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Micheline Gbèha, première Béninoise docteur en mathématique:«La réussite est le résultat du travail assidu»

Société
Par   Maryse ASSOGBADJO, le 18 mars 2015 à 06h30

Docteur en mathématiques et directrice de l’Ecole normale supérieure de l’Enseignement technique de Lokossa (ENSET), Micheline Gbèha prêche pour l’avenir des mathématiques. C’est cette qualification qui lui a valu le poste de conseillère au Conseil économique et social (CES).

La Nation : Vous êtes la première femme béninoise à être titulaire du grade de docteur en mathématiques. Cette discipline est-elle faite pour tout le monde ?

Micheline Gbèha : Etre titulaire d’un grade supérieur est la chose la plus naturelle qui soit. Je n’en fais aucunement la grosse tête. Les gens ont des préjugés sur les matières scientifiques, notamment sur les mathématiques. Je dirai peut-être que c’est un don pour moi. Mais, ne devient pas mathématicien qui veut. Il faut travailler assidûment si l’on veut en faire une carrière.
Rien n’est facile dans la vie. Toute personne possède des aptitudes et tout le monde fait les mathématiques sans le savoir. Le reste c’est la manière avec laquelle on s’y met. Ce qu’il y a pour les mathématiques c’est qu’il faut beaucoup s’exercer.

Il est souvent dit que les mathématiques sont faites pour les têtes bien faites ?

Sourire ! C’est vrai que cela paraît parfois comme un don. Mais avec une ferme volonté ou le travail assidu, l’on s’en sort toujours. Il faut simplement l’adopter. A mon avis, la médecine est plus difficile que les mathématiques.

Vous êtes une mathématicienne très respectée aujourd’hui, Comment mettez-vous vos compétences au profit de votre pays le Bénin ?

J’ai eu l’idée de créer de petits groupes afin d’aider les jeunes filles à embrasser les séries scientifiques. Nous ne sommes qu’un nombre restreint de femmes mathématiciennes en Afrique. Il y a deux ans à Cape Town en Afrique du Sud, nous avons mis sur pied une association des femmes mathématiciennes africaines. Sur le continent, nous ne dépassons pas trente.
L’Institut de Mathématiques et de Sciences physiques organise les olympiades en mathématiques couronnées depuis quelques temps par le concours ’’miss mathématiques et sciences physiques’’. Ce sont de petits tests auxquels sont soumises les jeunes filles qui aiment les mathématiques. Ces initiatives sont assez suffisantes pour inciter un plus grand nombre de jeunes filles aux sciences exactes, notamment les mathématiques. Le reste pour moi, sera de partager le savoir et de prodiguer au besoin des conseils aux jeunes filles en vue d’une bonne orientation.

En dépit de toutes les initiatives pour donner le goût des mathématiques aux jeunes filles, on note encore un désintéressement de celles-ci. Quel est le problème qui se pose réellement à ce niveau ?

Il n’y a pas de hasard en mathématiques. Seuls ceux qui réussissent sont ceux qui se lèvent tôt. Le plus important pour les élèves sera de faire leurs exercices au jour le jour. Quand ils sentent qu’il y a des zones d’ombre dans un cours, c’est de tout faire pour lever l’équivoque. Car les mathématiques sont une continuité. Dès que la base est faussée, il est difficile de se rattraper plus tard. Il faut au fur et à mesure maîtriser chaque notion pour pouvoir évoluer. Je dirai aux jeunes filles de bien s’y accrocher, parce qu’au bout du travail, il y a toujours le réconfort.

Cela ne dépend-il pas aussi des enseignants ?

Je n’ai pas rencontré de difficultés majeures sur ce point. A chaque enseignant, correspond une méthode d’enseignement spécifique. Il suffit d’être à l’écoute des étudiants et d’associer à la rigueur, la patience et la douceur. C’est de cette manière qu’un enseignant peut créer l’amitié entre ses apprenants et lui. A vrai dire, je ne fais aucun effort sur ce plan. Cela doit être naturel. Tant mieux !

Quel est l’utilité des mathématiques dans la vie d’un homme ?

On ne peut pas définir d’emblée l’utilité des mathématiques car tout le monde les fait dans la vie sans le savoir. Tous les domaines d’intervention sont guidés par les mathématiques. C’est une discipline transversale à toutes les autres. L’importance des mathématiques n’est plus à démontrer. Les mathématiques guident aussi le monde, car le monde est rationnel et tout être humain fait toujours appel à sa raison lorsqu’il se retrouve devant des situations.

Est-ce à dire qu’en tant que mathématicienne, vous êtes une personne assez correcte ?

Les gens disent souvent que la vie n’est pas mathématique. Il ne faut pas être trop carré. Une chose est d’aimer les mathématiques, l’autre aussi est de considérer la vie telle qu’elle se présente. Tout est une question de logique. On ne tient pas trop la vie comme les mathématiques, mais dans les faits et gestes et dans les raisonnements d’un mathématicien, on note toujours une ‘’logique mathématique’’ qu’il faut assouplir.

En tant que personne ressource, quels conseils avez-vous à prodiguer aux jeunes générations notamment les filles pour qu’elles embrassent les séries scientifiques?

Dans une certaine mesure, on note un désintéressement des mathématiques par les jeunes. Nous continuerons par jouer notre partition en vue d’avoir un plus grand nombre. Mais au-delà de tout, les jeunes doivent donner la priorité au travail bien fait. Il suffira pour eux de se programmer, de se planifier et de savoir définir leur priorité.
De plus en plus, on dit des jeunes filles qu’elles prennent les mathématiques à la légère, qu’elles ne prennent plus conscience d’elles-mêmes. Moi je ne partage pas entièrement cet avis. Je constate plutôt qu’elles affichent une volonté d’évoluer, qu’elles veulent tenir jusqu’au bout comme les hommes. Je suis très enthousiasmée lorsque les filles occupent les premiers rangs. Et c’est pour cette raison que je ne rate aucune occasion lorsqu’il faut les encourager à aller dans ce sens.

Quelles sont vos perspectives d’avenir

Dans l’enseignement supérieur, ce sont les grades qui comptent pour nous. Le seul grade de doctorat n’est pas encore suffisant. Dans le corps des enseignants, il faut gravir des échelons. Lesquels sont entre autres, la maîtrise d’assistanat, la maîtrise de conférence et la titularisation. Je suis au premier pallier, je suis maître assistante à l’université. Je pense poursuivre mes recherches afin d’évoluer en grade. C’est vrai que pour une femme, ce n’est pas toujours facile, s’il l’on doit tenir compte de certaines contraintes. Mais ce n’est pas impossible. C’est une conviction personnelle et je compte également que c’est de cette manière que je serai une référence et un exemple pour la jeunesse.
J’ai remarqué que beaucoup de mes promotionnaires ont tôt fait d’abandonner les bancs, après avoir connu un ou deux échecs au Baccalauréat. Elles n’ont pas pu tenir jusqu’au bout. Pour celles qui ont poursuivi, elles sont devenues pour la plupart des institutrices à la retraite aujourd’hui. Pour la petite histoire, j’ai été au Baccalauréat quatre fois avant de réussir. Etant donné que j’ai opté pour une série scientifique je n’avais d’autres priorités que les études. Je suis restée fidèle à mon choix jusqu’à l’obtention de ma maîtrise et de mon doctorat en 1997 dans l’ex-Union soviétique.