La Nation Bénin...
Léon DJOGBENOU[/caption]Ce 23 avril 2018 marque la célébration de la vingt-troisième édition de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Occasion pour les acteurs de la chaîne du livre ainsi que les amoureux de la lecture à travers le monde d’organiser des activités mettant en valeur le livre et ses bénéfices. Le Bénin n’est évidemment pas en marge de cette célébration. Nous en profitions pour remettre au goût du jour la question de la place de l’objet livre dans notre société dans le sens des actions à mettre en œuvre pour faire décoller l’industrie du livre. A l’ère du numérique, les défis du secteur du livre au Bénin sont nombreux. A cet égard, les pouvoirs publics notamment l’Etat central et les élus locaux ont un rôle irremplaçable à jouer.
C’est en 1995 que l’Unesco, la branche culturelle des Nations unies, a instauré la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur (Jmld) encore appelée Journée mondiale du livre. L’idée principale était alors de célébrer le livre, la lecture, l’édition et le droit d’auteur ; ce qui correspond bien avec le thème retenu pour l’édition 2018 de cette fête du livre, à savoir : Lire, c’est mon droit. Dans son message délivré à quelques jours de la célébration, Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco estime que « célébrant le livre, nous célébrons des activités – écrire, lire, traduire, publier – par lesquelles l’être humain s’élève et s’accomplit ; et nous célébrons, fondamentalement, les libertés qui les rendent possibles. »
La célébration de la Journée mondiale du livre donne lieu chaque année à l’organisation de diverses activités et manifestations autour du livre et de la lecture dans des lieux culturels comme bibliothèques, librairies et autres centres : spectacles de lecture, rencontres d’auteurs avec le public, activités de mise en valeur du livre, actions de plaidoyer et d’incitation à la lecture, etc. bref, chacun est appelé à laisser libre cours à son imagination le temps d’une journée. Un autre fait majeur marquant la célébration de cette journée est la désignation d’une ville comme Capitale mondiale du livre pour recevoir l’attention de la communauté internationale des acteurs et amoureux du livre pendant un an. Conakry (Guinée) a eu l’honneur d’être désignée l’année dernière Capitale mondiale du livre, devenant ainsi le seul pays africain à avoir eu ce privilège « en reconnaissance de son programme visant à promouvoir la lecture auprès des jeunes et des publics défavorisés. » Pendant qu’Athènes (Grèce) est désignée pour succéder à Conakry cette année, Cotonou serait candidate pour devenir la capitale mondiale du livre en 2020, selon Valérie V. Kongolo, ambassadrice de Conakry Capitale mondiale du livre, en visite de travail au Bénin depuis le 13 avril dernier sur invitation du gouvernement béninois dans le cadre de divers projets culturels.
La décision par l’Unesco de faire du Bénin la capitale mondiale du livre en 2020 dépendra essentiellement de l’état des différents maillons de la chaîne du livre dans le pays à savoir la création assurée par les auteurs-
écrivains, l’édition, la distribution ou la diffusion assurée par les librairies et les bibliothèques et la consommation par les lecteurs des œuvres produites. De nos jours, l’observation des actes posés dans le pays porte à croire que les lignes ont commencé à bouger en ce qui concerne le développement du secteur du livre. Les initiatives privées sont surtout celles qui donnent de croire à des lendemains meilleurs. En effet, de plus en plus de jeunes béninois écrivent et parviennent à faire publier leurs œuvres grâce à des maisons d’édition privées nationales. Si de véritables nouvelles librairies n’ont pas été créées ces dernières années, celles qui existent résistent tout de même aux aléas et défis et réussissent à satisfaire les demandes dans la mesure de leurs moyens limités. La grande satisfaction vient du côté des bibliothèques nées d’initiatives privées et implantées, non plus seulement à Cotonou, mais aussi dans des zones reculées et enclavées du pays qui en ont cruellement besoin.
Quant à la consommation de la production livresque par les lecteurs au plan national, même si de grands progrès restent à faire pour que les artistes-écrivains vivent de leur art, il n’en demeure pas moins que la progression du taux de scolarisation et du niveau d’instruction permettrait de dire que la vente de livres progresse aussi. Mais l’épineuse interrogation en cette ère du numérique porte évidemment sur ce que lisent les Béninois et surtout comment lisent-ils ? En définitive, ce sont surtout des initiatives d’associations et de particuliers qui assurent la veille dans le secteur du livre de nos jours. Mais ce secteur, comme tout autre dans le domaine de la culture, exige des investissements colossaux que ne peuvent apporter les particuliers sur le long terme surtout si l’on désire avoir des résultats à la hauteur des attentes. L’intervention des pouvoirs publics est donc plus qu’attendue.
De défis nombreux défis
Les nouvelles autorités du Bénin en charge du secteur semblent prendre la mesure des enjeux liés au livre. En effet, lors du lancement du nouveau « document de stratégie de relance du secteur des arts et de la culture du Bénin », le 21 février 2018, par le ministre du Tourisme, de la Culture et des Sports, Oswald Homèky, ce dernier a reconnu les nombreux « problèmes persistants » qui minent le secteur de la culture y compris le sous-secteur du livre. Les objectifs fixés dans le document en question dénotent clairement des nombreux défis à relever dans la chaîne du livre pour parvenir à le dynamiser. Sept objectifs majeurs sont fixés pour être atteints d’ici l’horizon 2021 et si ces objectifs arrivent à être réellement atteints, le secteur du livre connaîtrait alors des jours nouveaux.
De tous les objectifs fixés, deux d’entre eux me semblent être fédérateurs des autres dans le sens où ils sont de nature à impacter tous les autres
domaines ciblés. Il s’agit du point concernant la « Numérisation et modernisation du fonds documentaire de la Bibliothèque nationale » et celui relatif à la « Mise en place d’un réseau des bibliothèques.» En effet, s’agissant du premier point, au corps défendant de son personnel, la Bibliothèque nationale du Bénin n’est vraiment pas de nature à booster notre fierté en elle de par le cadre physique dans lequel elle se trouve et surtout de par l’exercice même de sa mission. D’accord pour sa modernisation prévue par le ministère mais il serait plus avantageux que cette modernisation ne soit pas appliquée uniquement aux fonds documentaires comme c’est écrit. Cela devrait toucher aussi les infrastructures, la formation et le recrutement de personnels qualifiés sans lesquels le chantier de numérisation inscrit dans le document pourrait ne pas être une réussite sur le long terme. La Bibliothèque nationale a un statut d’institution documentaire à caractère national et a dans ses prérogatives un mandat lui donnant un pouvoir qui impact la politique nationale du livre. Lui accorder l’attention qu’elle mérite sera un investissement précieux et rentable.
Quant au second point des objectifs du ministère qui nous intéresse de par son ampleur, à savoir la « mise en place d’un réseau des bibliothèques », si les conditions de sa réalisation restent à définir pour clarifier quels types de bibliothèques seront pris en compte, il s’agit là néanmoins d’une bonne nouvelle aussi, doublement. D’abord, parce qu’on pourra disposer d’une carte des bibliothèques qui seront concernées sur le plan national et ainsi mieux cibler les besoins et mieux orienter les investissements dans le secteur. Ensuite, la création d’un tel réseau suppose aussi une meilleure structuration de la Direction en charge des bibliothèques et de la lecture publique qui ainsi aurait normalement plus de moyens financiers, matériels et humains.
L’actuelle direction des Arts et du Livre (Dal) ayant succédé en 2016 à la direction nationale de la Promotion du Livre et de la Lecture (Dnpl) à l’avènement de l’actuel régime, reçoit déjà des critiques des acteurs de la chaîne du livre qui estiment que cette nouvelle dénomination est un fourre-tout où les actions en faveur du livre seront phagocytées par l’attention à donner aux autres domaines d’intervention de l’institution. Cette critique trouve sa source dans une autre liée à l’instabilité de la dénomination du ministère de tutelle, instabilité qui serait causée par le peu d’importance accordée au secteur de la culture. La création en 2016, aux lendemains de l’élection du président Patrice Talon, d’un ministère spécifiquement dédié à la Culture a fait taire cette critique mais qui a tôt fait de refaire surface à la faveur du remaniement ministériel intervenu le 27 octobre 2017 où le ministère de plein droit de la Culture a disparu, hélas !
Le livre comme priorité
Les pouvoirs publics à divers niveaux de gouvernance sont appelés à inscrire le livre comme une priorité dans leurs programmes et projets de développement. Il est entendu que le secteur de la culture en général et celui du sous-secteur du livre en particulier, doit être pris en charge par l’Etat qui est le seul à posséder l’autorité et les moyens indispensables pour un véritable développement du secteur. En effet, la préparation d’un contexte politique, juridique, social et institutionnel favorable à l’éclosion d’une solide industrie du livre au Bénin est du ressort des pouvoirs publics. C’est le cas par exemple de l’arsenal législatif et règlementaire devant régir le secteur. Aussi, incombe-t-il à l’Etat l’urgence de l’élaboration et de mise en place d’un véritable document de politique nationale du livre prenant en compte les besoins spécifiques des différents maillons de la chaîne du livre. Des écrivains aux consommateurs finaux que sont les lecteurs en passant par les éditeurs et les libraires, les bibliothèques et autres centres de lecture publique, l’Etat et les collectivités locales dans les communes doivent intervenir par des actions pérennes à chaque niveau de la chaîne. Pour ressusciter les bibliothèques départementales et inciter à en construire dans les communes et les arrondissements voire dans les quartiers, il devrait être instauré l’obligation d’intégrer un plan en faveur du livre dans les Programmes de développement communaux ou municipaux afin que les élus locaux soient davantage impliqués. En matière de diffusion des œuvres livresques, une attention particulière devrait être accordée à la construction et l’équipement de bibliothèques de lecture publique dans les communes et municipalités dans la mesure où ces bibliothèques permettent un accès égal aux ressources d’information et de formation à tous les citoyens dont la majorité n’a pas un pouvoir d’achat conséquent pour acquérir les ouvrages. Il devrait en être de même dans les établissements scolaires et universitaires afin que ces derniers soient dotés de bibliothèques à la hauteur des enjeux de formation et d’éducation. Car construire des infrastructures et recruter des enseignants qualifiés ne suffisent pas pour former de bons citoyens et des cadres compétents. L’implication des élus locaux aura également pour avantage de contribuer à répondre à la préoccupation de la couverture de tout le territoire national. En effet, pour que l’ambition de transformer les perceptions erronées sur le livre au Bénin à partir surtout des jeunes soit réalisée, il serait intéressant d’élargir les activités autour du livre et les institutions documentaires à d’autres contrées pour que Cotonou ne soit plus la seule ville qui les concentre.
Il n’existe pas de nos jours un secteur de la vie qui échappe à l’intrusion du numérique. Ce dernier impacte tous les maillons de la chaîne du livre au point d’en modifier d’une part la définition du point de vue de support et d’autre part le rapport que les lecteurs entretiennent avec le livre. Toute politique du livre qui se veut influente et pérenne ne peut plus faire fi du livre numérique. La direction des Arts et du Livre avec les autres acteurs devraient tirer profit du contexte technologique et numérique qui s’annonce sous de meilleurs auspices pour inclure et développer le livre numérique dans leurs objectifs d’actions.
Au Bénin, le commerce du livre n’échappe pas aux activités de l’informel qui met à mal le droit d’auteur dans un secteur où les auteurs-écrivains ont déjà du mal à vivre de leur travail d’écriture. Les points de vente de livres « par terre » se multiplient un peu partout et ont, avouons-le, un certain succès auprès des populations à cause, entre autres, des coûts prohibitifs des livres en librairie du point de vue du niveau de vie dans le pays. Le Bureau béninois du droit d’auteur et des droits voisins (Bubedra) peut-il quelque chose en la matière ?
A l’instar de certains secteurs de la vie socio-
économique et politique au Bénin auxquels l’Etat octroie des aides financières, il devrait en être de même pour le secteur de l’industrie du livre ; ceci à cause non seulement du potentiel économique que peut représenter cette industrie si elle est développée, mais aussi et surtout à cause du potentiel de développement socioculturel et intellectuel qu’elle recèle pour la nation tout entière.
Dans le même ordre d’idée, la formation des acteurs intervenant dans l’animation de la chaîne du livre devrait être une préoccupation. A ce propos, en dehors du Département des sciences et techniques de l’information documentaire et du secrétariat à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature de l’Université d’Abomey-Calavi où sont formés notamment des documentalistes (non pas des bibliothécaires), il n’existe pas dans le pays de formations qualifiantes d’éditeur ou de libraire. Les résidences d’écriture de nature à faire émerger de nouvelles générations d’écrivains sont rares.
Le Bénin a le mérite d’organiser un Salon national du livre qui a connu sa deuxième édition du 12 au 14 octobre 2017. Ce salon gagnera à être plus régulier avec une organisation et une programmation plus pensées, plus professionnelles, plus maîtrisées et plus inclusives.
Des approches de solutions aux maux qui minent l’industrie du livre au Bénin existent ; ce qui manque c’est la volonté d’investissement dans le secteur et une politique nationale du livre à long terme. L’émergence économique du pays, le relèvement du niveau d’instruction et de raisonnement intellectuel de ses citoyens tant souhaités par tous passeront sans doute par une meilleure prise en compte du secteur du livre. Mais sans doute l’Etat central seul ne peut répondre à tous les besoins en la matière. Les élus à la base ont un rôle prépondérant à jouer. Les efforts des particuliers, associations et autres bonnes volontés doivent être maintenus et accrus.
*Bibliothécaire à la médiathèque
de l’Institut français du Bénin