Valérie Ogougnon : Maîtresse incontestée des moulins à maïs
Société
Par
Maryse ASSOGBADJO, le 24 mars 2022
à
12h33
Valérie Ogougnon n’est pas un visage inconnu à Fifadji, à Cotonou. La meunerie fait d’elle une femme hors du commun.
Cette femme en pagne traditionnel avec le corsage souple décolleté, le foulard noué sur la tête a fière allure. En la voyant à l’œuvre sur son moulin à maïs, on est loin de l’imaginer prendre autant de goût à ce métier.
Meunière, Valérie Ogougnon porte fièrement sa casquette. En cette fin d’après-midi du mardi 8 mars 2022, jour dédié à la célébration de la Journée internationale de la femme, elle était à son poste : son atelier de meunerie situé à Fifadji.
Nous sommes à une heure de pointe où la plupart des fonctionnaires sont pressés de regagner leur domicile. Commence alors pour cette femme, la deuxième manche de la journée. Elle avait visiblement le cœur à l’ouvrage. Plusieurs kilogrammes de maïs et d’autres céréales entreposés dans des bassines attendent sa main experte pour être moulus. Elle procède par ordre d’arrivée. Au bout de quelques minutes, elle se rend disponible pour répondre à nos questions.
Le visage expressif, marqué par les traits de sueur de la journée, on mesure, lors des échanges, les obstacles franchis avant d’en arriver là aujourd’hui. « Au départ, je contractais des prêts auprès des institutions de microfinance que je faisais tourner pour mes différentes activités commerciales. En réfléchissant un jour, je me suis rendu compte qu’il n’y avait aucun moulin à maïs dans mon quartier. J’ai décidé de me lancer dans cette activité tout en espérant qu’elle soit rentable », raconte-t-elle.
Au départ, son choix s’était révélé une grande erreur. «Les hommes que j’employais m’ont, tout le temps, grugée. Après leur forfait, ils prennent la clé des champs», regrette-t-elle.
Lassée de supporter les caprices de ses employés qui lui faisaient voir de toutes les couleurs, elle a fini par prendre les choses en main, elle-même.
Maîtrise de la machine
Elle se jette donc à l’eau. Commence alors pour elle, une longue et fructueuse aventure. Depuis lors, elle est devenue une maîtresse incontestée de son atelier de meunerie. Sans désemparer, elle pilote la machine avec dextérité et passion. Elle s’y investit à fond et vise loin. Pour mieux répondre aux exigences du métier, elle a établi son calendrier de travail qu’elle suit à la lettre.
« Je mets le moulin à maïs en marche à 6 h 30. Je travaille jusqu’à 10 h avant de stopper momentanément pour éviter que la machine ne chauffe. Puis au bout de quelques minutes, je redémarre le moteur pour bosser jusqu’à 12 heures, parce qu’à cette heure, mes enfants reviennent de l’école et je dois m’occuper d’eux », confie-t-elle.
A vrai dire, rien ne prédestinait Valérie Ogougnon à la meunerie. A force de volonté, de courage et de détermination, elle réussit à avoir la maîtrise de son art. « Au départ, c’était très difficile pour moi parce que je n’étais pas habituée à ce travail et j’avais tout le temps mal aux doigts et dans le corps, sans oublier les maux d’yeux, la courbature, les bourbouilles et la chaleur qui m’étouffent. Depuis un an, ça va mieux parce que j’apprends à maîtriser ma machine », assure-t-elle.
Une femme meunière ? Son mari et son entourage n’en croyaient pas leurs yeux. Elle a dû user de stratégies et d’arguments pour les convaincre. « Mon mari s’est rendu à l’évidence lorsqu’il a réalisé les bénéfices que génère mon boulot », dit-elle fièrement.
Cette femme qui a acquis difficilement son indépendance sait qu’elle se ferait du tort si elle ne mettait pas du sérieux dans son travail. Aujourd’hui, alors que sa fille aînée est déjà à l’université, la jeune dame de 45 ans redouble d’efforts afin que ses enfants ne manquent de rien. Quand on parle de son ‘’autonomisation’’, elle est toute souriante : « Les gens sont trop fiers de moi, parce qu’ils trouvent que je suis une femme extraordinaire. Quand mon mari me donne 500 F, je dois être en mesure de compléter le double. Je ne l’attends pas pour effectuer certaines dépenses concernant les enfants », confie-t-elle.
Pour cette dame qui exerce un métier ’’dit masculin’’, le combat en faveur de l’autonomisation et de l’épanouissement des femmes est un défi permanent. Elle-même en donne la preuve par l’exemple en touchant à tout. A ses heures perdues, elle est aussi photographe et commerçante. Sa passion pour la photographie vient de son mari, lui aussi photographe de profession.
« Il m’arrive de faire plusieurs choses à la fois. Je suis meunière tous les jours de la semaine y compris les dimanches sur rendez-vous. En cas de contraintes de calendrier, j’avertis surtout mes gros clients. Quant à la photographie, je réponds à toutes les sollicitations. A la moindre occasion, je coupe rapidement le moteur du moulin à maïs et je réalise expressément les photographies et leur tirage avant de redémarrer la machine », développe-t-elle.
Un métier rentable
Une évidence, la meunerie procure un épanouissement certain à Valérie Ogougnon. « Sans vous mentir, on n’a pas besoin d’être bureaucrate pour mieux vivre. Les revenus générés par ce métier me permettent de faire l’élevage des volailles, des porcins et des ovins. Avec cette activité, j’ai pu m’acheter trois réfrigérateurs que j’exploite pour le commerce de la glace et des jus », révèle-t-elle.
Les petites pannes techniques de sa machine n’ont jamais été pour elle une bête noire. « Je répare moi-même la machine lorsqu’elle tombe en panne. C’est seulement quand la panne relève d’un niveau supérieur que je fais appel à un rebobineur ».
Son parcours et ses expériences l’amènent à envisager l’avenir avec beaucoup d’espoir. A l’endroit des jeunes filles et femmes, elle se veut un véritable coach. « Ne jugez jamais les gens à l’apparence. Ce n’est pas parce que quelqu’un présente une apparence sale qu’il est démuni. Certains métiers comme le mien peuvent nous salir, mais cela n’est pas forcément un signe de pauvreté. Etre bureaucrate, c’est un choix. Toutefois, les métiers manuels ne sont pas moins rémunérateurs », conseille-t-elle.
Selon elle, « Il n’y a pas de métiers typiquement réservés aux hommes, ni aux femmes. Vouloir, c’est pouvoir. Il est temps que les femmes cessent de penser qu’elles sont incapables d’exceller là où il y a les hommes ».
Seulement que la meunerie permet tout, sauf le ‘’chichi’’, du moins la manucure et le maquillage. La poussière provenant des céréales moulues et la force de la machine risquent de tout dégarnir.
« Mes amies trouvent que je risque de devenir moche à force d’exercer ce métier. Mais moi, je leur réponds en souriant que tant que je gagne bien ma vie, j’ai toujours la possibilité de me rendre belle ».
Comme quoi dans la vie, chacun sait là où se trouvent ses intérêts.