait pas pu procéder à une investigation profonde en utilisant des réactifs pour déterminer si la machette porte des traces de sang humain. « Mais cela n’a pas été fait et l’on cherche un coupable qui n’est pas mon client », martèle-t-il ajoutant qu’il s’agit d’une vindicte populaire. Mieux, relève Me Maxime Codo, après avoir donné lecture du certificat d’autopsie de la victime, les plaies n’ont pas la même béance. Ce qui signifie, soutient-il, que plusieurs armes blanches ont servi à causer des blessures à la victime jusqu’à ce qu’il meure. «C’est la vindicte populaire », martèle Me Maxime Codo, mine serrée, ajoutant que dans le dossier aucun élément objectif n’accable son client pour qu’il soit condamné. « L’innocence, l’innocence, elle n’a point de bouche. Elle ne peut pas parler », lance-t-il pour toucher la sensibilité de la cour.

Les faits

Courant novembre 2011 au quartier Fiyégnon 2 à Cotonou, Mathias Kpatindé Ada dit Tagba aurait été surpris en flagrant délit de vol d’un veau dans le troupeau gardé par Abdoudramane Abdoulaye. Il a été pris en chasse par ce dernier qui appela la population au secours. Ainsi, Abdoudramane Abdoulaye a été rejoint par Lazare Akouèdègnon. Et ensemble, ils ont poursuivi Mathias Kpatindé Ada dit Tagba dans un buisson où ils lui ont porté plusieurs coups de machette jusqu’à ce qu’il rende l’âme, avant l’arrivée d’autres personnes alertées par les cris.
Interpellés et inculpés pour meurtre et complicité de meurtre, Abdoudramane Abdoulaye et Lazare Akouèdègnon n’ont reconnu les faits ni à l’enquête préliminaire ni devant le juge d’instruction.


Réplique et sentence

Cette façon de voir les choses suscite la réplique de l’avocat général. Christian Atayi dira : «La vindicte populaire ne signifie pas qu’il n’y a pas d’auteur. Elle signifie plutôt qu’une sanction a été infligée en dehors de la justice ».
Dans son verdict, la cour a déclaré le nommé Abdouramane Abdoulaye coupable d’avoir volontaire commis un homicide sur la personne de Mathias Kpatindé Ada dit
Tagba, crime prévu et puni par les dispositions légales dont les articles 295 et 304 du Code pénal, puis le condamne à 12 ans de travaux forcés. Ayant passé près de six ans et demi en détention, il retourne en prison pour y purger le reste de sa peine. Quant à Lazare Akouèdègnon, il a été déclaré non coupable de complicité de meurtre et a été acquitté purement et simplement au regard des articles 360 à 363 du Code de procédure pénale. Ainsi, la cour a ordonné qu’il soit immédiatement libéré s’il n’est retenu pour autre cause.
Sur ce verdict, l’audience a été suspendue et reprend ce lundi 14 mai avec le vingt-septième dossier dont le prévenu est poursuivi pour vol aggravé et incendie volontaire?

Composition

Président : Marie A.
Soudé-Godonou

Assesseurs : Freddy
Yèhouénou et Richard Paul Adéola da-Matha

Jurés : Pierre Magloire
Nagnonhou ; Pélagie Lokossou; Gaston Adékambi et Mariette Ahouansou

Ministère public : Christian Atayi
Greffier : Bernard Zinhomédé