La Nation Bénin...
L’igname est aujourd’hui plus présente dans le plat des Béninois que par le passé. Pourtant sa production se heurte à des difficultés qui demandent des réponses urgentes.
Quand il s’agit de doper la production vivrière, on parle plus de riz, de maïs mais moins d’igname. Pourtant, ce tubercule occupe de plus en plus une place importante dans le plat des Béninois. Dans les grandes villes du pays, l’igname et ses dérivés arrivent en troisième position dans les dépenses de consommation des céréales et tubercules, après le riz et le maïs. On l’estime à plus de trois millions de tonnes de production en 2013, faisant passer le Bénin au quatrième rang des producteurs mondiaux, après le Nigeria, le Ghana et la Côte d’Ivoire. La part de l’igname au PIB est de l’ordre de 6% en 2010. Ces statistiques de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) soutiennent bien l’intérêt des gouvernants à faire de cette spéculation l’une des filières prioritaires dans le Plan stratégique de développement agricole en cours d’élaboration.
Si 50 années plus tôt, l’igname était perçue par les producteurs comme un simple produit de subsistance, elle fait aujourd’hui l’objet d’intenses transactions commerciales sur le territoire national. « Les deux tiers des ménages qui consomment l’igname l’ont achetée sur le marché », indique Serge Mensah, coordonnateur du projet AgriFam qui accompagne la filière. De même, en dépit des tracasseries que subissent les commerçants, une bonne quantité de l’igname produite au Bénin est écoulée sur le marché nigérian. Le produit offre également des débouchés au niveau de la diaspora africaine, un marché potentiel sur lequel les producteurs ghanéens se sont positionnés. «Le Ghana est présent sur ce marché lucratif et une unité de conditionnement des tubercules contribue à la normalisation des produits et à la coordination des échanges», explique Anne Floquet, agroéconomiste.
L’igname abandonnée par la recherche
Les Béninois sont devenus friands de l’igname pilée mais ils n’ont pas conscience des menaces qui pèsent sur sa culture. «Il y a aujourd’hui un écart patent entre l’importance économique de l’igname et les appuis publics dont elle bénéficie. Nous pouvons même dire que l’igname ne reçoit aucun financement public», s’offusque Léopold Lokossou, président de la Plate-forme nationale des organisations paysannes et de producteurs agricoles (PNOPPA). Depuis une quinzaine d’années, déplore Anne Floquet, la recherche a abandonné ses travaux sur l’igname. Une situation qui affecte gravement son rendement. Sur les 50 dernières années, les rendements de maïs ont été multipliés par 2,3, ceux du manioc par 4 tandis que ceux de l’igname n’ont été multipliés que par 1,3, selon les données de la FAO en 2015. «Des programmes de recherche ont été interrompus faute de moyens avant d’avoir pu produire des résultats pouvant être diffusés aux producteurs et leurs acquis se perdent», tonne Anne Floquet. Elle rappelle par exemple qu’une grande collection d’accessions (environ 236 variétés) avait été mise en place et servait à comparer les performances des meilleures variétés locales et sélectionnées dans les grands centres internationaux et à opérer sur cette base une sélection au profit des producteurs. Toute cette dynamique, faute de moyens, s’est soldée par un fiasco. Pourtant, les agriculteurs disposent déjà de solides connaissances sur cette culture ancestrale, la recherche n’apporterait qu’un petit coup de pouce pour accroître sa productivité. Du coup, face à la demande sans cesse croissante, les producteurs n’ont d’autre choix que d’augmenter les superficies emblavées, contribuant malheureusement à la déforestation. « Si les forêts disparaissent, il n’y aura plus de production d’igname. D’où la nécessité pour l’Etat et la recherche de travailler pour améliorer la productivité et surtout trouver une alternative à la culture derrière la forêt », alerte Anne Floquet.
Lever les contraintes
La stagnation de la productivité se justifie aussi par l’absence de techniques culturales mécanisées. Les butes d’igname se construisent toujours à la daba et exigent plus d’énergie et de main d’œuvre agricole de plus en plus rare et coûteuse. Le comble, l’igname n’est même pas inscrite dans le plan de vulgarisation des encadreurs ruraux. A ces problèmes singuliers à l’igname se greffent d’autres difficultés qu’elle partage avec l’ensemble de la production vivrière. Il s’agit notamment de l’absence d’engrais spécifiques (les producteurs fument aussi l’igname avec de l’engrais coton NPK) et surtout le non accès aux financements privés et publics.
Pour sortir de l’impasse de la productivité, les acteurs proposent trois solutions. Ils soutiennent l’urgence d’élaborer des propositions techniques de fertilisation organo-minérale spécifiques aux cultures d’igname, de proposer des variétés performantes et veiller à la qualité sanitaire des semenceaux, et d’intégrer ces technologies dans les programmes d’appui conseil aux producteurs et autres acteurs. De même, la levée des contraintes liées à l’accès au marché et l’investissement dans les infrastructures de commercialisation pourront aider à mieux positionner l’igname dont la demande ne cesse d’augmenter ?