La Nation Bénin...

Baisse des cours du pétrole:L’occasion d’en finir avec la contrebande d’essence au Bénin ?

Economie
Par   zounars, le 03 févr. 2015 à 05h12

En arrivant au Bénin, vous ne pouvez pas ne pas remarquer la quantité de bidons et de bouteilles d’essence en vente libre à tous les coins de rue. Ce carburant, vendu environ 30 % moins cher que dans les stations-service, représente plus de 80 % du marché des carburants dans le pays. L’essence de contrebande, appelée «kpayo» (littéralement «non-original» en langue goun), est importée en toute illégalité du Nigeria voisin, où le carburant est fortement subventionné.

La vente de kpayo représente une source de revenus non négligeables pour ceux qui en font le commerce – des jeunes pour la plupart –, tout en offrant une essence à un prix plus abordable. Toutefois, il s’agit là d’une activité illicite. Et les conséquences néfastes en matière de santé et d’environnement, liées à la manipulation sans aucune protection et à l’exposition de l’essence en plein air, outre les risques d’explosion dus aux mauvaises conditions de stockage du combustible, sont largement connues. Sans compter que cette activité de contrebande fait perdre d’importantes recettes à l’État béninois, car 80 % du marché échappe ainsi à l’impôt sur les carburants, outre le fait que c’est autant de taxes qui ne sont pas collectées auprès des sociétés pétrolières (impôts sur le chiffres d’affaires, sur les salaires, etc.). Le gouvernement se voit ainsi privé d’un moyen d’alimenter le Fonds routier pour l’entretien des routes, puisqu’il ne peut être abondé par la Redevance d’entretien routier (RER) prélevée sur les produits pétroliers – comme c’est le cas dans plusieurs pays de la CEDEAO.

La responsabilité de l'Etat

Le gouvernement béninois a tenté à plusieurs reprises de lutter contre ce trafic. Mais, à chaque fois, il s’est heurté à la résistance des vendeurs, mais également des “grossistes” de ce commerce illicite à grande échelle, autrement plus influents. Tous arguent que de nombreuses familles subsistent grâce à cette activité de contrebande ; et que si le gouvernement veut y mettre fin, à charge pour lui d’offrir d’abord des possibilités de reconversion lucrative à tous ceux qui s’y adonnent.
Logiquement, ceux qui s’adonnent à une activité illégale ne devraient pas attendre de l’État qu’il les aide à trouver un emploi alternatif. Mais le dilemme semble cornélien. D’un côté, l’État a l’obligation de faire respecter la loi en faisant cesser ce trafic ; il doit mettre en place les conditions idoines pour que s’installent et prospèrent les sociétés pétrolières dans le pays et garantir une offre suffisante en produits pétroliers. De l’autre, l’État doit assumer son rôle dans la promotion de l’emploi (des jeunes et des femmes notamment) – ce à quoi s’attelle le gouvernement béninois. Or, s’il est nocif, ce commerce est aussi la source de revenus d’un grand nombre de jeunes, qui n’ont aucun intérêt à se retrouver au chômage et sans le sou. Il faudrait donc intégrer tous ces jeunes qui travaillent dans l’illégalité et l’informel, sans pour autant les mettre à l’index; en même temps que garantir la qualité de l’essence vendue et les standards de santé publique, tout en soutenant l’industrie pétrolière du pays.

Opportunité à saisir

Et si la forte chute que subissent les cours internationaux du pétrole (moins 40 % entre juin et décembre 2014) était une opportunité à saisir ? Ce contexte pourrait s’avérer favorable, dans la mesure où l’impact a priori négatif d’une baisse du commerce illicite de l’essence sur les prix du transport et l’inflation serait contrebalancé par une baisse des prix à la pompe dans les stations (voir graphique ci-dessous).
L’appel d’air pourrait aussi venir du Nigeria, où le gouvernement a annoncé une baisse des subventions sur le carburant pour 2015-2017, à la suite de la baisse des cours du pétrole à l’international. En effet, cette baisse planifiée des subventions devrait réduire la différence de prix pratiqués entre les deux pays et, partant, rendre le kpayo moins attractif. Cela s’est déjà produit en 2012, quand le Nigeria avait décidé, dès janvier, de supprimer sa subvention sur le carburant ; les Béninois avaient alors délaissé un temps le kpayo au profit des stations-service… jusqu’à ce que le gouvernement nigérian rétablisse en partie ses subventions.
Le graphique ci-dessous montre que les écarts de prix se sont réduits en décembre 2014, une réduction qui devrait s’accentuer en 2015 si la tendance à la baisse des cours du pétrole se poursuit.
Avec les échéances électorales qui approchent, à la fois au Bénin et au Nigeria, l’on peut craindre que les gouvernants évitent de prendre des mesures de nature à générer des remous sociaux. Mais, contrairement à 2012, supprimer aujourd’hui la subvention au Nigeria aurait moins d’impact sur les Nigérians, du fait même de la baisse généralisée des prix mondiaux du pétrole et de la levée progressive de la subvention entre 2015 et 2017. Les prix à la pompe pourraient même rester stables, voire baisser (certes moins qu’au Bénin), en fonction de l’évolution du cours international du pétrole. Voilà pourquoi le gouvernement nigérian pourrait se heurter à moins de résistance qu’en 2012. Et, pour le gouvernement béninois, ce serait une opportunité à saisir pour relancer la lutte contre la vente illicite d’essence.

Se montrer créatif

Le gouvernement béninois devra donc se montrer créatif pour résoudre ce problème de taille, qui touche à la fois à l’emploi des jeunes, à l’environnement et à la santé publique, et qui menace la viabilité du secteur pétrolier. La baisse des prix du pétrole et les changements structurels apportés au système des subventions au Nigeria ouvrent une courte fenêtre de tir, favorable : pourquoi ne pas en profiter pour imaginer de nouvelles solutions, qui ne se contentent pas de simplement lutter contre un commerce illicite, mais qui instaurent un programme d’aide plus au fait des réalités de terrain et de la jeunesse, où tout le monde (revendeurs, État, sociétés pétrolières…) y gagne ? L’État pourrait, par exemple, revoir à la baisse la taxe sur les produits pétroliers ; la perte de revenus fiscaux serait compensée par la hausse de la demande d’essence “légale”.
L’on pourrait également s’inspirer de l’expérience d’autres pays, à l’instar de la Colombie, elle aussi confrontée à une situation comparable autour de sa frontière avec le Venezuela : elle a instauré un programme de reconversion professionnelle en faveur des vendeurs d’essence de contrebande, tout en tachant de dissoudre cette activité illicite en incorporant ces vendeurs dans les réseaux formels de vente de carburant. Autre exemple, ailleurs dans le monde : le Cambodge entend s’attaquer à la vente d’essence de contrebande dans les rues, voire les stations-service illégales, en instaurant des contrôles de qualité et en légalisant celles-ci.

Par Daniel Ndoye*

* Economiste-pays de la BAD pour le Bénin