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A cœur ouvert avec Alimatou Badarou sur la femme et la politique: « La femme ne doit jamais se laisser aller aux pressions »

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Par   Anselme Pascal AGUEHOUNDE, le 10 mars 2023 à 07h42
Plaidoyers pour les droits de la femme, discrimination positive en faveur de la femme ; lois de promotion et protection des femmes… Il n’y a dans tout cela aucun cadeau, aucune facilité. Il s’agit plutôt d’un noble combat en vue de combler le gap longtemps entretenu entre les hommes et les femmes ; alors que sur le terrain politique, les femmes reçoivent les mêmes coups. Femme et politique, Alimatou Badarou, coordonnatrice de l’Organisation des Femmes républicaines au sein du parti Bloc républicain, en parle sans ambages.

La Nation : Il n'est pas rare d'entendre que femme et politique ne font pas bon ménage, que c'est un chantier trop risqué et que leur vie privée est souvent sacrifiée... Qu'en dites-vous ?

Alimatou Badarou : Je ne dirai pas que c’est totalement faux mais il faut relativiser. Car la politique en soi n’empêche pas une femme de s’épanouir dans son foyer. Tout dépend d’abord de la femme et de ses convictions et ensuite de sa vie de couple. Je voudrais dire que ce n’est pas parce que nous allons sur le terrain politique, que nous n’allons pas être des femmes soumises. Quand on parle de soumission, on ne demande pas à la femme de se coucher pour que l’homme passe sur elle. C’est simplement de cette hiérarchie naturelle dans le foyer qu’il s’agit. C’est ainsi que Dieu l’a voulu. Et je crois que c’est dans cette soumission que le foyer marche bien. Au foyer, quel que soit son rang, la femme doit rester sensuelle. Elle doit rester la mère, l’éducatrice, l’épouse responsable. Mais sur le terrain politique, la femme doit s’imposer et s’affirmer. Les hommes ne peuvent pas demander la soumission aux femmes sur ce terrain parce que les femmes politiques ne sont pas leurs épouses et la politique n’est pas un terrain de jeu. C’est un terrain de leadership, de challenge, de conviction, de combat. Il y a malheureusement des hommes qui pensent que parce que nous sommes des femmes, nous sommes supposées être soumises comme si nous étions leurs épouses et ils cherchent à nous brimer. Il arrive même que l’on porte des jugements moraux sur des femmes qui ne sont peut-être pas au foyer. Et ce n’est pas normal, je dirais même que c’est injuste. C’est de la stigmatisation ! C’est une forme de violence que subissent ces femmes. Dans l’armée, ce sont les mêmes exercices que les hommes font, qui sont donnés aux femmes et c’est ainsi qu’elles arrivent à mériter leur rang. Pourquoi sur le terrain politique, les femmes vont subir les mêmes réalités que les hommes et on estime encore qu’il faille se soumettre autrement. C’est méchant et inhumain ! Je pense que nous femmes, nous avons un devoir: c’est de rester fortes et de savoir faire la part des choses. Dans la vie privée, au foyer, nous devons bien jouer notre rôle et sur le chantier politique, nous devons aussi agir comme cela se doit et faire preuve de combativité. La preuve, Angela Merkel qui est une femme politique très respectée, a dit qu’elle était une femme au foyer et qu’elle préparait pour son mari. Ce n’est pas parce qu’on est en politique qu’on ne va plus respecter son mari. Les femmes qui sont en politique et qui tiennent tête à leurs maris parce que leurs fonctions leur montent la tête ; moi je le leur déconseille vivement. Il y a aussi des hommes qui font des misères à leurs épouses parce qu’elles rentrent tard ou doivent participer à telle ou telle réunion. Si ces hommes n’ont pas assez confiance et veulent voir par eux-mêmes ce qui se passe, qu’ils accompagnent leurs femmes et restent en retrait, peut-être dans la voiture et quand la femme aura fini la réunion politique, ils vont rentrer ensemble. Mais à vrai dire, tout cela se passe parce que ce sont les hommes eux-mêmes qui font la cour aux femmes au foyer et du coup eux-mêmes ne sont plus tranquilles et veulent protéger leurs femmes d’autres hommes. Je pense que hommes et femmes ont des efforts à faire pour construire la confiance et se soutenir. Sans cette confiance, le terrain politique est difficile pour les femmes au foyer.

Et quelles sont les difficultés que rencontrent généralement les femmes sur le terrain politique ?

Je voudrais d’abord saluer le courage de toutes ces femmes qui sont sur le terrain politique parce que ce n’est pas facile. La politique est un terrain très rude. Nous recevons les coups à la dose normale comme si nous étions des hommes. Il faut avoir le mental fort. C’est pourquoi il faut encourager toutes celles qui ont le courage d’aller au front. Les plus grandes difficultés de la femme politique, ce sont les préjugés et l’instrumentalisation. Parfois, les hommes politiques s’attendent à ce que les femmes restent soumises en politique et ont tendance à les harceler, surtout celles qui ne portent pas le nom d’un mari. La dignité de la femme doit être respectée. C’est vrai que pendant longtemps, quand une femme émerge, la société la juge et on colporte que ce serait à cause des facilités obtenues d’un homme. Et il faut reconnaître aussi que des femmes aient pu faire pareille chose. Mais ce n’est pas à généraliser. En plus, aujourd’hui l’environnement est favorable à la promotion de la femme. Je voudrais profondément penser à ces femmes qui subissent des pressions et qui sont souvent harcelées. Elles se retrouvent dans des situations pénibles parce qu’elles portent tout leur foyer et sans leur travail, le foyer n’aurait plus rien. Elles souffrent en silence. Je ne les juge pas. Mais il faut qu’elles sachent que l’on a toujours le choix et qu’aujourd’hui, l’environnement a changé et est favorable à la protection de la femme. Les femmes doivent rester fortes et courageuses. Elles doivent se battre et sortir de la mentalité selon laquelle la femme doit être entretenue par l’homme. Une femme qui travaille apporte un plus à son foyer et se fait davantage respecter. Et si elles sont harcelées, elles n’ont plus à avoir peur. Il y a l’Institut national de la femme qu’on peut saisir en cas de violences ; il y a plusieurs mécanismes juridiques mis en place pour protéger les femmes contre tout harcèlement.

Que diriez-vous aux femmes qui ont des aspirations politiques et qui hésitent encore à faire le pas ?

Si elles sont mariées, je leur dirai d’abord de rassurer leurs époux car elles auront besoin de leur soutien et pour cela il faut construire la confiance, la transparence. Ensuite, elles peuvent entrer en politique avec des convictions fortes, quand elles recevront des coups, parce que ça arrive, elles pourront compter sur le soutien de leurs maris. Si elles ne sont pas mariées, elles doivent quand même être fortes et avoir des convictions. Car on n’entre pas en politique pour s’amuser. Il faut avoir des idéaux, de la passion, du courage. Elles doivent avoir tous ces préalables avant de se lancer sur le terrain politique. Et si l’environnement ne leur est pas favorable et qu’elles découvrent que ce n’est pas leur voie, il faut avoir le courage d’en ressortir. Mais elles ne doivent jamais se laisser aller aux pressions pour dire ensuite qu’elles n’avaient pas le choix. C’est faux ! Il faut avoir un mental fort, il y a toujours un choix à faire.

Comment appréciez-vous la place de la femme dans les instances de prise de décisions aujourd'hui ?

Je voudrais avant tout, avoir une mémorable pensée pour les femmes pionnières, celles qui se sont battues pour les droits de la femme et qui grâce à leurs sacrifices d’hier, nous permettent aujourd’hui de tenir le flambeau pour le porter plus haut. Aujourd’hui, nous continuons de porter la cause, de mener des réflexions et de faire des lobbyings afin d’amener les gouvernants au vote de lois qui favorisent l’épanouissement de la femme et son implication dans les affaires de la République. Je voudrais également saluer les gouvernants en l’occurrence la huitième législature qui a adopté les nouvelles lois ayant favorisé cette représentativité de la femme au Parlement. C’est aussi le mérite du chef de l’Etat Patrice Talon, qui joint l’acte à la parole et qui se montre très actif dans la promotion de la femme. Déjà en faisant le choix d’une femme pour être vice-présidente de la République puis en œuvrant pour une meilleure représentativité des femmes au Parlement à travers la discrimination positive notamment l’attribution d’office de 24 sièges aux femmes à raison d’une femme par circonscription électorale. C’est ce qui a permis aujourd’hui que nous ayons 29 femmes à l’Assemblée nationale. C’est une première, c’est du jamais-vu au Bénin et c’est à saluer. Même dans les institutions, le président de la République a essayé de faire parler cet engagement pour la promotion de la femme. Il a renforcé l’Institut national de la femme et nommé une femme à la tête ; une femme a été nommée présidente de la Cour des comptes ; et quand il a été question de choisir les Secrétaires exécutifs des communes, il a insisté pour que le tiers des postes soit accordé aux femmes. J’espère que la dynamique va vraiment se poursuivre et que ce ne sera pas seulement les sièges réservés qui vont justifier la présence des femmes au Parlement. Cette dynamique doit se renforcer. Il faudra mettre les femmes sur des positions éligibles, faire des listes alternées pour qu’on passe à 50 % de représentativité de la femme comme c’est le cas dans certains pays dont l’Afrique du Sud et le Sénégal. C’est notre rêve.

Quels sont, selon vous, les efforts à faire pour améliorer cette dynamique de promotion de la femme ?

Nous attendons une certaine flexibilité des hommes et des responsables à tous les niveaux. Nous ne voulons pas de la faveur Non ! Nous estimons que nous avons les mêmes droits devant la Constitution. Mais les femmes sont souvent considérées comme si elles devraient rester derrière le rideau. Il faudrait que les responsables des entreprises, des institutions et organisations, suivent la dynamique en cours; en essayant à chaque fois qu’il y a nomination, élection ou désignation de donner une marge aux femmes. Il ne s’agit pas d’exclure les hommes mais de penser à la femme tant qu’il y a la possibilité d’alterner. Je pense que ce faisant, les choses vont évoluer dans notre société. Je répète que nous ne demandons pas une faveur. Nous estimons que c’est un droit. Les présidents d’institutions, les directeurs d’entreprises, les responsables politiques ont aussi des enfants filles sur lesquelles ils investissent pour leur éducation. Ils voudraient bien voir leurs filles travailler demain et faire leur fierté. Donc offrir des opportunités aux femmes aujourd’hui, c’est préparer le chemin et l’environnement à leurs filles, à leurs héritières parce qu’il y a des hauts responsables qui n’ont que des filles comme enfants. Seront-ils heureux de savoir qu’un patron de société demande des faveurs à leurs filles avant de leur donner un emploi qu’elles méritent ? Nous avons tous la responsabilité commune de contribuer à la promotion de nos filles et des femmes pour que la société se porte mieux.

Quelle est alors votre réponse à ceux qui pensent que la discrimination positive en faveur des femmes est un aveu de faiblesse de la gent féminine ?

Je dirai qu’ils ont tort. C’est un écart que la société a entretenu pendant des siècles et qui est corrigé. La société a toujours été consciente des mérites de la femme sans lui accorder cette place parce qu’on préfère avoir la femme sous son contrôle. On ne leur donne pas ce qu’elles méritent pour qu’elles viennent concéder des faveurs. Normalement, je pense que tout le monde devrait œuvrer pour accorder plus de places aux femmes. Nous avons de plus en plus des filles qui vont à l’école et qui obtiennent des diplômes. Il est normal qu’on fasse aussi de la place à ces filles de demain, en créant des conditions favorables à l’épanouissement des femmes aujourd’hui. Va-t-on continuer à donner juste des postes de secrétaire aux femmes alors qu’elles émergent de plus en plus dans tous les domaines ? A tout point de vue, cette discrimination positive s’imposait.