Entretien avec Benoît Djossou, Dar/Anssfd: « 38 structures illégales de microfinance récemment dénombrées »
Economie
Par
Claude Urbain PLAGBETO, le 22 juin 2020
à
09h34
Benoît Djossou est le directeur de l’Agrément et de la Réglementation auprès de l’Agence nationale de surveillance des systèmes financiers décentralisés (Anssfd). A l’en croire, une quarantaine d’institutions illégales sont dénombrées; ce qui appelle à la vigilance et à la prudence de la population. Il nous parle ici de l’accompagnement de l’Agence pour amener les structures exerçant dans le secteur de la microfinance à se conformer à la règlementation en vigueur.
La Nation : Toutes les structures de collecte de l’épargne et/ou d’octroi de crédits exerçant aujourd’hui au Bénin respectent-elles les exigences légales d’existence en la matière ?
Benoît Djossou : Non. Nous ne pouvons pas l’affirmer tout de go. C’est vrai qu’après la crise de 2010, il y a eu en 2011 un recensement de toutes les initiatives qui exercent les activités de microfinance, qu’elles soient autorisées ou non. A l’occasion, on avait dénombré 721 structures illégales dont 495 exerçaient en marge de la règlementation, soit une proportion de 69 % de structures dans l’illégalité. Fort de ce contexte, on a dû élaborer une stratégie nationale d’assainissement du secteur de la microfinance qui a été adoptée par tous les acteurs en novembre 2013.
En quoi consistait la stratégie d’assainissement ?
La stratégie comportait trois axes dont l’un des piliers est dédié aux structures informelles. Il était question d’identifier des structures présentant des signes de viabilité pour les accompagner à se formaliser, puisqu’il y en avait qui sont d’une certaine taille. C’est ainsi qu’on a retenu un lot de vingt-cinq qu’on essaie d’amener à se conformer à la règlementation. Pour ce faire, nous avons sollicité l’appui de l’institution d’émission : la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) qui a accédé favorablement à notre doléance et qui nous accompagne dans ce processus.
Malgré cela, le recensement que nous avons effectué en 2019 a permis d’identifier à nouveau trente-huit structures qui exercent en marge de la règlementation. Donc de 495 en 2011, on est à une quarantaine de structures encore dans l’illégalité aujourd’hui.
Le processus de formalisation est-il engagé au niveau de ces nouvelles structures identifiées ?
L’Institut national de la statistique appliquée à l’économie (Insae) qui a réalisé l’étude, n’a déposé son rapport provisoire que courant premier trimestre 2020. Quand nous aurons le rapport définitif, nous allons faire le traitement qui convient.
Mais avant, au niveau national, le Comité de stabilité financière et d’assainissement du secteur de la microfinance (Csfasm), dans son programme d’activités, identifie des zones, des départements où il sensibilise les hommes en uniforme, notamment les policiers, les élus locaux, les autres structures ministérielles décentralisées de sorte à toujours faire porter le message que : pour exercer la microfinance, il faut obtenir préalablement l’agrément. On sensibilise également les populations pour qu’elles s’assurent toujours que les structures sont autorisées avant d’engager leur épargne. Sur ce point-là, l’article 20 de la loi n°2012-14 du 21 mars 2012 portant règlementation des systèmes financiers décentralisés fait obligation à toutes les structures qui sont autorisées à faire figurer sur leurs enseignes, panneaux publicitaires, le numéro et autres références d’autorisation. C’est juste pour permettre aux populations de savoir si la structure vers laquelle elles se portent, ont l’agrément délivré par le ministre chargé des Finances pour exercer.
Concrètement, quel accompagnement apporte l’Anssfd aux structures ?
Lorsque les promoteurs déposent par exemple leurs dossiers, nous mettons en place des équipes pour les vérifier et formuler les observations afin de parfaire, d’améliorer la qualité des documents de gestion. Lorsque vous avez une structure qui exerce et que les manuels de gestion ne sont pas bons, soyez sûrs que c’est la déviance dans la gestion. En fin de compte, lorsque la structure arrive au terme de la procédure d’agrément, vous êtes sûrs que les documents de gestion sont de bonne facture. Cela ne garantit pas forcément leur application dans la gestion dès l’obtention de l’agrément.
Mais une fois que l’institution est autorisée, nous faisons le contrôle au moins une fois par an. A l’issue du contrôle, il y a des recommandations qui sont assorties et lorsque l’institution ne les met pas en œuvre, nous sommes fondés à appliquer les sanctions nécessaires.
Les responsables des structures affirment souvent que le processus d’obtention de l’agrément est un parcours du combattant : difficile et rude mais aussi et surtout trop long. Qu’en dites-vous?
Le processus d’agrément est long, non pas du fait des autorités de contrôle qui sont constituées de l’Anssfd et de la Bceao. La loi précitée, en ses articles 8 et 9, a bien défini la durée légale d’instruction d’un dossier qui fait six mois au total. L’Agence dispose de trois mois et la Bceao, quant à elle, a deux mois. Et au bout de ces cinq mois, si le dossier est défavorable, on le notifie aux promoteurs. Si c’est favorable, le temps de préparer les arrêtés et tout le reste, le ministère dispose d’un mois. Mais il se fait que lorsque l’Anssfd ou la Bceao font des observations devant être prises en compte par les dirigeants, c’est à ce niveau qu’on observe une longue durée avant le retour du dossier corrigé. Parfois, c’est après deux ans que le promoteur réagit. Quand c’est comme ça, nous reprenons tout le processus parce qu’entre temps, les données ont évolué.
Certaines structures autorisées ne satisferaient pas aux obligations réglementaires. Que fait l’Agence pour éviter les gouffres financiers éventuels ?
Quand je parlais des trois piliers de la stratégie, le premier est axé sur les structures illégales mais le deuxième pilier concerne les structures légales qui ne respectent pas la règlementation. Ce sont des structures qui ont des problèmes de gouvernance, des structures dont les ratios prudentiels ne sont peut-être pas respectés. En fonction de la gravité des manquements observés, nous avons un certain nombre de sanctions prévues par les articles 70 et suivants de la loi qu’on applique. Avec les manquements à la règlementation, la structure peut écoper de blâme, d’avertissement, de rappel à l’ordre ; on peut aller jusqu’à interdire un pan d’activités.
Lorsque la gestion d’une structure ne donne plus l’assurance, l’autorité peut prendre des mesures conservatoires en demandant de ne plus collecter l’épargne par exemple. On peut également démettre les dirigeants de leurs fonctions également en termes de sanctions après des mises en garde, si les manquements aux dispositions persistent. Et nommer des administrateurs provisoires conformément aux dispositions de l’article 62 de la loi. Il faut dire aussi que les manquements à la législation peuvent entraîner le retrait de l’agrément et la mise en liquidation de l’institution.
Y a-t-il des structures dans cette situation, où l’épargne des populations serait en danger ?
Non. Mais il y a des structures quand même dont la gestion mérite une attention particulière de l’autorité. C’est souvent des problèmes de gouvernance mais l’épargne des populations est sécurisée.
Peut-on conclure que la crise des structures illégales de 2010, la fameuse affaire Icc-Services et consorts, est définitivement derrière nous et qu’on n’assistera plus à un gouffre financier pareil ?
On ne pourra pas l’affirmer. La crise de 2010, la population en est pour grand-chose. Tout ne dépend pas que des promoteurs des structures illégales. Je vais vous raconter une expérience personnelle que j’ai vécue. J’étais en mission à Parakou où des hôtesses tentaient de me démarcher pour une structure de type Icc-Services. Je leur ai demandé si elles savent à qui elles ont affaire et si elles ont entendu parler une fois de l’affaire Icc. La réponse qu’elles m’ont servie est déconcertante : ‘’Avant que cela n’éclate, on aurait déjà tiré notre épingle du jeu’’.
Cela veut dire qu’elles sont conscientes de ce qu’elles font. C’est donc dans cet esprit que les gens se lancent dans ces genres d’initiatives et quand cela pète, on commence à appeler l’Etat au secours. Or, l’Etat sensibilise dans tous les départements. Nous avons affiché la liste des institutions autorisées dans presque toutes les communes: les mairies, les arrondissements, les commissariats, les gendarmeries. Mais les populations sont attirées par le gain facile et se jettent dans des projets du genre. La preuve, après le procès Icc-Services en février 2019, le mois suivant, en mars ou en avril, nous avons détecté un autre réseau à Zongo qui a pu collecter en l’espace d’un ou deux mois, près de 400 millions de francs Cfa.
L’assainissement du secteur de la microfinance, cela nous tient vraiment à cœur. Les populations ont donc un grand rôle à y jouer. Nous les invitons à être prudentes pour ne pas tomber dans les pièges des réseaux. Lorsqu’elles vont vers une structure pour faire des opérations, elles doivent s’assurer que l’institution a son agrément. Si la structure n’est pas autorisée, cela veut dire que la responsabilité de l’Etat n’est pas engagée.