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Pour tentative de meurtre de sa concubine :Frédéric Sacha condamné à 7 ans de travaux forcés (7e dossier)

Société
Par   LANATION, le 18 mars 2015 à 05h46

C’est d’une affaire de tentative d’assassinat que la cour de céans a connue, hier mardi 17 mars. Les jurés Bouraïma Kochégbé, Bernardin Narcisse Marcos, Kuessi Antoine Hossou, Jean-Baptiste Damado et Firmin Gankpa (suppléant) siégeaient aux côtés de Nicolas Pierre Biao (président), Marie Adjouavi Soudé-Godonou et Wilfried Araba (assesseurs). Bienvenu Prosper Djossou officiait comme avocat général et Julien Tiamou tenait la mémoire de l’audience.

Témoins et partie civile absents à l’ouverture du procès, la religion de la cour allait-elle se faire sur la base des seules déclarations de l’accusé et des informations des pièces du dossier ? Pour Max d’Almeida, conseil de l’accusé, il ne conviendrait pas de vider une affaire aussi cruciale que la tentative d’assassinat en l’absence de la victime et des témoins ; leur présence devant permettre de confronter les versions pour en tirer la vérité des faits, soutient l’avocat. Pour qui la caractéristique essentielle de la Cour d’assises, c’est l’oralité. La cour de céans fait observer que ce n’est pas la première fois que des parties au procès, dûment convoquées, manquent à l’appel… mais qu’elles pourraient venir d’un moment à l’autre. Ce qui se vérifia puisque Marie-Claire Sacha (la jeune sœur de l’accusé) et Epiphane Gbègbé, le chef village Glo-centre, feront bien leur entrée dans le prétoire.

Quelle affaire !

Frédéric Sacha, tradi-thérapeute de son Etat, c’est l’accusé du jour. A l’évocation de son nom par le président de la cour de céans, cet ancien militaire répond présent, assis sur le banc des accusés, l’index droit rigoureusement pointé vers le ciel. La cinquantaine, il se porte à la barre, soutenu par deux béquilles. C’est qu’il est amputé de la jambe droite. La cour l’autorise à s’asseoir sur une chaise. Quand le président lui demande s’il sait pourquoi il comparaît, il répond par l’affirmative, soutient que c’est l’œuvre du diable. Mais aussi la volonté de Dieu, autrement rien ne serait arrivé, pas même l’accident qui lui a coûté sa jambe droite.
Les faits qui fondent son renvoi devant la Cour d’assises, renseignent qu’il est un tradi-thérapeute ayant offert de prodiguer des soins à l’enfant de dame Gabrielle Edith Mèhinto. Mais au cours du traitement, il fut victime d’un accident de la circulation ayant occasionné l’amputation de l’une de ses jambes. Pour continuer à prodiguer les soins à la malade, il proposa que l’enfant malade vienne habiter chez lui. Edith, avec la permission de son mari, alla s’installer au domicile de Frédéric pour être au chevet de sa fille. Mais sept mois après, la fille décéda et malgré toutes les tentatives d’Edith pour rejoindre son domicile conjugal, Frédéric s’y opposa, allant des fois jusqu’à proférer des menaces de mort et à user d’intimidation pour la contraindre à rester avec lui. Edith devint ainsi la concubine de Frédéric qui s’opposait formellement à tout contact entre elle et son ancien mari. Il soupçonnait celle-ci de continuer à voir secrètement son ancien mari à qui, selon lui, elle envoyait souvent à manger. Ils en étaient là, Edith supportant tant bien que mal les scènes quotidiennes de jalousie de Frédéric, quand dans la nuit du 24 au 25 juin 2012, Frédéric se saisit de son arme à feu de fabrication artisanale et tira sur Edith. Celle-ci reçut les projectiles au niveau des jambes et sur les parties génitales. Il rechargeait son arme pour tirer à nouveau sur sa victime lorsque Francis Akotohoto Alapini, le fils de la victime, réussit à le désarmer. Edith fut transportée d’urgence à l’hôpital de zone d’Abomey-Calavi pour les premiers soins. A l’enquête préliminaire comme devant le magistrat instructeur, Frédéric a reconnu les faits mis à sa charge mais avec beaucoup de variations. Le bulletin N°1 de son casier judiciaire ne porte mention d’aucune condamnation mais l’enquête de moralité lui est très défavorable. L’expertise médico-psychologique et psychiatrique suggère qu’au moment des faits, aucune lésion mentale objectivable pouvant abolir le contrôle de ses actes n’a été repéré.

Que de bizarreries !

Lui, soutient qu’il connaissait dame Edith Mèhinto avant son accident et avait son contact, et que rentré de son village, il l’a appelée. C’est en le voyant dans son état post accident qu’elle le prend en pitié, lui fait savoir qu’elle envisageait déjà de divorcer de son mari et qu’elle entendait désormais s’établir avec lui, afin d’en prendre soin. Les questions de la cour finissent par incliner celui qui disait avoir connu cette dame alors qu’il était conducteur de taxi-moto (zémidjan), à reconnaître qu’il officiait comme guérisseur traditionnel, qualité qui lui a permis d’avoir à soigner Prisca, la fille de dame Edith Mèhinto au domicile de ses géniteurs, laquelle proposera plus tard, n’ayant plus d’argent pour supporter les frais, que sa fille vienne s’installer chez lui pour y recevoir les soins. Pourtant, reconnaît-il, il la savait mariée. Finalement, Prisca décédera et son père, informé, passera chercher son corps le lendemain, l’implorant de l’aider à enterrer la dépouille chez lui, car elle est le troisième enfant que sa tante lui tuait par des pratiques occultes. Lui aurait donc enterré le cadavre dans sa propre chambre… Soit, admet la cour. Mais pourquoi, après ce drame, dame Edith Mèhinto n’est-elle pas retournée auprès de son mari ? Au regard des souffrances qu’elle a endurées, elle aurait décidé de s’établir avec lui, attendant qu’il touche sa prime d’assurance pour l’accident subi, et qu’ils puissent refaire leur vie… Cet argent, Frédéric dit qu’il s’en est servi pour améliorer son logis, construisant en dur, et remettant un reliquat de 800 000 FCFA à Edith pour son commerce.
S’agissant de la nuit du drame, Frédéric martèle que c’est un accident. Qu’ayant reçu préalablement la visite de trois voleurs, il pensa à eux cette nuit-là en entendant, en pleine nuit, les grognements de ses cochons, et en croyant apercevoir deux silhouettes dans la porcherie, alors que c’est sa femme Edith qui était là. Il s’en rendra compte à son cri de détresse, suite à l’impact de la balle sur son corps. C’est alors que, soutient Frédéric, il a réveillé les enfants et envoyé l’un d’entre eux appeler un zémidjan pour la transporter à l’hôpital… A l’enquête préliminaire, il déclarait avoir eu des rapports sexuels avec sa femme deux fois cette nuit-là avant de s’endormir profondément à ses côtés au salon. Et la cour de lui demander, si à son réveil après 1h du matin et suite au bruit insolite venant de dehors, comme il le prétend, il s’est préoccupé de savoir où était la femme. Il admet alors qu’il aurait dû vérifier dans les chambres avant de s’emparer de son fusil, qu’il fait poser à côté de sa couche toutes les nuits. Cette femme, qu’il considère comme son seul espoir, il réprouve son penchant pour l’eau de vie locale (sodabi) et le lui interdit. Ce qu’elle ne semblait pas disposée à comprendre. Il ressort pourtant du dossier que lui-même en est amateur, autant que de cigarettes ou d’opium. Il assure avoir arrêté depuis.

Faux, faux, faux !

Les pièces du dossier indiquent aussi, lui signale le président, qu’il lui reprochait de continuer à faire à manger à son ex mari. Faux ! assène-t-il, autant que s’agissant d’un prêt qu’il aurait contracté auprès d’elle et qu’il n’a pas cru devoir rembourser quoiqu’ayant perçu ses primes d’assurance. Mais n’a-t-il pas confié au fils aîné d’Edith, les autres enfants de cette dernière ainsi que leur père ayant entre-temps rejoint son domicile, qu’il finirait par tuer sa mère avant de se donner lui-même la mort ? Nenni, oppose-t-il. Cette femme, il l’aimait parce qu’elle lui a redonné vie en prenant soin de lui dans sa détresse. Trop de bizarreries apparaissent à la cour dans cette affaire. Elle ne comprend pas pourquoi, ni comment il accepte qu’on enterre le cadavre de Prisca chez lui, ni comment, comme il le soutient, l’ex mari de sa concubine est venu s’installer chez lui. Que s’il doit y dormir, lui Frédéric lui cède le lit conjugal pour aller dormir auprès de ses fétiches, alors que ce même homme lui aurait laissé la femme sous prétexte d’adultère et parce qu’elle ne pouvait plus retourner chez lui… Tout ceci se faisait-il naturellement ou mettait-il à contribution lesdits fétiches ? Il assure ne pas pouvoir dire, si dans la situation qui était la sienne, les fétiches étaient à l’œuvre. Tout comme il nie à la barre être militaire contrairement à ses affirmations à l’enquête préliminaire ; mais reconnaît s’être déjà servi du fusil de son oncle pour chasser, notamment au Nigeria. Des réponses faites sur un ton qui a eu l’art d’arracher des rires réguliers à l’assistance. Habitué au maniement du fusil, il n’aura aucune gêne à montrer à la cour, le fusil placé sous scellés lui étant remis, comment il s’est positionné pour viser la cible. Mais, rassure-t-il, croyant avoir à faire à un voleur, il visait la jambe afin de l’immobiliser pour le remettre ensuite aux forces de l’ordre. Version qui ne convainc pas la cour. Elle lui rappelle qu’il a déclaré, devant le juge d’instruction, savoir que c’était bien son épouse qui sortait discrètement de la chambre. Et que la soupçonnant d’infidélité, il n’a pas pu se retenir de lui tirer dans les jambes. Frédéric ne s’y reconnaît pas. Pas plus que dans les propos selon lesquels il aurait dit à Edith qu’il lui a tiré dans les jambes parce qu’il ne voulait pas lui donner la mort, et pour qu’elle le sût afin de ne plus recommencer. Encore moins dans une quelconque tentative de tir sur sa propre mère.
La déposition de Marie-Claire Sacha renseigne la cour que Frédéric est quelqu’un de sévère, qui s’énerve parfois comme s’il ne possédait pas toutes ses facultés. Mais elle se dit surprise qu’il ait tiré sur sa femme. Pourtant, reconnaît-elle, cette dernière était allée se plaindre à elle de la menace de son frère, qui lui promettait de lui tirer dessus. En guise de conseil, elle lui avait alors répondu qu’il en est capable car il ne se possède pas.
Quant à celle d’Epiphane Gbègbé, il fait savoir que l’accusé disait reprocher plein de choses à sa femme, notamment qu’elle sortait sans son autorisation. Et que sa petite enquête autour de la personne de l’accusé lui a permis de savoir qu’il avait l’habitude de vouloir régler ses différends au fusil… D’où il déduit qu’en prétextant tirer sur un voleur, Frédéric ment, surtout qu’il ne s’est jamais plaint du moindre cas de vol, et qu’il n’élève aucunement des cochons, contrairement à ses allégations. D’ailleurs, la déclaration de la victime à l’enquête préliminaire, lue à l’audience incline à croire que c’est à l’intérieur du bâtiment que l’accusé a tiré sur elle, après lui avoir dit qu’il la tuerait avant de se suicider ensuite, et alors qu’elle tentait de s’enfuir. Mais renseigne aussi que Frédéric ne lui a jamais fait de reproche sur le fait qu’elle fréquente d’autres hommes…

Faut-il le croire ?

Frédéric a-t-il vraiment voulu assassiner Edith ? C’est la conviction de l’avocat général. Qui relève que l’accusé soupçonnait régulièrement sa concubine d’adultère. Que, s’il n’a pas réussi à tuer Edith cette nuit-là, à 1h du matin alors que tout le monde dort, ce n’est point parce qu’il ne l’a pas voulu mais parce que son dessein n’a pas prospéré car il a minutieusement préparé son acte, et s’est bien résolu à en finir avec elle. Pour Julien Tiamou, c’est le fils de la victime qui a réussi à arracher l’arme à Frédéric. Lequel, a reconnu à l’enquête préliminaire qu’il n’a pu se retenir, s’est rétracté à la barre, insinuant que ses déclarations lui ont été extorquées. Trouvant une similitude entre les versions de l’enfant et du chef village, Julien Tiamou conclut que l’accusé n’a même pas manifesté la volonté d’aider sa victime blessée, signe de sa détermination à en finir, ce que ne saurait effacer la dénégation systématique qu’il a affichée à la barre. Au contraire, le fait que l’arme du crime trône tout le temps à ses côtés est perçu comme un indice de sa volonté d’attenter à la vie de la victime, relève l’avocat général. Ainsi l’accusé a certainement agi par jalousie, en visant notamment le sexe de sa victime comme pour tout gâter, elle qui d’après lui sort trop sans son autorisation, retient Julien Tiamou. Tout ceci prouvant à suffire qu’il connaît le maniement des armes, même s’il soutient finalement, contrairement à des déclarations antérieures, qu’il n’est pas un ancien militaire.
Au total, l’avocat général est convaincu de la culpabilité de l’accusé. Il bat en brèche, par avance, les thèses de légitime défense, de tentative de coups mortels, et requiert que la cour condamne Frédéric à la peine de 15 ans de travaux forcés.
Avis contraire de Me Max d’Almeida. Pour l’avocat de l’accusé, la justice n’est pas la vengeance. Mettant l’accent sur la fragilité de l’accusé, consécutivement à son accident, il met en doute qu’il ait planifié d’attenter à la vie de sa compagne Edith. Relevant que Frédéric a, d’après les constances du dossier, toujours son arme à côté, qu’il a été chasseur, Max d’Almeida retient que le plan ourdi avec froideur, soutenu par l’avocat général, n’est qu’imaginaire. Il est par contre d’avis avec le ministère public que la jalousie est bien en cause dans ce dossier, son client ne supportant certainement pas sa nouvelle condition et supportant encore moins que l’ex, le rival, vienne toujours roder. Dans un tel état, l’homme peut basculer rapidement, soutient-il, insistant pour convaincre la cour que Frédéric n’est pas ce criminel que l’on a dépeint. Mieux, s’il a bien tiré, il n’a pas visé les parties vitales mais les jambes…En clair, en présence de passion, de colère, il faut écarter la préméditation conseille Max d’Almeida, convaincu cependant que son client mérite punition. Mais pour coups et blessures volontaires plutôt. Aussi plaide-t-il la disqualification du chef d’accusation de tentative d’assassinat en coups et blessures volontaires, et implore-t-il le pardon de la cour. Pardon que lui a sans doute déjà accordé Edith, qui l’aime beaucoup et qui est allée le voir plusieurs fois en prison. Pardon pour cet homme qui, craintif, s’emmure dans un système de dénégation, pas par souci d’échapper à la punition, mais plus par peur. C’est pourquoi Max d’Almeida en appelle à une extrême clémence de la cour à l’égard de son client. Lequel, appelé à se prononcer en dernier, y va de sa demande de pardon aussi. Seront-ils entendus ?
La cour, dans le secret de son délibéré, a retenu que Frédéric Sacha est plutôt coupable de tentative de meurtre, les faits ayant été disqualifiés, et l’a condamné à la peine de 7 ans de travaux forcés ainsi qu’aux frais de justice, la durée de la contrainte par corps étant fixée à trois mois.
Mis sous mandat de dépôt depuis le 27 juin 2012, il retourne donc en prison pour un peu plus de cinq ans encore