La Nation Bénin...

La cour d’assises de la cour d’appel d’Abomey a connu du cinquième dossier inscrit au rôle de sa première session, vendredi 18 mai dernier. Il s’agit d’une affaire de meurtre commis par Catherine Sambiéni sur sa coépouse Elisabeth Sabi. La cour condamne l’accusée à 10 ans de travaux forcés.
C’est avec les larmes aux yeux que Cathérine Sambiéni, 36 ans, accueille le verdict de la cour qui a statué sur son affaire. Elle écope de dix ans de travaux forcés pour avoir tué avec un coutelas de cuisine sa coépouse Elisabeth à la suite d’une bagarre anodine qui s’est produite en mai 2012. Elle avait un bébé de 4 mois quand le drame se produisait. Elle est en détention depuis 2012 avec son bébé Moussa âgé aujourd’hui d’un peu moins de 7 ans. Un enfant qui a grandi en prison sur les bras de sa mère. Et qui y passera certainement quatre années encore. Triste sort qu’est celui de cet enfant qui subit le destin de sa mère. Triste réalité, car le droit ne s’accommode pas de la compassion : dura lex sed lex.
Tout part du gaspillage du gari
Debout à la barre, Catherine, corpulence bien frêle, est visiblement bien loin d’être un personnage digne d’un crime. On ne la croirait pas capable de tuer un cafard. Et pourtant, c’est bien elle qui a tué sa coépouse avec un coutelas, il y a six ans. En comparaissant devant la cour, vendredi dernier, Catherine est revenue sur les circonstances du drame. En répondant aux questions de la cour sur les mobiles et conditions du déroulement de la dramatique scène. En effet, tout semblait parfait, ce 8 mai 2012 dans le ménage d’Emile Kouagou, 38 ans, à Idadjo dans la commune de Ouèssè. Celui-ci avec ses quatre épouses. Catherine est la seconde et Elisabeth, la troisième. Pour le repas de famille de la soirée, Catherine a la charge de la pâte et Elisabeth prépare la sauce. En voulant servir la pâte dans les assiettes, Catherine constate qu’un bol traînait avec un résidu de gari (farine de manioc). Aussitôt, elle interpelle Elisabeth, la troisième épouse, sur le gaspillage alimentaire. Une dispute éclate entre les deux coépouses qui, ivres de colère, en viennent aux mains. Des coups de griffes dans tous les sens et des cris stridents qui s’emparent de ce foyer polygamique que tout le monde croyait heureux.
Non satisfaite de ses performances au cours de ce challenge entre les deux, Catherine reconnaît s’être momentanément détachée d’Elisabeth pour aller chercher un coutelas à la cuisine. « En réalité, je voulais juste l’effrayer ou la blesser », confie-t-elle. Pourtant, c’est bien ce coup de couteau qui sera mortel pour la coépouse Elisabeth. La cour veut savoir pourquoi, aller chercher un couteau si l’adversaire a les mains nues ? Y avait-il une querelle entre les deux ? « Non ! » répond l’accusée qui reconnaît qu’il n’y avait jamais eu de dispute entre elles.
Elle courtise les femmes pour le mari
Toutefois, les débats permettront de comprendre que la seconde épouse Catherine avait l’habitude de courtiser des femmes pour son mari. Si le mari a envie de mettre une nouvelle femme dans son lit, c’est bien à Catherine qu’il se confie et qui mène les démarches. Elle déclare avoir été plusieurs fois missionnée par son mari dans ce sens. Mais à sa grande surprise, elle n’a pas été informée de l’arrivée de la troisième épouse qu’est Elisabeth.
La cour a voulu savoir si le fait que le mari ne l’ait pas associée avant d’épouser Elisabeth n’a pas suscité un certain mécontentement chez Catherine ? Celle-ci répond non et explique que tout se passait très bien à leur niveau sans aucune animosité. Elle ajoute que le jour de la bagarre, elle avait juste l’intention de rappeler sa coépouse à l’ordre face au gaspillage noté en ce qui concerne les aliments de la famille. C’est ainsi que la dispute a commencé pour dégénérer en bagarre ayant conduit à la mort d’Elisabeth. « Depuis que je suis en prison, j’ai des remords suite à ce qui s’est passé », regrette-t-elle.
La vie est sacrée !
« Pas vrai ! », rétorque le ministère public représenté par Edwige Tangni. « Si la victime pouvait revenir de la mort vous parler ?...» poursuit-elle. En prenant ses réquisitions, elle indique que chacun connaît les faces cachées du mariage polygamique. « La polygamie n’est nullement à célébrer », dira-t-elle en ajoutant que les méfaits de cette forme de mariage ne sont plus à démontrer dans notre société. Et malheureusement, la mort d’Elisabeth Sabi en est une preuve. Une évidence donc ! « Et la responsable de cette mort est bien l’accusée Catherine », lance à la cour l’avocat général en rappelant l’article 8 de la Constitution du Bénin qui stipule que : « La vie humaine est sacrée ». Et, quiconque la viole doit subir la rigueur de la loi. En la matière, le Code pénal en ses articles 295 et 304 doivent être retenus contre l’accusée. Puis, pour l’avocat général, les éléments légal, matériel et intentionnel sont bien réunis dans ce dossier. La matérialité de l’infraction est indiquée par la nature du coup et l’endroit où il a été porté, près du cou ainsi que la profondeur de la plaie faite par un couteau. Quant à l’intention, elle réside dans la volonté de donner la mort. « Quitter une bagarre qui se fait à main nue pour aller prendre un couteau, porter le coup mortel et fuir sont des éléments qui démontrent l’intention de l’accusée de donner la mort à sa coépouse », renchérit Edwige Tangni qui enchaîne avec l’élément légal. Elle indique à la cour toutes les pièces médico-légales du dossier. Le certificat de décès de la victime qui indique par ailleurs les marques de blessures que portait le corps de la victime. Pour punir un tel acte, l’avocat général requiert 15 ans de travaux forcés contre l’accusée.
« C’est exagéré ! » dira Me Enosch Chadaré qui défend l’accusée. Selon lui, il s’agit d’un drame familial. Une dispute entre coépouses qui a dégénéré. Et, rappelle-t-il, « L’accusée a dit qu’elle voulait juste faire peur ou blesser sa coépouse ». Me Chadaré demande à la cour de requalifier les faits. Selon lui, « Il s’agit de l’infraction de coups mortels et non de meurtre. Nullement, Catherine n’avait l’intention de donner la mort ». Puis, il relate à la cour les conditions de vie de l’accusée qui a à charge un enfant avec qui elle vit en prison depuis six ans. Il s’agit du petit Moussa. Rejetée par la famille, elle est seule avec l’enfant en prison et le père n’est jamais allé les voir. Elle est obligée de se débrouiller en prison pour ses besoins et ceux de son enfant. Me Chadaré demande à la cour de la condamner à 6 ans de travaux forcés, le temps déjà passé en prison afin de permettre au petit de recevoir une bonne éducation.
A la suite de la défense, le ministère public reprend la parole pour rappeler que « le droit ne s’accommode point avec la compassion » et que « l’accusation de meurtre est bel et bien fondée ».
Après une suspension, la cour revient pour délibérer. Elle condamne l’accusée Catherine Sambiéni à la peine de 10 ans de travaux forcés. Elle n’a pas requalifié les faits. Elle a fondé sa décision sur, entre autres, les articles 295, 304 alinéa 4, 361, 826 à 833 du Code pénal.
Les faits
Le nommé Emile Kouagou, cultivateur, vit dans une ferme à Sinlin. village Idadjo, arrondissement de Gbanlin, commune de Ouèssè, ensemble avec ses quatre épouses. Le mardi 8 mai 2012 aux environs de 20 h, une dispute s'est déclarée entre les coépouses Elisabeth Sabi et Catherine Sambiéni, sur l'utilisation abusive du gari fourni par leur mari. Cette dispute dégénéra en bagarre au cours de laquelle Catherine Sambiéni, à coup de couteau, poignarda Elisabeth Sabi à hauteur de la clavicule gauche. Celle-ci rendit l'âme sur place. Aussitôt après son forfait, Catherine Sambiéni prit la clé des champs. Elle sera retrouvée le lendemain dans une ferme voisine dénommée « Petit Paris ».
Interpellée et inculpée de meurtre, elle a reconnu les faits. Son casier judiciaire ne porte mention d'aucune condamnation antérieure. L'enquête de moralité lui est favorable et, selon les conclusions de l'expert psychologue, elle ne présentait pas, au moment des faits, des troubles psychologiques et psychiatriques pouvant avoir d'incidences sur son comportement n
Composition de la Cour
Président : Henri Fadonougbo
Assesseurs : Armand Gounon, David Anani
Jurés : Albert C. Guèdègbé, Paul Glèlè Datéga, Marguerite H. Kossou, Romain Togni
Ministère public : Edwige Tangni
Greffier : Olga Houéto Aloukou