La Nation Bénin...
Un décalage existe entre les besoins des
entreprises et les enseignements dispensés par les écoles supérieures qui ne
formeraient pas suffisamment les étudiants au monde du travail. De nombreuses
initiatives en faveur du rapprochement, comme le développement des stages et
cursus en alternance des formations de plus en plus innovantes, sont
expérimentées et font florès. Une option désormais faite par Etienne Yèhoué,
professeur de finance, après des années de recherche et d’enseignement dans les
universités de Harvard, Georgetown et l’Institut du Fmi. Entretien …
La Nation : Enseignant dans des universités américaines et expert au Fonds monétaire international (Fmi), vous êtes à l’initiative de la Fondation Etienne Baba Yèhoué qui s’investit dans la formation en alternance en faveur de jeunes bacheliers. En quoi consiste la formation en alternance que vous expérimentez au Bénin, votre pays d’origine ?
Prof Etienne Yèhoué : J’ai constaté que ces dernières années, il y
a en moyenne, cinquante mille nouveaux bacheliers qui viennent sur le marché
chaque année. Ce phénomène de flux important de nouveaux bacheliers n’est pas
propre au Bénin ni à l’Afrique ; il s’observe un peu partout dans le
monde. Toutefois, les structures universitaires que nous avons en place ici ont
des capacités relativement limitées pour offrir des conditions optimales
d’étude à tout ce flux de nouveaux bacheliers. De façon spécifique, chaque
année, les structures existantes absorbent environ 35 à 40 mille et il reste un
résidu d’environ 10 à 15 mille presque laissés pour compte. Beaucoup d’entre
eux sont des auditeurs libres et ne sont enregistrés dans aucune faculté et du
coup, ils ne font aucun examen en fin d’année. Un certain nombre d’entre eux
deviennent même des cybercriminels et j’ai trouvé que c’est un phénomène qui
mérite d’attention. Là, il faut trouver un mécanisme pour les prendre en
charge. Face à des situations similaires de flux important de nouveaux
bacheliers et aussi pour renforcer l’adéquation formation et emploi, les pays
avancés ont mis en place le mécanisme de formation en alternance financé par
les entreprises. C’est-à-dire que les entreprises recrutent des jeunes
bacheliers qui étudient et en même temps travaillent. A la fin, ils ont une
formation académique et professionnelle qui facilite leur insertion. Ici, il va
falloir compter sur les entreprises mais c’est un peu difficile puisque la
culture de responsabilité sociale d’entreprise est limitée, ce qui fait que
développer la formation en alternance devient difficile. De mon côté, j’ai créé
une fondation appelée la ``Fondation Etienne Baba Yèhoué d’aide à la jeunesse
et pour le développement du numérique’’ qui essaie de suppléer au financement
des entreprises. C’est-à-dire que nous mettons à disposition des fonds pour
aider au financement des étudiants qui n’arrivent pas à être absorbés dans les
structures ordinaires. Pour mettre en place ce mécanisme, nous avons noué un
partenariat avec un institut universitaire qui accepte faire la formation en
alternance que nous allons financer, à notre niveau. De façon concrète, les
jeunes bacheliers qui, pour une raison ou une autre, n’ont pas les moyens pour
payer leurs formations universitaires viennent sur étude de dossiers, suivent
les cours pendant trois mois. A partir du 4e mois, nous avons négocié avec les
entreprises afin qu’ils puissent être mis en stages rémunérés, tout en
continuant également leurs études. Certaines de ces entreprises n’ont pas les
moyens pour financer mais la fondation intervient et supplée au financement.
Elle garantit un payement mensuel à tous les jeunes bacheliers allant de 50
mille à 100 mille francs Cfa. L’étudiant utilise une partie de son revenu pour
payer sa scolarité et l’autre partie pour subvenir à ses besoins. Nous pensons
qu’à travers ce mécanisme, nous pouvons aider ces bacheliers à se faire former
non seulement académiquement mais aussi professionnellement.
Que gagne la fondation en initiant ce projet ?
Une fondation n’est pas créée pour se faire de
l’argent. Elle a une responsabilité sociale. A travers cette fondation, je
viens aider les jeunes gens qui n’arrivent pas à être absorbés dans les
structures universitaires existantes. Il y a quelques années, j’ai aidé à la
mise en place d’une structure de formation ; et j’ai constaté qu’il y en a
qui ont le baccalauréat mais qui n’arrivent plus à poursuivre leurs études
universitaires. C’est quelque chose qui m’a vraiment choqué et je me suis
demandé ce qu’il faut faire pour eux. J’ai creusé et j’ai constaté qu’il y a un
flux de 50 mille bacheliers sur le marché chaque année. Quand vous regardez les
capacités de nos universités, ce n’est pas évident qu’ils puissent absorber ces
flux. Moi je n’invente rien car le mécanisme de formation par alternance existe
en France et aux Etats-Unis et les entreprises le financent parce qu’elles ont
compris leur responsabilité sociale d’entreprise et l’exercent. Une entreprise
n’existe que lorsqu’il existe une communauté de citoyens. Aux Etats-Unis,
toutes les grosses boîtes ont une fondation active, mais ce niveau de
développement n’est peut-être pas encore arrivé chez nous. Les entreprises chez
nous font leur petit bonhomme de chemin en ce qui concerne la responsabilité
sociale d’entreprise. Il faut les amener à comprendre qu’elles ont la
responsabilité d’aider à la formation des jeunes. La cible fondamentale de la
fondation est le résidu de bacheliers non absorbés par les structures
universitaires existantes. Tout ce que nous demandons aux entreprises, c’est de
pouvoir accepter ces jeunes étudiants dans leurs structures, et nous prenons en
charge les coûts financiers y afférents selon le besoin.
Lorsque quelqu’un fait quelque chose, on pense
qu’il y a un intérêt derrière. Mais je peux vous dire que dans un pays comme
les Etats-Unis, la philanthropie est bien développée. Lorsqu’une entreprise
vit, elle sent un devoir de donner quelque chose en retour. Depuis 25 ans, je
vis aux Etats-Unis et j’ai été témoin du mécénat, et je connais bien son
importance pour la société.
Pour l’enseignant que vous êtes, en quoi l’éducation peut-elle changer la vie d’un jeune ?
Je prends simplement ma vie comme un exemple.
La clé fondamentale de la vie de quelqu’un, c’est l’éducation. L’éducation a
été la clé qui m’a mis sur la voie du succès. Je considère la mission de
l’éducation comme un sacerdoce. Je considère l’enseignement comme sacré et cela
doit se faire dans un cadre sacré à travers des structures sacrées. Il faut créer
les conditions nécessaires pour que cela puisse se faire. Quand vous regardez
le nombre de bacheliers qui arrivent sur le terrain chaque année, il est
évident que l’Etat seul ne pleut plus avoir les moyens pour les absorber. Tout
ce que nous faisons, c’est de jouer un rôle de pionnier de formation en
alternance dans le pays pour qu’en dehors de l’Etat, il y ait des structures
qui puissent accompagner les jeunes.
Quel est, selon vous, la part des autorités dans ce processus de formation de la jeunesse ?
Naturellement, l’Etat doit aider à la formation
et à l’éducation. Et il le fait dans une certaine mesure selon les ressources
disponibles. Chaque année, vous avez des étudiants qui sont boursiers de
l’Etat. Mais l’Etat ne peut pas payer la bourse à tous les étudiants. Il faut
d’autres structures comme les entreprises, les Ong et la responsabilité de
l’Etat est d’aider à l’émergence de ces structures.
Comment se fait l’enrôlement des étudiants devant prendre part à cette première cohorte ?
La fondation a pris son bâton de pèlerin en nouant des partenariats avec un certain nombre d’entreprises pour qu’elles puissent respecter leur responsabilité sociale d’entreprise. Il y a des entreprises qui ont accepté de recevoir les étudiants et d’autres qui ont accepté non seulement d’accueillir les étudiants mais aussi de participer à la rémunération de ces étudiants jusqu’à 100 mille francs Cfa. C’est pour vous dire qu’il y a une adhésion au concept. Aussi, nous avons noué un partenariat avec l’Institut universitaire MathFinEco (Ium). Il y a un comité mixte composé non seulement d’académiques mais aussi de professionnels. Les étudiants déposent les dossiers et le comité procède à leur étude ; il tient compte aussi des besoins dans les entreprises. Sur cette base, le jury délibère de façon autonome. Pour cette première année, nous allons octroyer des bourses de formation en alternance allant jusqu’à cent. Et nous allons voir ce qui va se passer les années qui vont suivre et au fur et à mesure nous allons ajuster selon les besoins exprimés. Les personnes intéressées peuvent nous joindre par mail à l’adresse fondationeby@gmail.com ou via nos différents canaux. Nous sommes très optimistes que beaucoup d’autres entreprises vont se joindre à nous et adhérer à l’initiative et ces jeunes gens vont être formés à travers ce mécanisme de formation en alternance qui les aide non seulement à se faire former mais aussi à financer leurs études.
A la fin des études, ces étudiants resteront-ils liés à leurs entreprises à long terme ?
La formation en alternance n’est pas un contrat ou un engagement de recrutement. C’est un creuset à travers lequel l’étudiant grandit professionnellement, démontre ses talents et son respect de l’éthique du travail. C’est vous dire que s’il se comporte correctement, l’entreprise peut le recruter plus tard selon le besoin mais s’il ne se comporte pas bien, l’entreprise n’a aucune obligation de le recruter. Généralement les étudiants intelligents démontrent du talent, créent de la valeur ajoutée, et prouvent aux entreprises qu’ils sont indispensables. Ce faisant, il y a un engouement pour le recrutement auprès des entreprises. Pour notre part, le but de ce que nous proposons est totalement social. Travailler à ce qu’il y ait une société prospère où tout le monde a le minimum, c’est une condition de sécurité pour tous. C’est un mécanisme qui existe ailleurs et qui fonctionne très bien. Si un étudiant est recruté par une entreprise ayant financé sa formation en alternance, il peut travailler pour cette entreprise pendant deux ou trois ans et après s’il le désire, il peut aller faire ses expériences ailleurs. Il n'y a aucune obligation que les étudiants soient liés à vie à la société.
Quelles sont les filières retenues dans le cadre de ce programme ?
Pour l’instant, nous avons démarré le projet
avec l’Institut universitaire MathFinEco (Ium). A ce niveau, il y a des
formations telles que les Sciences Actuarielles, l’Ingénierie Financière, Prepa
Ingénieur-génie informatique et télécommunication, Banque et Marché des
Capitaux, Finance publique, Gestion des projets et Organisation industrielle
qui englobe en son sein la gestion des ressources humaines. Au fil du temps,
puisque c’est un concept qui est totalement nouveau ici, nous espérons que
d’autres structures universitaires qui ont d’autres filières vont adhérer à ce
concept et les bourses seront distribuées pour couvrir des formations plus
variées.