La Nation Bénin...

Séjours italien et helvétique du chef de l’État: Les non-dits d’un voyage plein de symboles (Quelles retombées et quelles espérances pour le Bénin ?)

Société
Par   La Redaction, le 27 juin 2018 à 07h55
[caption id="attachment_29717" align="alignnone" width="1024"] Dotou J. SEGLA[/caption]

Offensive diplomatique ? Engagement militant pour de nobles causes ? Qu’est-ce qui fait donc courir le chef de l’État hors du pays ? De retour de Rome et de Berne, il se retrouve encore à Paris, sur le front de la mobilité des biens culturels et patrimoniaux. L’homme du « Nouveau départ » venait de boucler deux ans à la tête du gouvernement de la Rupture. Sans être totalement flatteur, éclatant, irréprochable, le bilan présente néanmoins quelques points de satisfaction sur la ligne de compétence et de bonne gouvernance. Serait-ce la raison qui le motive ? Ou est-ce son aura personnelle qui le détermine à projeter le Bénin sur la scène internationale, au-devant des grandes instances décisionnelles et prestigieuses institutions de la gouvernance mondiale ?

Il n’y a guère longtemps il fut reçu à l’Élysée par le président français. Puis c’était au tour du Vatican de reconnaître et d’honorer sa prestance et son engagement citoyen, sa détermination inébranlable à réformer et rendre son pays plus crédible. Le présent propos vise à décrypter autrement son voyage à Rome et à Berne pour en faire ressortir tout le symbolisme qui s’y attache. D’en évaluer alors les bénéfiques retombées et les espérances éventuelles tant pour le Bénin que pour l’Afrique ?
Patente, l’évidence : l’escale de Berne, en Suisse, s’est soldée en espèces sonnantes et trébuchantes. Près de 47 milliards de francs Cfa. Sans occulter le précieux capital moral engrangé à Genève, lors de la Conférence internationale sur les faux médicaments, comme pour valider sa farouche lutte tenace, déclenchée chez lui contre ce tentaculaire fléau mercantile, très préjudiciable à l’intégrité sanitaire des peuples de toute la planète. Mais pourquoi la Suisse ? Le symbole n’a rien d’abscons, d’énigmatique. La Suisse ? Un petit État de l’Union européenne qui sidère par sa légendaire renommée de pays prospère dont les habitants, pétris de probité et d’intégrité morale, s’honorent de vivre relativement en paix, à l’abri de toutes formes de corruption scandaleuse et de toutes fraudes politico-financières déstabilisatrices. Une Suisse qu’on tend souvent à présenter comme un modèle de réussite économique et sociale en Europe et au-delà.
À vouloir décrypter plus en profondeur le symbolisme attaché à l’escale helvétique du président de la République, tort aurait-on de subodorer une certaine ambition, qui n’est qu’un secret de polichinelle, qu’éprouverait Patrice Talon de marquer son passage à la tête de l’État béninois, de réussir là où ses prédécesseurs ont failli, en épousant les rêves et les idéaux d’un Patrice Lumumba au Congo Kinshasa, d’un Kwame N’Khruma au Ghana, de Thomas Sankara au Burkina Faso, le pays des hommes intègres, ou de Nelson Mandela en Afrique du Sud, la nation aux couleurs arc-en-ciel ? Faudrait-il donc que les Béninois se disposent à davantage manifester plus d’intégrité et de patriotisme pour édifier une nation libre et prospère, absolument exemplaire sur la scène internationale ?
L’étape d’Italie, de loin la plus importante du périple présidentiel, se caractérise par deux temps forts. Le premier a été la réception au Vatican par le pape François, l’actuel Pontife et Magister du Saint-Siège. Le second se rapporte à la visite rendue au président du Conseil d’État italien à Rome. Une opportunité que le chef d’État béninois a su saisir pour inviter les hommes d’affaires et chefs d’entreprises italiens à venir investir au Bénin, laissant ainsi transparaître sa fibre de fin entrepreneur, opérateur économique aguerri, de « compétiteur-né ». De cette étape romaine, les retombées économico-financières ne tarderaient guère à se faire sentir, lorsqu’on sait que traditionnellement l’Italie représente un pôle économique et financier de grande envergure en investissements bancaires et industriels.

L’étape romaine

Pour en revenir au premier temps fort de l’étape romaine, on peut aisément affirmer qu’il revêt un caractère vraiment spécial, compte tenu du contexte et du déroulement de la visite dans la cité vaticane, le minuscule État dont l’influence morale et spirituelle s’étend sur le monde entier. Du point de vue protocolaire, le président Talon honorait une invitation que lui a adressée le Saint-Père, et qui coïncidait avec la célébration du dixième anniversaire de décès du prélat d’exception que fut le Cardinal Gantin, dans le dispositif institutionnel de la curie romaine. Était-ce une déférente manière courtoise d’honorer la mémoire de ce digne et distingué fils du Bénin ? Une manière de lui rendre un vibrant hommage solennel, en reconnaissance de ses éminentes qualités et mérites inestimables ?
Le regretté prélat en effet s’est tout particulièrement dévoué, avec honneur et dignité, à la cause de l’Église catholique qu’il servit en homme de foi, loyal et très fidèle, sous la magistrature pontificale de trois charismatiques papes, eux aussi exceptionnelles icônes de cette Église romaine. D’abord, Paul VI, le pape des grandes réformes conciliaires dont Vatican II. Il s’est aussi rendu célèbre par son encyclique « Populorum progressio » où il considère le progrès des peuples comme un impératif inconciliable, allant jusqu’à qualifier le progrès de nouveau nom de la paix. Au terme de sa visite en terre africaine de Kampala, en Ouganda, il n’a pas manqué de mettre l’Église africaine devant ses vraies responsabilités par cette pathétique formule : « Désormais, devenez vous-mêmes vos propres missionnaires ! ». Ensuite, Saint Jean-Paul II, le pape de tous les charismes et de tous les combats militants pour la préservation et la sauvegarde de la dignité humaine, pour la libération de l’Homme de toutes formes de servitude aliénatrice. Le pape qui par deux fois honora de sa bienveillante visite gratifiante la terre béninoise, sol natal et patrie bien-aimée du Cardinal Gantin, l’un de ses plus fidèles collaborateurs. Jean-Paul II, le seul pape déclaré Saint de l’Église catholique, très peu de temps après sa mort. Enfin, l’éméritissime pape Benoît XVI qui sut emboucher avec intelligence et délicatesse la trompette de son incomparable prédécesseur, et qui surprit tout le monde par sa décision historique de renoncer à sa charge pontificale : une première dans les annales vaticanes. Un pape, intellectuellement brillant, à l’humilité vertueuse, qui acheva sa visite pastorale au Bénin, où il s’est officiellement rendu pour remettre les conclusions des travaux synodaux sur l’Église africaine. Il profita alors de cette opportunité inespérée pour oser déclarer que le Bénin est le sel et la lumière du monde et l’Afrique, le poumon spirituel de l’Humanité ! Et quelle audace pour un Saint-Père de l’Église universelle, censé attester et prôner la prééminence de la ville éternelle, Rome, l’irrévocable centre spirituel du monde d’où se dispense la solennelle et souveraine bénédiction papale urbi et orbi !!!
Bref, c’est tout le peuple béninois, à travers son président Patrice Talon, que reçut le pape François, dans le droit fil des relations privilégiées de ses majestueux prédécesseurs, très attachés à la terre mythique du Bénin. Tout un symbole ! Mais quelle portée, quels enseignements et quelles retombées dégager ou espérer de cette marque d’insigne honneur tant pour l’individu Patrice Talon que pour son peuple et pour l’Afrique tout entière ?
De Paul VI à Benoît XVI, il semble qu’il y ait de la part des successeurs de Saint Pierre, vicaires temporels du Christ, une sorte d’appel pressant, une insistante exhortation en direction de l’Église africaine pour qu’elle s’assume, se prenne elle-même en charge, accède à sa pleine maturité responsable et vive son authentique spiritualité endogène. Le Cardinal Gantin, émérite cheville ouvrière du Sacré-Collège, y aurait-il joué un rôle déterminant, tant son aura personnelle impactait fortement tout son entourage ? Dès lors, sans être dans les secrets des dieux, devrait-on conjecturer que l’entretien du pape François avec son hôte béninois ait pu, entre autres sujets, porter sur une possible procédure de canonisation de l’illustrissime prélat béninois ? Vivement donc Saint Gantin le Béninois qui ouvrirait ainsi le ban à d’autres futurs Saints Africains noirs ? ! À moins qu’il n’ait été que question d’entrouvrir les voies et moyens de pourvoir au potentiel remplacement du distingué prélat par la nomination d’un nouveau cardinal béninois au Sacré-Collège ! Une réjouissante perspective et une vive espérance fervente pour les fidèles catholiques et pour le Bénin tout entier, évidemment !

Probables retombées

Au total, qu’attendre concrètement de la visite du président Patrice Talon au Saint-Siège, à Rome ? Un encouragement certain à poursuivre fermement, sans désemparer, ses audacieuses réformes en vue de remettre le Bénin définitivement debout ? Assurément ! Un indirect appel subtil à l’Église catholique africaine à pleinement et totalement assumer son identité culturelle spécifique pour être en mesure de mieux enrichir et de garantir l’universalité de l’Église catholique romaine ? Sans conteste ! L’engagement du chef de l’État sur le rapatriement des biens culturels et patrimoniaux s’inscrit-il dans cette dynamique ? Aussi, dans la perspective senghorienne d’une féconde civilisation universelle, envisager une Église africaine christifaïque, autrement compris «saint-sacrementale», ne contribuerait-il pas à renforcer et parachever la catholicité, l’universalité véritable de l’Église originelle de Rome, fondée sur l’Amour (Rome, en latin Roma, qui donne en verlan Amor : Amour, ou Omar) ? Ne devrait-on pas s’interroger sur les raisons qui sous-tendent l’idée d’un monastère invisible de Jean-Paul II et sur celles qui ont motivé le Cardinal Gantin à se faire inhumer en face du Saint-Sacrement, au grand séminaire Saint Gall de Ouidah ? Comment comprendre autrement la vie quasi monastique d’un Benoît XVI, suite au renoncement inédit de sa charge pontificale ?...
Il est une certitude : le christifaïsme africain, d’essence divine, absolument centré sur la destinée christique de l’Homme, de l’Homme intégral : l’Homme-Dieu tout court, peut-il in fine se révéler un supplément d’âme au catholicisme occidental, nombriliste, de plus en plus racorni et sectaire ? ! Car, il ne faut point se leurrer : tant que la branche africaine de l’Église catholique romaine se refusera à se libérer de la tutelle vassalisante de la curie vaticane, elle peinera à se légitimer et à se crédibiliser au plan local et international. Le véritable problème de l’Église catholique africaine ne dépend-il pas de sa capacité à s’auto-responsabiliser, à s’endogénéiser, s’enraciner dans sa culture native, à affirmer clairement son identité culturelle, originale et spécifique ? Jusqu’à quand se réfugiera-t-elle derrière l’alibi-piège que sous-entend et véhicule le sacré paradigme fétiche souvent proféré comme une incantation : l’inculturation ? ! La hiérarchie catholique africaine craindrait-elle de perdre ses privilèges princiers et les mirobolants dividendes pécuniaires des charitables œuvres vaticanes ? Comment résister à lui imputer la responsabilité de l’actuel regain du syncrétisme religieux, de sa frénétique prolifération exaltée, sectaire sur le continent noir, sa terre de prédilection ?...
Talon au Vatican ?... Bien d’énigmes restent encore à décanter, car la personnalité de l’homme induit tout un symbolisme ! Une preuve ? L’acronyme de son ambitieux programme de réformes pour redresser le Bénin et le propulser sur l’orbite des nations modernes, libres et prospères : le programme d’actions gouvernemental (PAG), entendre : Patrice Athanase Guillaume, la boussole, le gouvernail, le riche repenti qui se fraie son chemin pour aller au ciel !
Se comprend mieux la passion, l’irrésistible élan de l’homme ! « Dictateur, tyran, narcisse… » Et quoi encore ? Pour une fois, les Béninois pourraient bien se permettre ce « mal nécessaire », un luxe amer, quelque peu indigeste, mais pour leur propre bien et leur meilleur devenir ! Selon l’adage latin : « Labor improbus omnia vincit », le travail acharné vient à bout de tout ! Au travail donc, en concrète application conséquente de l’un des trois mots-clés de la devise nationale : Fraternité-Justice-Travail ! Alors, plus de patriotisme, d’engagement citoyen, de détermination laborieuse dans la probité et l’intégrité morale, pour édifier sur de nouvelles bases solides la nation béninoise, en vue d’un mieux-être individuel et collectif ? Condition sine qua non pour vaincre la fatalité d’un mal développement chronique ?…
Talon au Vatican : les non-dits d’un voyage plein de symbolisme ? Destin d’un homme et destin d’un peuple, d’une nation ? Une providentielle rencontre ? Et donc la nécessité impérative d’une entente responsable, constructive, d’une symbiose féconde pour le succès d’un rêve partagé, l’apothéose de nuptiales noces splendides entre le chef et son peuple, autour de l’unique cause véritable : la patrie Bénin ?! Les Béninois ont-ils une meilleure alternative plus efficiente et plus crédible ? L’avenir seul en dira davantage !?

* Fâlogicien

Par Dotou J. SEgla*