Alphonse Ibi Kouagou, administrateur de la Banque mondiale: « Nous devons donner priorité aux solutions qu’apporte le secteur privé »
Economie
Par
Claude Urbain PLAGBETO, le 07 avr. 2021
à
06h57
Le Bénin siège de nouveau au Conseil d’administration de la Banque mondiale, quarante ans après le passage de Nicéphore Soglo. Depuis novembre 2020, le compatriote Alphonse Ibi Kouagou est appelé à défendre, pendant deux ans, les intérêts des 23 pays africains (dont le Bénin) que compte le Groupe II Afrique. Ce haut fonctionnaire de la Société financière internationale (Ifc), filiale du Groupe de la Banque mondiale, nous parle dans cet entretien de ses priorités à ce poste et de ce que le Bénin pourrait y gagner, tout en insistant sur la promotion du secteur privé pour la création de richesse et d’emplois.
La Nation : Vous êtes l’administrateur de la Banque mondiale pour le Bénin et 22 autres pays africains, principalement francophones et lusophones. De quoi vous occupez-vous à la Banque mondiale en tant qu’administrateur ?
Alphonse Ibi Kouagou : L’administrateur siège au Conseil d’administration de la Banque mondiale où il défend les intérêts des pays qu’il représente dans le cadre de leurs partenariats avec l’institution. Nous essayons alors d’influer sur les politiques et stratégies du Groupe de la Banque mondiale. Nous aidons les autorités des pays à identifier et à saisir les opportunités d’assistance offertes par le Groupe. Nous soutenons également les efforts de mobilisation de ressources en vue de permettre aux pays de mettre en œuvre les initiatives, projets et programmes soutenus par la Banque mondiale.
Comme vous le dites, j’occupe l’un des 25 sièges du Conseil d’administration au titre du Groupe II Afrique qui regroupe 23 pays dont le Bénin. (Ndlr: Le Bureau de l’administrateur représente le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Cap Vert, la Centrafrique, les Comores, la République du Congo, la République Démocratique du Congo, la Côte d'Ivoire, Djibouti, le Gabon, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Guinée équatoriale, Madagascar, le Mali, l’Ile Maurice, la Mauritanie, le Niger, Sao Tomé-et-Principe, le Sénégal, le Tchad, et le Togo). Je suis très honoré d’occuper ce poste parce que je suis le deuxième Béninois à avoir ce mandat après mon prédécesseur, l’ancien président Nicéphore Soglo, il y a plus de 40 ans.
Vous avez un mandat de deux ans au sein du Conseil d’administration, quelles sont vos priorités ?
Ma stratégie 2020-2022 se résume en quatre domaines prioritaires déclinés en 13 objectifs qui constitueront mon bréviaire durant mon mandat. D’abord, mon Bureau s’engage à renforcer son rôle de liaison entre le Groupe de la Banque mondiale et chacun des pays qu’il représente, en vue d’accélérer les objectifs de développement. Cette collaboration va se focaliser sur des enjeux clés tels que l’économie numérique, le capital humain, l’énergie et l’agriculture, avec un regard particulier sur les Etats fragiles.
La crise sanitaire et économique de Covid-19 que nous traversons a éprouvé les économies de nos pays. Le Groupe de la Banque mondiale a mobilisé d’importantes ressources pour soutenir nos pays dans les réponses sanitaires et le dialogue se poursuit avec les Etats pour appuyer le redressement post-Covid. Le défi ici, c’est de veiller à ce que ces ressources soient vite décaissées et absorbées efficacement. Au-delà de la Covid-19, nous devons garder à l’esprit que l’objectif reste l’éradication de la pauvreté et la réalisation de la prospérité partagée à l’horizon 2030.
Nous voulons également donner les moyens au secteur privé pour qu’il contribue à la diversification de nos économies et à la création d’emplois. C’est fondamental. Le Bureau va donc accentuer sa collaboration avec la Société financière internationale (Ifc) et l’Agence multilatérale de garantie des investissements (Miga), et inciter le secteur privé africain à se tourner davantage vers ces filiales du Groupe de la Banque mondiale. Nous devons sensibiliser nos pays à recourir au guichet de promotion du secteur privé de l’Association internationale de développement (Ida), à mieux s’imprégner des stratégies pays de l’Ifc et à une plus forte synergie avec la Banque mondiale. Nous devons donner priorité aux solutions qu’apporte le secteur privé. Ifc dispose désormais d’un Bureau au Bénin, c’est une opportunité que le secteur privé béninois doit saisir pour mobiliser du financement.
Quelles peuvent être les attentes du Bénin par rapport à votre mandat, du fait que ce soit un Béninois qui occupe ce poste ?
Le nouveau partenariat entre la Banque mondiale et le Bénin en vigueur depuis 2018 est axé sur trois axes principaux, à savoir la transformation structurelle pour la compétitivité et la productivité, l’investissement dans le capital humain, la résilience et la réduction de la vulnérabilité face au climat. Vous aurez constaté que ces axes sont en lien avec les priorités de mon Bureau. Mon engagement en tant qu’administrateur est de veiller à ce que les lignes tracées dans les stratégies de nos pays, y compris le Bénin, soient mises en œuvre avec efficience au bénéfice de nos populations. La Banque mondiale a entamé le processus de revue à mi-parcours de sa stratégie au Bénin. Sans doute, nous aurons des leçons à tirer pour améliorer la qualité de ce partenariat déjà très fructueux.
Quelles appréciations faites-vous du portefeuille actuel de la Banque mondiale au Bénin ?
Le portefeuille est robuste et de très bonne qualité avec un engagement en cours de plus de 1,4 milliard de dollars (Ndlr: environ 778 milliards F Cfa). Les opérations de la Banque mondiale se sont accrues ces dernières années au Bénin, au regard de la qualité du dialogue avec les autorités béninoises et surtout des performances que nous réalisons sur ces projets. Rien que pour la réponse contre la Covid-19, plus de 90 millions de dollars ont été mobilisés en moins d’un an, et d’autres financements sont en cours de préparation pour renforcer la résilience du pays face aux chocs et relancer l’économie.
Dans quels domaines pensez-vous que le partenariat entre le Bénin et la Banque mondiale doit se renforcer ?
Je crois que nous avons encore des efforts à faire en matière d’investissement dans le capital humain. Quand nous comparons l’Indice du capital humain du Bénin avec celui des pays comme le Kenya ou le Ghana, nous réalisons que nous avons encore des progrès à faire. Je fais cette comparaison au regard du leadership que je note actuellement au niveau du gouvernement qui fait montre d’une gouvernance économique applaudie par les marchés financiers. C’est un indicateur important. Je crois en la capacité de notre pays à mettre en place un système de nutrition de qualité, à développer un système de santé performant, à investir dans la formation des ressources de qualité. C’est cela la base du développement. Nous devons aussi développer nos infrastructures et miser sur l’économie numérique pour faire des bonds qualitatifs dans le développement. Je salue l’engagement du gouvernement du Bénin dans la digitalisation des services. Si en plus, nous avons des infrastructures adéquates, nous aurons accompli des progrès importants dans un futur proche.
Comment entrevoyez-vous les perspectives économiques du pays, dans ce contexte difficile de la Covid-19 ?
Les perspectives économiques du Bénin sont bonnes. Malgré le contexte difficile de la Covid, et la fermeture des frontières du Nigéria, le Bénin fait partie des rares pays à afficher une croissance positive de 2 % en 2020. Cette résilience est le résultat des réformes entreprises par le gouvernement pour améliorer le cadre de gestion des finances et de mobilisation des recettes publiques. Le Bénin a une signature crédible sur le marché financier international, ce qui aide le gouvernement à mobiliser les ressources pour financer le développement. Il y a encore des défis mais le Bénin est sur une pente ascendante.
En tant que Béninois de la diaspora, quel regard portez-vous sur votre pays ?
Mes réponses précédentes montrent déjà l’idée que je me fais de mon pays. Nous avons de quoi à être fier et optimiste pour le futur.