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Dr Julien Coomlan Hounkpè, spécialiste du numérique: « La cryptomonnaie n’est pas une monnaie au sens juridique du terme »

Economie
Dr Julien Coomlan Hounkpè, spécialiste du numérique, enseignant à l’Ecole de formation des professions judiciaire Dr Julien Coomlan Hounkpè, spécialiste du numérique, enseignant à l’Ecole de formation des professions judiciaire

Docteur en droit, Julien Coomlan Hounkpè est spécialiste du numérique, enseignant à l’Ecole de formation des professions judiciaires (Efpj) et chercheur au Centre de recherche et d’études en droit et Institutions judiciaires en Afrique (Credij) à l’Université d’Abomey-Calavi. Abordant dans cet entretien les défis juridiques liés à la cryptomonnaie et à la monnaie dématérialisée, il penche plus pour la règlementation de leur utilisation que leur interdiction par les autorités.

Par   Claude Urbain PLAGBETO, le 03 nov. 2023 à 09h04 Durée 4 min.
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La Nation :  Quelle est la nature juridique de la cryptomonnaie ?

Dr Julien Coomlan Hounkpè : C’est une nouvelle monnaie qui est basée sur la cryptographie et qui se positionne comme une alternative à la monnaie fiduciaire (billets et pièces), contournant le dispositif et le mécanisme classiques de production et de mise en circulation. En droit, la cryptomonnaie n’est pas considérée comme une monnaie traditionnelle, même si elle coche les grandes fonctions de la monnaie à savoir unité de compte, intermédiaire des échanges et réserve de valeur. 
Mais, il y a un caractère essentiel qui lui manque et, pour nous juristes, lui enlève cette qualité de monnaie ayant cours légal. Dans un Etat, seul le souverain a la possibilité de battre de la monnaie. Cet aspect légal fait défaut à la cryptomonnaie, en plus de sa forte volatilité et de l’inexistence d’une autorité de maîtrise.
Alors, qu’est-ce qu’elle est concrètement ?

Le problème de qualification juridique de la cryptomonnaie fait qu’elle n’est pas une monnaie au sens juridique du terme. Elle est parfois vue comme de l’or numérique, un droit, un titre financier. Essentiellement, l’administration fiscale française a fait une analyse validée par le Conseil d’Etat, qui nous permet de dire aujourd’hui ce qu’est à peu près la cryptomonnaie. Il s’agit d’un bien meuble incorporel, un actif dont la valeur est déterminée par un mécanisme de marché.
Quels avantages confère la cryptomonnaie à ses utilisateurs ?

Aux yeux des initiateurs de la cryptomonnaie, il est question d’arriver à réaliser des transactions rapides et à moindre frais, parce que dans le système classique, il y a des problèmes de délai et de coûts élevés. La philosophie derrière, c’est de contourner la Banque centrale émettrice et d’échanger plus librement et rapidement.

Malgré ces avantages, les autorités continuent de mettre en garde contre les risques, ne reconnaissant pas la cryptomonnaie comme un instrument financier dans notre espace économique.
Qu’en pensez-vous ?

Vous me demandez un exercice un peu difficile. Je pourrais vous renvoyer vers l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine). Mais, j’imagine ce qui peut amener les Etats de l’Uemoa comme le Bénin à être frileux à l’acceptation de la cryptomonnaie. Le 31 juillet dernier, le ministre de l’Economie et des Finances (Mef) a signé un communiqué radio-télévisé (Ndlr : appelant les populations « à faire preuve de vigilance pour ne pas succomber aux promesses de gains mirobolants des publicités provenant de diverses origines »), qui donne des détails sur ce qui explique cette réticence. 
Primo, c’est une monnaie basée sur la cryptographie qui est la science du secret. Donc on ne sait pas qui est derrière la cryptomonnaie. La transaction et la génération de la monnaie sont fondées sur des mécanismes qui cachent l’émetteur. 
Secundo, c’est une monnaie à forte volatilité. L’utilisateur peut être milliardaire aujourd’hui en cryptomonnaie et se retrouver demain sans sou. C’est la loi de l’offre et de la demande qui régit le système, ce n’est pas suivi par une autorité centrale. Si l’on prend par exemple le Bitcoin (Ndlr : la plus connue des cryptomonnaies), Elon Musk qui est riche en Bitcoin peut, par un simple tweet, affoler les cours. La cryptomonnaie ne garantit pas à l’utilisateur une protection avérée. En cas d’escroquerie, de perte ou de vol des épargnes, il n’a que ses yeux pour pleurer. Ce sont ces éléments qui ont amené à interdire la cryptomonnaie.
En dépit des alertes et de l’interdiction, la cryptomonnaie fleurit. Que faire ?

La cryptomonnaie est déjà là. Les acteurs sont là et ce ne sont pas des monnaies qui vont disparaître du jour au lendemain, à moins qu’on bloque Internet ; ce qui n’est pas évident. Alors, faut-il faire la politique de l’autruche, en feignant de ne rien voir ? A mon humble avis, l’interdiction ne garantit pas la fin de l’utilisation de la cryptomonnaie. Au contraire ! Le communiqué que l’on réchauffe chaque fois pour rappeler à l’ordre ou mettre en garde les populations contre l’escroquerie, la perte des épargnes ou l’utilisation des épargnes à des fins illicites ou criminelles, c’est bien mais jusqu’à quand ? 
Je pense qu’il faut donc aller au-delà de l’interdiction et prendre le taureau par les cornes en allant vers la règlementation des cryptomonnaies.