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Daouda M. Aliou, ingénieur agronome: «La valeur des zones humides est incommensurable»

Environnement
Par   Didier Pascal DOGUE, le 04 févr. 2016 à 11h20

Le Bénin a célébré mardi 2 février dernier, la Journée mondiale des zones humides. Comment sont-elles réparties au Bénin pour l’équilibre des écosystèmes et qu’apporte la Convention de Ramsar qui les gère ? Quelle est l’importance des zones humides pour la vie? C’est à ces interrogations que Daouda M. Aliou, ingénieur agronome apporte des réponses.

«Le Bénin est inégalement couvert par les zones humides. Il y a près de 12% du territoire national qui est occupé par les zones humides», a déclaré Daouda M. Aliou. Mais la grande partie, poursuit-il, se trouve dans le Sud, jusqu’à la limite du Zou. Au Nord-Ouest, énumère l’ingénieur agronome, notamment la région du parc et au Nord dans la région de Karimama-Malanville où se trouve la Vallée du Niger. Au nombre de ces zones humides, un peu dispersées, compte-t-il, il y a les plans et cours d’eau.

Les zones humides

Pour Daouda M. Aliou, il faut compter les zones marécageuses, les plaines d’inondation où se fait la riziculture. Il y en a d’autres où se pratique la pêche, notamment les étangs et les trous à poissons. Il y a également la Vallée de l’Ouémé entièrement constituée de zones humides. Y figurent également quelques retenues d’eau qui sont des zones humides, certes mais créées par l’homme pour ses besoins et ceux du bétail, parfois pour faire du maraîchage. Ces zones, selon l’ingénieur, ont différentes importances. Il y en a d’envergure internationale qui ont été classées. Nous en avons quatre. La zone humide du Sud-Est composée de la basse Vallée de l’Ouémé, de la lagune de Porto-Novo et du lac Nokoué. Nous avons la zone humide de l’Ouest constituée de la lagune côtière, du chenal Aho, de la basse vallée du Mono et du lac Ahémé. Voilà des zones inscrites sur la liste de celles d’importance internationale au niveau de la Convention de Ramsar. Il y a encore deux zones humides d’importance internationale qui sont également inscrites sur cette liste qui se trouve dans le parc W et dans le parc de la Pendjari. Il s'agit de la mare Mangou et la mare Bali. «Il y a encore une cinquième. C’est une zone humide transfrontalière constituée du chenal de Gbaga qui dérive du Mono et qui va se jeter dans la mer au niveau d’Anèho. Les travaux sont en cours; nous avons déjà fait l’identification, la caractérisation, il reste qu’on reproduise la cartographie pour accompagner le dossier et l’inscrire comme zone humide transfrontalière», explique Daouda M. Aliou.
Dans ces zones humides, vivent plusieurs espèces. Il y a, énumère l’ingénieur agronome, les espèces de la faune mamalienne, le cétatunga, l’antilope d’eau, les espèces de la faune aviaire, les oiseaux d’eau, la faune ichtiologique constituée des différentes espèces de poissons. Il poursuit qu’il y a également les amphibiens, notamment les grenouilles, les crapauds et autres espèces qui vivent dans ces écosystèmes. On peut y noter également, selon lui, la faune reptilienne: un certain nombre de varans.

152 espèces de poissons

Il y a par ailleurs, relève-t-il, au moins 152 espèces de poissons retrouvées au niveau de ces écosystèmes qui constituent pour le pays une richesse.
En ce qui concerne les formations végétales, Daouda M. Aliou liste des espèces qui ne poussent que dans les zones humides, notamment les palmiers raphia okéri, qui permettent d’avoir les bambous réservés pour la propulsion des pirogues et d’où on extrait également le raphia qui sert à tisser les nattes. Il y a, retient l’ingénieur, le typha qu’on utilise pour confectionner les nattes et les apatams dans l’Ouémé, le jonc, le ronc dont on se sert pour tisser les nattes au niveau du Mono à partir de Ouidah jusqu’à Djondji. Il retient également la végétation de mangrove, caractéristique des zones humides. Ainsi au titre des palétuviers, le réseau fora racimosa, une plante qui pousse avec des racines échasses, l’avicenia germina, un arbuste qui est également reconnu comme une variété de mangrove mais derrière les riso fora avec leurs pieds dans l’eau, tandis que les avicenias sont un peu en retrait. Il cite une autre variété de mangrove qu’on appelle lagun cularia racimosa mais qu’on retrouve beaucoup plus sur les plages.
« L’eau est le facteur qui crée la zone humide; donc pas d’eau pas de zone humide. L’eau est source de vie. C’est cette eau qui reste dans la zone humide qui alimente la nappe phréatique où les sociétés vont pomper l’eau», explique Daouda M. Aliou. En conséquence, déduit-il, les régions montagneuses et des collines où il n’y a pas de zones humides sont sèches. Il y a des difficultés pour accéder à l’eau.
Le barrage au niveau d’Atcha-kpa, justifie l’ingénieur agronome, permet d’alimenter une partie des collines. La présence de l’eau qui favorise toute cette biodiversité le long de nos écosystèmes protège les éléments vitaux de la survie de l’homme. S’il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de vie. Lorsqu’il y a l’eau quelque part, des organismes s’y développent ; donc l’eau est source de vie, et c’est la caractéristique essentielle d’un écosystème humide, explique-t-il. C’est en fonction de la variété des espèces dont il regorge, qu’on lui attribue le caractère de zone humide.
Après le listing des zones humides, ils ont été observés et leur caractérisation a été faite avec tous les éléments constitutifs de leurs écosystèmes. Un travail a été fait. Lorsqu’on inscrit un site, il y a des règles à respecter, expose l’ingénieur. «Il faut s’engager à utiliser rationnellement les ressources de ces écosystèmes. Vous devez disposer à cette fin d’un plan de gestion. Ledit plan définit les modes d’utilisation et de préservation des ressources de cet écosystème », explique Daouda M. Aliou. Lesdits plans ont intégré, poursuit-il, comment sont gérées, prélevées, préservées et quelles démarches sont faites pour évaluer la mise en œuvre dudit plan de gestion. Il faut, selon lui, avoir un comité qui accompagne la mise en œuvre du plan de gestion.

45 mille tonnes de poissons

Selon ses explications, il y avait auparavant les comités de pêche. Mais aujourd’hui, poursuit-il, avec l’envergure du travail à abattre, on a dû réfléchir pour impliquer l’ensemble des parties prenantes: les élus locaux, les associations de différentes zones professionnelles, la gendarmerie, la police tous sont impliqués pour que les règles, le plan de gestion soit accompagné d’un code local qui permette de réglementer un peu l’utilisation de ces écosystèmes. Toutes les personnes citées tantôt font partie d’un comité coiffé par le préfet qui est le représentant du président de la République.
«Les plans d’eau du Bénin produisent 45 mille tonnes de poissons y compris l’aquaculture (l’élevage de poisson dans les étangs et autres)», explique l’ingénieur agronome. Cette pêche fait vivre plus de 300 mille personnes: les pêcheurs, les mareyeuses, les vendeurs d’engins de pêche, les mécaniciens, les menuisiers, les transformatrices, les vendeurs de bois, donc tout le monde qui gravite autour de l’activité de la pêche.
«Il y a également le rôle que la mangrove joue chez nous. D’abord, c’est la zone de reproduction par excellence des poissons. Elles se reproduisent dans les racines échasses, les feuilles de mangroves constituent du fourrage pour le bétail ; un hectare de mangrove séquestre 12 tonnes de Co2 par an », renseigne-t-il. Aujourd’hui, selon lui, il y a 65 km2 de mangroves au Bénin. Sans compter le bois de chauffe que les mangroves produisent.
Par ailleurs, retient-il, l’effet rempart de protection des berges que les mangroves jouent contre le vent, est à prendre en considération.
Le bois utilisé pour construire dans les villages lacustres, conçoit-il, n’est pas celui qu’on va chercher sur la terre ferme. Il vient des zones humides et est adapté aux habitations desdites zones. «Lorsque vous en évaluez le coût, vous voyez à peu près ce que ça fait », souligne-t-il.
A titre d’exemple au niveau du Wazalogone au Cameroun, « Ils ont détruit une zone humide, aménagée et fait des montages, construit des digues et gagné des zones marécageuses mais à la fin, ils se sont aperçus qu’il n’y a pas les résultats escomptés. C’est alors qu’ils ont essayé de remettre la zone en question en état », regrette-t-il. Il fallait donc, selon lui, remettre les choses en état, remettre cet écosystème à la nature. Ils ont dépensé plus de 700 milliards F CFA pour régénérer la zone, explique Daouda M. Aliou.

L'expériences des Américains

Les Américains ont également tenté une expérience identique dans la région de New York. Ils ont investi, selon lui, 370 millions de dollars pour permettre à la nature de reprendre ce qu’ils lui ont pris. Mais malheureusement, regrette-t-il, cela n’a pas apporté la solution.
« Il y a des problèmes d’inondation à Cotonou parce que nous sommes allés nous installer dans les lits d’eau, des zones marécageuses et nous continuons à le faire. Lorsqu’on prend toute la région de Fidjrossè, demandez à ceux-là ce qu’ils investissent en termes de remblais, de frais de santé », déplore l’ingénieur agronome. Or, si on avait laissé la nature demeurer le réceptacle naturel de l’eau, les populations n’auraient pas à habiter dans des zones inondables. Et normalement, apprécie-t-il, ces zones vont recueillir l’eau, la lâcher pour alimenter la nappe phréatique qui va la pomper pour des usages normaux.
L’ingénieur regrette que les compagnies d’eau pompent et fassent usage de l’eau mais ne savent d’où elle provient. « Vous ne menez aucune action pour protéger la ressource eau. Aujourd’hui, vous avez des difficultés pour aller pomper l’eau », s’entendent-ils souvent lancer

La convention de Ramsar

Danone est la première société qui finance la convention de Ramsar, car cette convention lui permet de préserver les écosystèmes qui lui fournissent de l’eau qui est vendue et sert à fabriquer ses produits alimentaires. Ainsi, pour l’ingénieur agronome, les industriels savent qu’il faut mettre de l’argent dans la convention pour les aider à préserver les zones humides ; ils savent que sans eau ils ne peuvent rien produire.
«La valeur des zones humides est incommensurable au tourisme, pour les loisirs. Lorsqu’on s’installe dans une pirogue pour une randonnée sur l’eau, voyez comment c’est agréable. Les week-ends tout le monde se met à la plage pour se détendre », apprécie-t-il. On prend de l’air pur. «La zone humide prend en compte la mer côtière. Il y a tout un ensemble si l’on doit évaluer le coût de ce que nous tirons des zones humides, c’est faramineux et nous ne voyons pas ce que nous perdons lorsque nous détruisons ces écosystèmes», regrette l’ingénieur. Car il y a des plantes qui ne peuvent que pousser dans ces zones. Si vous détruisez ces zones, ces plantes ne pourront plus pousser, retient-il.
«Les gens ont gardé les vraies souches de riz dans les zones marécageuses et c’est cela qui leur permet de conserver la source pour la production au fil des années.», renseigne-t-il, car il faut aller dans les zones humides où elles n’ont pas été touchées où ça s’est produit naturellement. Si on n’avait pas ces zones humides que pouvait-on faire?, interroge-t-il.
C’est le premier traité intergouvernemental mondial signé par les Nations pour la gestion d’un écosystème particulier le 2 février 1971, dans la ville iranienne de Ramsar près de la mer caspienne. Le Bénin y a adhéré en juillet 1999 et a été reconnu partie contractante en janvier 2000. Les Etats adhérents doivent y inscrire un site. Le Bénin y a inscrit plusieurs sites. Ramsar a apporté entre autres, l’ouverture sur le monde ( le Bénin est la 119e partie contractante) par la qualité de ses sites. Ramsar nous a fait connaître au plan mondial et nous procure également un accompagnement scientifique. Les pays membres de la Convention aussi assistent le Bénin lorsqu’il y a des problèmes au niveau de ses écosystèmes¦