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Pratique de charlatanisme, de magie et de sorcellerie (7e dossier): Denis Aïou condamné à cinq ans de réclusion criminelle

Société
Par   Site par défaut, le 12 avr. 2018 à 06h18

Denis Aïou a planché, ce mercredi 11 avril, au banc des accusés pour pratique de charlatanisme, de magie et de sorcellerie. C’était pour le compte du septième dossier inscrit au rôle de la cour d’assises de la cour d’appel de Cotonou. Après examen, il a été reconnu coupable et condamné à cinq ans de réclusion criminelle. Ayant été mis sous mandat de dépôt le 31 juillet 2013, il retourne en prison pour trois mois trois semaines environs.

Cinq ans de réclusion criminelle et destruction des objets mis sous scellés, telle est la sentence retenue par la cour d’assises de la cour d’appel de Cotonou, après examen du dossier de pratique de charlatanisme, de magie et de sorcellerie dans lequel le sieur Denis Aïou était poursuivi. Des faits qui tombent sous le coup de l’article 264 bis alinéa 2 du Code pénal portant répression de pratiques rétrogrades portant atteinte à l’ordre public.
A la barre, l’accusé Denis Aïou ne raconte pas clairement ce qui s’est passé. La présidente lui rappelle certains de ses propos à l’enquête préliminaire. Elle lui rafraîchit la mémoire, mais l’accusé persiste dans une certaine dénégation. Il finit par lâcher que c’est pour épouser une femme qu’il s’est comporté de la sorte. Il dément avoir envoûté Edouard Montcho, le frère aîné de la victime. La présidente s’étonne qu’il ne reconnaisse pas ce qu’on lui reproche bien qu’on ait retrouvé des talismans chez lui. Ces effets appartiendraient à son grand frère.
Devant le juge d’instruction et à l’interrogatoire de première comparution, il reconnaît avoir fait des avances à la victime. Puis plus tard, après avoir empêché la pluie de tomber à cause des cérémonies des parents de sa dulcinée, il dit avoir fait des choses pour l’envoûter, mais a regretté que ce soit le frère qui ait été atteint. Selon sa stratégie, il a indiqué que c’est le vodoun Gambada qui devait faire répéter son nom jusqu’à ce qu’on l’autorise à la délivrer et là il allait profiter pour lui faire manger quelque chose pour l’aimer.
Devant l’interrogatoire nourri du ministère public, il réitère que c’est pour se faire aimer et l’épouser.
Lorsque les pièces à conviction lui sont montrées, il avance que ce sont les affaires de son grand frère.
Puis, Julienne Djossou, ménagère, a comparu comme témoin. Elle déclare que Denis Aïou est bien mêlé au dossier de charlatanisme qu’on lui reproche.
Edouard Montcho, victime, dit avoir subi un envoûtement ce jour-là vers 5 h du matin ; il aurait été transporté à l’hôpital suite audit envoûtement et se serait réveillé vers 16 h le même jour après des soins. Il déclare ne plus être jamais tombé malade depuis. La défense s’est fait donner acte de ces réponses.
Dans ses réquisitions, le ministère public soutient que ce qui s’est passé n’est pas une superstition mais une triste réalité sociale. La croyance en des forces surnaturelles pour nuire ou pour s’attirer le bonheur existe, à en croire le ministère public. Le phénomène ‘’Kinninsi’’ qui défraie actuellement la chronique, à travers lequel des jeunes hypnotisent pour soutirer de l’argent, illustre cette manière d’agir qui perdure, défend le ministère public. Je reste davantage songeur, poursuit le ministère public, lorsque les gens doivent utiliser la magie pour se faire aimer. Il rappelle les faits qu’il a relatés.

Eléments constitutifs

Denis Aïou, selon le ministère public, est coupable, dans la mesure où les éléments légal, matériel et intentionnel sont réunis. Pour l’élément légal, son siège se trouve dans l’article 264 bis alinéa 2 point 2 du Code pénal. Il déclare que sera puni d’une peine de 15 à 30 ans quiconque aura fait usage des pratiques de charlatanisme et de sorcellerie. L’article laisse transparaître les éléments matériel et psychologique. La Cour constitutionnelle, selon le ministère public, a rendu une décision en 1998, à travers laquelle l’ensemble des comportements et rites en liaison avec les forces surnaturelles en vue de porter atteinte à l’intégrité des personnes en troublant l’ordre public sont proscrits. Denis Aïou, selon l’avocat général, a invoqué les pouvoirs d’un fétiche. L’accusé, souligne-t-il, a reconnu avoir jeté un sortilège à la fille en question et curieusement c’est le grand-frère qui a été atteint. « Nous ne devons pas perdre de vue que la victime a expliqué que les médecins n’ont pu lui dire ce dont il a souffert. La médecine des Blancs n’est jamais arrivée à diagnostiquer ce dont il souffrait », a souligné le ministère public.
L’élément matériel est établi, retient également le représentant du ministère public qui poursuit que l’élément intentionnel existe dès lors que l’agent pénal sait que son acte est susceptible de porter atteinte aux gens. Denis, selon lui, avait conscience des conséquences de son acte : « J’ai envoyé l’envoûtement dans l’espoir qu’elle appelle mon nom jusqu’à ce que j’intervienne ».
« Vous devez entrer en condamnation contre lui ; il est accessible à la sanction pénale ; l’accusé présente un état psychologique non altéré. Son agissement ne relève d’aucune contrainte », justifie-t-il.
Le peu de collaboration à la manifestation de la vérité et son état de délinquant primaire, selon le ministère public, permettent de lui faire bénéficier de circonstances atténuantes. Sur la base de l’article 463 du Code pénal, le ministère public demande à la cour de condamner Denis Aïou à la peine de dix ans de réclusion criminelle.
La défense représentée par Me Rufin Bahini rebondit sur la peine requise. Il soutient s’appesantir sur les contradictions du dossier qu’il a relevées tout au long de la procédure. Auparavant, Rufin Bahini s’est attardé sur l’altération des facultés mentales de son client, de ses démangeaisons mentales décrites par les personnes qui sont intervenues à l’occasion de l’enquête de moralité. Car l’expert qui n’a eu en tout et pour tout qu’un seul contact avec l’accusé, a dressé un rapport en contradiction avec l’enquête de moralité. « Les faits dont vous êtes saisis se sont déroulés en juillet 2013 tandis que l’examen psychologique date de 2015. Quel crédit peut-on accorder à ce rapport? », s’interroge Me Rufin Bahini. Il déclare avoir demandé à dessein à l’accusé sa situation sociale.
L’accusé à votre barre n’est pas sain d’esprit, apprécie la défense qui s’attarde ensuite sur la personnalité de l’accusé et sa vie : scolarité approximative, son enfant né d’une union qui est décédé par la suite et son père qui est mort entretemps. « Je ressors des contradictions qui vous permettront dans le secret de votre délibéré d’appliquer une sanction et dans quelle proportion le faire », développe l’avocat.

Des incantations

La défense rappelle les faits selon sa sensibilité. « L’accusé vous a déclaré qu’il ignore le nom du grand-frère et qu’il a prononcé les incantations avec le nom de la victime. Nous nous retrouvons dans le monde de l’irréel et nous sommes en matière pénale », conçoit la défense. La matérialité, l’intention de nuire ou la volonté de porter atteinte à la vie de Edouard Montcho, n’est pas établie, selon Me Rufin Bahini. Il n’y a pas de certificat médical, encore moins d’ordonnance médicale au profit de la victime, assure la défense. Dans le dossier, nulle part, il ne transparaît que ce sont les incantations qui étaient destinées à Elise Montcho qui ont pu rendre malade Edouard Montcho.
L’élément matériel n’existe pas. Car rien ne prouve que ce sont les pratiques incantatoires qui ont eu un effet sur la santé de la victime, insiste-t-il.
La défense soutient que la conviction qui est la sienne est que son client voulait s’amouracher avec une femme qu’il désirait.
Les éléments matériel et intentionnel ne sont pas établis et donc en matière pénale, le doute profite toujours à l’accusé, réitère la défense. Il plaide de relaxer l’accusé au bénéfice du doute. Si par extraordinaire, poursuit la défense, le comportement de Denis Aïou est répréhensible, « Je vous prie de bien vouloir tenir compte de sa situation familiale et de le condamner au temps déjà passé dans l’univers carcéral pour favoriser sa réinsertion ». « J’aurais pu plaider l’irresponsabilité pénale », avoue la défense qui regrette les pratiques qui ont conduit à son incarcération.
Le ministère public réplique en soutenant que rien ne vaut la preuve de l’expert scientifique. Il ajoute que l’erreur sur la personne est indifférente, car la maladresse de l’agent pénal ne fait pas disparaître l’infraction. « Il cherchait à occasionner un malaise à la fille, dès lors qu’il a eu recours à une autre technique pour l’envoûter », insiste-t-il.
La défense contre-réplique en réitérant que les éléments matériel et intentionnel ne sont pas réunis.

Résumé des faits

Le mardi 23 juillet 2013 à Ayahonou, dans l’arrondissement de Sey, commune de Toffo, Elise Montcho, apprentie couturière âgée de 17 ans et demeurant à Cotonou, s’est rendue à Sey dans son village natal pour les cérémonies d’inhumation de son feu père. Elle a rencontré au marché de Sey, Denis Aïou, tradi-praticien qui lui a fait des avances et une proposition d’invitation. N’étant pas intéressée, Elise Montcho a refusé ladite invitation.
Sur son offre, Denis Aïou a été sollicité par la famille du défunt contre une somme de 7000 francs Cfa pour empêcher la pluie de tomber pendant les cérémonies. Profitant de cette invitation, Denis Aïou a pris la résolution de nuire à la santé d’Elise Montcho afin de l’épouser. Le lundi 29 juillet 2013 aux environs de 4 h, Denis Aïou se pointe à côté de la chambre où Elise Montcho a l’habitude de passer la nuit, a fait plusieurs tours de la chambre en prononçant des incantations. N’étant plus dans cette chambre, son frère aîné Edouard Montcho a reçu le coup et est tombé évanoui. Il ne s’est retrouvé que quatre jours plus tard dans le lit d’hôpital.
Interpellé et inculpé pour les faits de pratique de charlatanisme, Denis Aïou a reconnu les faits aussi bien à l’enquête préliminaire que devant le juge d’instruction.
Son bulletin n°1 de casier judiciaire ne fait mention d’aucune condamnation. Il ne présentait aucun trouble mental au moment des faits. L’enquête de moralité lui est favorable.

Composition de la cour

Présidente Marie Soudé épouse Godonou

Assesseurs : Christophe Atinmakan, Victor Fatindé

Jurés : Bodounrin Marie Marguerite Nouhoumon, Coffi Prosper Gbèdandé, Gaston OlaolouwaAdékambi, Andréa Bachioumba.

Ministère public : Christian Atayi

Greffier : Louis Houngbo